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Le Monde d’Asmodée Edern

Qui est Asmodée Edern?

Asmodée Edern est apparu, comme personnage romanesque, en même temps que Thomas Reguer, dans un roman (inédit, et pour de bonnes raisons) miroir, Feux d’eau, qui fut également le lieu de naissance de Baptiste Morgan. 

Son nom est constitué de deux éléments : Asmodée est, dans la Bible, un démon (j’y reviendrai) ; Edern est là pour signaler son éternité. En effet, dans les romans où il apparaîtra par la suite, Asmodée traverse les siècles, toujours vieux, mais toujours vif. 

N'oublions pas que les démons sont des anges, au départ. Et à l’arrivée aussi, parfois ; désignés comme démons par des chasseurs de sorcières, ils ne sont sans doute que des rebelles à l’autorité arbitraire d’une divinité trop sûre d’elle. Et c’est le propre des divinités, quelles qu’elles soient. Asmodée déteste le pouvoir sous toutes ses formes, du moins le pouvoir de contrôle, d’asservissement. Le seul pouvoir qu’il exerce parfois est un pouvoir d’action.

Mais son rôle premier n’est pas d’agir directement sur les événements. Il agit sur les êtres qu’il rencontre. Tout comme Don Giovanni, loin d’être le séducteur décadent que l’on dépeint, est avant tout celui qui révèle à celles et ceux qu’il croise la vérité cachée de leur désir, Asmodée lève le voile des habitudes et des convictions paresseuses. Bonifacio, Baptiste, Candice, Hans, Giancarlo, Gioacchino, Domenico, Cenzo, Stefano, Agnese, Sébastien et tant d’autres : des hommes et des femmes qui ont la chance de passer quelques heures, quelques jours avec Asmodée, pour découvrir que la vie peut être autre chose que ce qu’ils imaginent. Que leur destin n’est pas déterminé et qu’il n’appartient qu’à eux de réaliser leur rêve. Ensuite… advienne que pourra. Asmodée ne revient jamais – à une exception près, pour Alba et Lætitia, à qui le vieil homme facétieux voue une tendre et fidèle amitié.

À quoi ressemble-t-il ? On le sait barbu, coiffé d’une épaisse tignasse blanche. Ses yeux sont petits mais pétillants. Pour le reste ? Dans ma tête, il a fini par ressembler à Frédérick Tristan, cet écrivain lui aussi diaboliquement inventif, voire à Romain Gary ; mais Baptiste, lors de sa contemplation de La Translation du corps de saint Marc du Tintoret, lui trouve une ressemblance avec Rangone, le patricien vénitien qui a payé le peintre. Ci-dessous, quelques tentatives de représentation élaborées par une intelligence artificielle – ce qui aurait fait sourire cet homme dont l’intelligence n’est assurément pas artificielle, mais dont tous les artifices sont pétris d’intelligence et d’humanité.

Un jour, sera publié Le Livre d’Asmodée Edern, dont il vous est possible de découvrir le prologue plus bas. On le voit, Asmodée est encore plus vieux qu’on l’imagine…

Asmodée et la peinture

Dans quel ordre lire les romans?

Si l’on se base uniquement sur la chronologie des publications, voici l’ordre :

 

  1. Raphael et Lætitia

  2. Retour à Montechiarro

  3. Requiem vénitien

  4. Les Absentes

  5. (La Peur du paradis)

  6. Le Miroir des illusions

  7. Vous qui entrez à Montechiarro

Raphael et Lætitia est en quelque sorte la matrice de la suite : elle pose les personnages de Raphael, Lætitia et ses parents, mais aussi les Morgan, à travers le personnage d’Aristide Morgan.
La peur du paradis s’y rattache désormais pleinement, par des éléments qui se trouvent dans le dernier, Vous qui entrez à Montechiarro. 
Pour être tout à fait complet, il faudrait y ajouter — en suivant la branche des Morgan — Les Angéliques et Les Diaboliques, de même qu'Oubliez Adam Weinberger, pour un tout petit passage. 

Mais de fait, il ne faut pas les lire dans l’ordre. Si l’on s’en tient aux 6 romans, cela donne déjà 720 ensembles différents possibles, selon que vous les lirez dans tel ou tel ordre. Si on en prend 7 (avec Raphael et Lætitia), on passe à 5.040, et si on ajoute ne serait-ce que Les Angéliques et Les Diaboliques en un seul volume — comme je voulais initialement le faire et comme je vais les rééditer tous les deux prochainement —, on arrive à… 40.320 possibilités ! C’est le genre de vertige que j’aime beaucoup :-) 

Le livre d’Asmodée Edern

Ce livre, encore inédit, est la très singulière confession d’un homme qui a traversé les siècles et qui, depuis le premier jour, se bat contre Dieu. Ce texte iconoclaste apporte un éclairage pour le moins révolutionnaire sur le texte fondateur du christianisme et confirme l’idée de Nietzsche: “Qu’est-ce que le Christ nie? Tout ce qui, aujourd’hui, porte le nom de chrétien.” 

Au commencement, était le Mal, est le Mal était avec Dieu et le Mal était Dieu. Plus intime que sa pensée la plus intime, plus lié à Dieu que le souffle ou la puissance, le Mal était en Dieu et a collaboré à toute création. Il a façonné la vie, l’a pétrie de force terrible, il a fait de la vie le reflet des ténèbres où les hommes devraient se débattre pour le plus vif délassement divin. Moi, je peux le dire et le redire, et l’écrire et le hurler aux vents du monde et du néant! Moi, Asmodée l’éternel enchaîné au désert, calomnié, j’ai dénoncé l’imposture et j’acquitte le prix de cette audace comme le feront tous ceux qui, ici ou là, hier ou demain, dévoileront l’horrible nature de Dieu, quelle que soit l’apparence qu’il a prise pour séduire les hommes. Car les hommes sont fragiles et ont soif de réponses apaisantes, sans regard pour le prix dont ils doivent s’acquitter. Dieu se moule à l’image de leurs peurs et de leurs désirs, et ainsi se les attache. Ils payent de leur liberté et de leur vie, et se font rembourser en monnaie de singe! Je m’appelle Asmodée, Asmodée Edern, qui jamais n’abandonnera la lutte contre l’Imposteur et pour les hommes, malgré les hommes. Sous l’influence divine, ils m’ont traité de démon — démon de la colère ou de la luxure, toujours une théorie viendra me calomnier et ruiner mon crédit auprès de ceux que j’essaie de sauver. Ils ne veulent pas de la paix parce qu’ils en ont peur, ils fuient le bonheur parce qu’On leur a fait croire qu’il coûtait toujours trop cher. Et quand vient le moment du décompte, le bonheur est enfui et les hommes sont de frêle mémoire, qui ne considèrent que leur malheur présent. Mais je le sais, moi le supposé démon de la colère, qu’au plus profond d’eux sommeille un enfant qui aspire à la joie et qu’ils finissent par tuer! Je viens en eux, je les secoue, je les bouleverse et c’est pourquoi ils me diabolisent sur les conseils du Grand Anesthésiste. Je les force à rendre gorge de cette meilleure part d’eux-mêmes. Et quand j’y parviens, quand l’être libéré réussit à maintenir ardente cette tension exigeante et magnifique, quand il ne se laisse pas rattraper par les armées insidieuses de Celui qui se veut tout-puissant et unique, alors, dans l’ombre de ce destin qui se découvre et s’assume, je savoure cette victoire et me garde bien d’encore apparaître. Car, contrairement à Lui, j’ai horreur des louanges, des prières, des actions de grâce et des actes de contrition. Je ne donne rien: je donne à être. Et si c’est être démoniaque, vivent les démons! Le père de Sara, par exemple. Un être peu recommandable, tout entier soumis à ce Dieu exécrable. Par force, il voulut contraindre, par sept fois, sa pauvre fille à des noces auxquelles elle se refusait. Son cœur ne voulait pas s’offrir à un inconnu. Par sept fois, je l’ai délivrée. Infinie fut la rage de Dieu! Il dépêcha pour me combattre le plus fourbe des anges, Gabriel, qui ferait croire à un âne qu’il est digne de gouverner le monde. Ils choisirent comme instrument le bon Tobie, un gentil garçon sans doute, mais faible et ignorant. Ils lui enseignèrent de vulgaires tours de magie que le simple prit pour la manifestation de la gloire et de la puissance divines. Les lâches connaissent mes faiblesses: je n’ai jamais su frapper un innocent. Tobie n’a eu aucune peine à me circonvenir, et il ignore toujours qu’il ne doit sa victoire qu’à mon refus de vaincre. Ce que l’on a écrit à ce propos, dans ces pages grotesques tissées d’inepties et que les hommes esclaves vénèrent comme la juste parole du Seigneur, me remplit de colère et de dégoût. Jamais ce freluquet d’archange n’aurait pu me soumettre et m’enchaîner! C’est moi qui suis parti, de mon plein gré, pour le désert, celui de Haute-Égypte d’abord — mais pour un temps seulement. J’en voulais à l’homme d’être si dupe, à si bon compte. J’en voulais, c’est vrai, à la belle Sara de trouver un semblant de bonheur aux côtés de ce béni-oui-oui de Tobie. Pendant quelques siècles, j’ai ruminé ma déception plus que ma colère. Sara et Tobie n’étaient plus qu’un peu de cendres mêlées au sable. Pendant tout ce temps, le Mal s’était répandu, Dieu avait étendu son pouvoir et son royaume, prêt à toutes les métamorphoses pour s’adapter aux goûts de ses proies — multiple et bon vivant pour les Grecs, auxquels il reprochait toutefois de le traiter avec légèreté, unique et terrible pour les Juifs dont il adorait la ferveur et la soumission devant ses innombrables caprices. Jamais je n’aurais dû m’absenter aussi longtemps… Je n’étais plus, dans la conscience humaine — un bien grand mot pour une aussi frêle lumière — que le suppôt du mal et de la luxure… “Le jour où le crime se pare des dépouilles de l’innocence”, écrira plus tard un des rares hommes à avoir débusqué aussi impitoyablement la divine imposture, “c’est l’innocence qui est sommée de fournir ses justifications.” Que me restait-il, que pouvais-je encore espérer? Mais mon opiniâtreté me tient lieu d’une patience que je n’ai pas toujours, et mon impatience s’unit à ma colère pour nourrir ma force et ma volonté. Dieu triomphait, Dieu me croyait à jamais vaincu. Sans doute m’avait-il oublié. J’allais ressurgir. J’allais, en me servant de cette illusion qu’il avait fait admettre aux hommes comme vérité dévoilée, revenir parmi le siècle et obtenir la plus éclatante des revanches, qui à jamais mettrait un terme à sa suprématie. Je le réduirais à un article de bazar pour dépressifs impénitents et jouisseurs de l’extatique souffrance! Je ridiculiserais un à un les lois absurdes et les articles de foi ineptes! Et je révélerais aux hommes et aux femmes qu’ils n’ont de compte à rendre qu’à eux-mêmes, qu’ils sont seuls responsables de leur bonheur et de leurs malheurs.

Des traces de peur

Cette nouvelle, publiée pour la première dans le recueil La vie malgré tout, donne d’Asmodée une image différente de celle des romans italiens. Il joue ici un rôle secondaire mais capital d’inspecteur de police à la retraite. On comprendra in fine que le combat qui se joue est bien toujours le même, pour lui.

“Elle fait qu’à tous, petits et grands, riches et pauvres,  libres et esclaves, soit donnée une marque sur la main droite ou sur le front… ” Ne me demandez pas pourquoi j’ai choisi ce métier plutôt qu’un autre. Je n’en sais rien, pas plus aujourd’hui que le jour où je me suis engagé. Où j’ai signé, comme on dit. Signé un pacte sans savoir alors avec qui, ni à quoi je m’engageais réellement. Ce matin, je suis venu chercher les quelques affaires personnelles qu’en deux ans de service j’ai réussi à amasser dans le coin de bureau que l’on m’avait affecté. Je m’en vais, et j’ignore presque autant les motifs de mon départ que ceux de mon entrée dans cette honorable maison. Mes collègues m’ont regardé à la dérobée, gênés peut-être, silencieux, gauches quand il leur fallait m’ouvrir une porte et me laisser passer, chargé du cercueil en carton où repose mon maigre passé policier.  En deux ans de police criminelle, j’ai appris qu’il n’y avait rien à apprendre, ni rien à prendre. Gabin aurait été content. Mais je n’ai pas envie de le chanter. Je regarde les sols, les murs, les portes, je repère ces traces invisibles que l’on m’a appris à dépister, et surtout, les grandes zones muettes qui les jouxtent, ces absences qui forment une trace plus néfaste encore.  Elle était belle, et dans une autre histoire, on aurait bien voulu prendre le temps de lui parler, de lui inventer un petit bonheur sur mesure, pour elle seule. Mais il n’y avait plus rien à inventer, le temps l’avait happée avant que je la rencontre, et le pouls de ma montre me parut sacrilège. C’est un voisin qui nous avait alertés, lorsqu’il avait découvert la porte de son appartement grande ouverte, et son corps dans le couloir, bien visible, sans quoi il n’aurait sans doute rien remarqué. Si on devait demander à la police d’enfoncer toutes les portes ouvertes… L’inspecteur principal Bertrand était de mauvaise humeur, il répétait souvent qu’un cadavre matinal lui gâtait sa journée et faisait cailler son café au lait. C’était un manque de savoir-vivre, grommelait-il, et ça, c’était son trait d’humour favori, qui n’avait toutefois jamais ressuscité personne. J’étais depuis trois semaines dans son service, et je le suivais fidèlement, essayant de prendre exemple sur cet expert qui ne m’adressait pas souvent la parole. C’était une caricature d’inspecteur, et moi, de potache consciencieux qui rêvait de devenir un jour caricature principale à la place de la caricature principale. Notre morte semblait le déranger plus que de coutume, et pas seulement à cause du café caillé. Il faut dire que nous avions alors d’autres chats écrasés à enterrer, et que le climat n’était pas idéal pour la réputation de notre institution. Moi, je la trouvais touchante, mais Bertrand refusait de s’attacher plus que de raison. Non pas qu’il la trouvât laide. Il avait même déclaré, lorsqu’un policier était venu lui glisser les quelques éléments que l’on possédait sur l’identité de la victime : « Sarah L… Décidément, ceux-là, quand ils se mettent à être bien roulés, ils sont bien roulés. Enfin, ça ne l’aidera plus beaucoup, maintenant… » Ensuite, il avait tourné quelques minutes dans l’appartement, sans cacher qu’il s’ennuyait et qu’il aurait voulu s’en aller. Il n’y avait pas de famille, et Sarah — dès ce moment, je me souviens, je l’appelais par son prénom — ne pourrait pas lui en vouloir de cette désinvolture. Pas d’indice, pas de mobile apparent, pas la moindre trace. Un corps mené à l’état de cadavre sous l’action d’une strangulation, et bien entendu, l’assassin portait des gants. Après avoir inspecté les lieux distraitement, Bertrand était revenu dans le corridor et avait fait un geste du menton aux brancardiers pour qu’ils laissent tomber le rideau sur ce spectacle sans autre intérêt que la beauté, trop froide, de l’actrice. « Celle-là, je vous la laisse. Vous devriez être content, pas vrai, mon petit David ? » Et les deux caricatures se saluèrent, heureuses chacune de pouvoir compter sur la bêtise de l’autre. Je me retrouvais seul avec mon premier client rien qu’à moi, ma première cliente plutôt, la belle Sarah, qui venait de disparaître sous sa dernière combinaison protocolaire. Et avec les quelques flics qui traînaient encore dans l’appartement, à la recherche du temps gagné à ne pas faire autre chose dans un endroit moins chauffé. Un stagiaire enthousiaste menait son enquête auprès de tous les habitants de l’immeuble, il était occupé pour toute la journée, et ce soir, j’aurais le plaisir d’écouter son rapport, en prenant les poses d’un supérieur, étudiées patiemment. C’est la grande sagesse de la police, d’avoir prévu, à tous les étages de la hiérarchie, des inférieurs heureux et fiers de pouvoir profiter de cette belle règle avec d’autres subalternes. Pour montrer à tous que j’étais digne de ma promotion, je refis une visite approfondie de l’appartement. Je fouillai dans les tiroirs, examinai la tranche des livres, feuilletai les albums de photos. Des visages inconnus qui entouraient parfois celui de Sarah. On ne lui connaissait pas de famille, pourtant. Qui étaient ces gens ? Rien que des images, sans la moindre légende, pas même une date. Et visiblement, un classement anarchique : des clichés qui s’accumulent dans des boîtes à chaussure durant des années, qui suivent les déménagements jusqu’au soir de grande résolution où on les plaque pêle-mêle sur le carton épais, comme pour se convaincre qu’on est enfin arrivé à bon port, qu’on ne partira plus et que le passé peut lui aussi déposer ses bagages. Sans trop savoir ce que je pourrais en obtenir, je décidai d’emporter un des albums. Une idée stupide me vint de questionner la victime, du moins son corps figé, mais on venait de l’embarquer pour la morgue. Il ne me restait qu’à partir, et à sacrifier au rituel interrogatoire de la concierge qui découvre subitement qu’elle avait deviné bien des choses et qu’il fallait s’y attendre, ou au contraire qu’on ne l’aurait jamais cru, une jeune fille si convenable. Raté, c’était un concierge, portugais, qui ne la connaissait pour ainsi dire pas, Sarah, elle n’était là que depuis quelques semaines et ses horaires ne coïncidaient pas avec ceux de la pause cigarette que João prenait régulièrement dans le long couloir sombre qui menait à la rue. Midi vint frapper à l’estomac du sous-inspecteur qui me suivait, et j’ignorais complètement comment j’allais mener mon enquête. Je ne disposais d’aucun élément, d’aucun indice. Je n’avais qu’une belle morte, et quoi qu’on en dise, ça ne suffit pas. Je rentrai dans nos bureaux avec l’album sous le bras, et le sous-inspecteur dans mon ombre, mâchonnant un jambon beurre acheté en hâte. Je ne mangeai rien, ce qui accrut sans doute mon prestige, mais ne me fit pas avancer d’une miette dans mon enquête. Après son café, Bertrand poussa la porte et me demanda : « Alors, David, ça marche avec votre Sarah ? » J’eus un mouvement plongeant des paupières vers mes feuilles, pour lui faire croire que je planchais ferme. Il repartit sans chercher à en savoir davantage, peu désireux de gâcher une nouvelle ration de café. Trois semaines plus tard, j’étais toujours plongé dans l’album de photos, et dans la même perplexité. Le stagiaire avait ramené un filet de pêche totalement vide, nul ne semblait connaître Sarah. Elle ne travaillait pas, ne fréquentait personne, n’était inscrite à aucun organisme social ou culturel. Pas une âme ne vint prendre de ses nouvelles dans les jours qui suivirent, pas une lettre n’échoua dans sa boîte. Je lui avais rendu une visite à la morgue, sans espoir particulier, et j’en étais malgré tout ressorti un peu déçu. Elle ne m’aidait pas, pourtant, ç’aurait dû la concerner, il s’agissait de son meurtrier après tout. Mais non ; son corps glacé me renvoyait à ma quête, et lorsque j’y resongeai, quelques heures plus tard, une fois ma déception calmée, je dus lui donner raison : un cadavre ne peut que rester de glace devant la découverte de son assassin. Bertrand, lui, semblait heureux de me voir absorbé par une enquête mineure. Il me demandait tous les matins des nouvelles de « ma Sarah » et repartait sans attendre ma réponse balbutiante, en se permettant parfois un sourire pour accompagner sa nouvelle boutade : « Vous êtes faits l’un pour l’autre ! »  Après un mois, l’assassin courait toujours. J’avais repris du service dans l’ombre de Bertrand, espérant Sarah sait quel indice puisé au creuset d’une autre affaire. Le principal ne me faisait aucun reproche. Parfois, mais de moins en moins souvent, il me demandait comment marchait mon couple. Après dix semaines, il dit simplement : « J’ai l’impression que nous allons classer l’affaire. » Je ne sus que lui répondre. Pourtant, je ne voulais pas enterrer le dossier avec Sarah. C’était une question de… de quoi ? Un matin gris, au chevet d’un noyé gâcheur de café, Bertrand proclama : « Je vous laisse six jours, David. Après, vous direz adieu à Sarah. » Un frisson me parcourut, et je contemplai le macchabée avec un regard qu’il aurait pu prendre pour de l’envie. Dix jours… Cela ne me laissait guère le temps… Pas le moindre indice, pas la moindre piste. J’avais envoyé quelques photographies à l’identification : résultat nul. Les empreintes digitales relevées qui n’appartenaient pas à Sarah n’étaient pas recensées dans nos fichiers. Rien, rien, rien. Et plus qu’une petite semaine. Bertrand se releva lentement, en ménageant ses vertèbres, et me regarda en souriant. Puis, comme le maître de jeu qui consent enfin à venir en aide au candidat malchanceux, il glissa distraitement : « Vous devriez demander conseil à Asmodée Edern, un ancien de chez nous. Il n’avait pas son pareil pour démêler des affaires sans indices. Il ne nous a jamais expliqué son truc, et maintenant, il a pris sa retraite. Peut-être acceptera-t-il de transmettre l’héritage au jeune David, pour l’aider contre le Goliath du crime… »  On a beau être de la police, il y a des choses qui vous échappent, même quand on a le nez dessus. Ainsi, cet Asmodée : une véritable légende dans les bureaux, dont je n’avais jamais entendu parler. En tremblant, j’entrepris de l’appeler au numéro qu’un collègue m’avait communiqué avec un sourire étrange. Une voix très grave me répondit à contrecœur. Je m’emberlificotai en expliquant le motif de mon appel, et durant tout ce temps, j’eus la désagréable impression de parler au néant. Puis, lorsque j’eus fini ma désastreuse présentation, il y eut un silence qui éclata sur ces mots rocailleux : « Ce soir, 21 heures, Chez Jean. »  Chez Jean est une taverne vieillotte, au sous-sol d’un immeuble anodin, quelque part dans le centre-ville. On y accède après quelques marches glissantes qui vous font cogner contre une porte lourde et crasseuse. Derrière, une longue salle sombre et enfumée, de laquelle jaillissent des relents de jazz et de whisky. Mon sauveur avait le goût de la mise en scène, ou le mauvais goût des clichés empoussiérés. Un homme âgé, aux cheveux tumultueux, me regarda entrer et m’avancer dans sa direction, puisqu’il ne pouvait s’agir que d’Asmodée Edern. Il me fit signe de m’asseoir en face de lui. Il portait un complet trois-pièces noir, avec une chemise blanche tendue sur une poitrine trop large. Un incroyable serveur s’approcha de notre table en minaudant avant que nous ayons pu échanger la moindre parole : « Oh, inspecteur, quelle élégance ! Ce costume vous fait un ravissant cœur noir ! » Asmodée lui commanda deux whiskies et lui fit signe de s’éloigner sans me laisser le temps de m’interroger sur ces propos absurdes et cette intonation ridicule. « Ainsi donc, vous vous appelez David… » Et il me dévisagea pesamment, me laissant transpirer et n’écoutant pas mes balbutiements lamentables. Le serveur revint en ondulant déposer deux verres et repartit après m’avoir dévisagé et souri sirupeusement. Asmodée but une gorgée, et je faillis m’étrangler en vidant mon verre d’une traite. « Racontez-moi votre crime, David… » dit-il comme s’il attendait que je confesse mes méfaits. Tant bien que mal, je lui fis le récit de la mort de Sarah. « Effectivement, il n’y a pas grand-chose pour vous aider… Pas de traces, pas de mobiles, pas d’amis, pas de connaissances… On classe, on classe. Et le meurtrier repart de plus belle. » Il laissa à nouveau un silence de première classe défiler devant nous, et prit cette expression des veufs qui ignorent encore s’ils sont affligés ou soulagés. Je me demandais comment ce personnage rocambolesque pouvait bien nous aider, Sarah et moi, mais comme je ne disposais d’aucun autre recours, j’attendis patiemment que le cortège s’éloigne. « Bertrand vous a sans doute dit que j’avais ce qu’il appelle un ‘truc’ pour éclaircir ce genre d’affaire… Il pense que, grâce à vous, il parviendra enfin à m’arracher mon secret… Car, voyez-vous, il a raison. J’ai un truc infaillible, ou presque, pour dépister les assassins qui ne laissent aucune trace. » J’avais eu raison d’être patient, ça devenait intéressant. « Un truc ? » osai-je timidement, avec force expression entre les guillemets. Il fit mine de ne pas m’avoir entendu. « Mais voilà, quand bien même je le dirais à Bertrand, il ne pourrait rien en faire. Car je ne peux transmettre ce secret, cette méthode, à n’importe qui. Il faut un don. » Il choisit cet instant pour me dévisager une fois encore, pour me décortiquer. Aurais-je « le » don ? L’inquiétude des proclamations de fin d’année me reprit. « Je ne dirai rien à Bertrand… », balbutiai-je. Il sourit. « Ça vaudrait mieux, en effet. À son âge, il convient de lui épargner faux espoirs et efforts épuisants. Mais là n’est pas la question. Elle réside plutôt dans le temps qu’il me reste à vivre. Car, pour mon malheur, je suis détenteur d’un secret qui ne peut mourir avec moi. Ne me demandez pas pourquoi, vous comprendrez assez vite. Vous êtes sympathique, si on veut, mais je ne sais si vous réussirez à apprendre. Pourtant, je pense n’avoir pas le choix… » Voilà. J’étais premier de classe, parce que seul inscrit. Premier, et dernier à la fois. Leçon préliminaire : la modestie. L’humilité. Edern fit signe à la parodie de garçon de nous resservir la même chose. « Buvez, je vais vous raconter… » Il se redressa sur sa banquette, vida son verre et prit sa respiration. Depuis combien d’années attendait-il ce moment ? « Sur quoi se base-t-on, dans la police, pour faire une enquête lorsqu’on découvre un cadavre ? Sur les traces, les empreintes digitales, les objets que le meurtrier aurait laissés derrière lui, les témoignages, les mobiles… Or, quand tous ces détails manquent, comme c’est le cas pour votre Sarah, que peut-on faire ? Confier le dossier à un jeunot, puisque de toute façon on n’aboutira à rien et qu’on a autre chose sur le feu, de plus rentable à défaut d’être plus important. Et quelques semaines plus tard, on enterre le dossier et le cadavre, et on a la chance de récupérer un adjoint rendu à une saine humilité, qui comprend que ce n’est pas demain la veille qu’il prendra votre place. Bertrand, et les autres, ont toujours agi de la sorte. C’est normal. De toute façon, il n’y a pas d’autre solution, sauf classer de suite l’affaire, ce qui donne mauvaise impression si la presse met le nez dedans. Et de pauvres types comme vous piétinent des jours durant dans le vide, pris d’insomnie, convaincus subitement qu’ils n’accéderont jamais aux échelons supérieurs de notre belle administration, tout ça parce que le salaud qui a commis le meurtre a pris la précaution de prendre des gants et de travailler proprement. Pourtant, si vous saviez que les êtres laissent derrière eux des empreintes bien plus tenaces et parlantes que celles de leurs doigts… » Il avait le sens du suspens, Asmodée Edern. Je l’imaginais bien lecteur de nouvelles policières, tard le soir sur une radio de service publique. J’avais des frissons dans le dos, et pourtant, j’étais du métier. « Des traces de peur, David, de peur, oui, vous m’avez bien entendu. Tout le monde laisse cette trace, et pas une ne ressemble à une autre. La vôtre, par exemple, est très belle, surtout en ce moment. Vous en éclaboussez toute la banquette. Bleue fluorescente, si vous voulez que je vous dise, avec un centre doré et des reflets gris. Bravo. Vous avez une peur de grande qualité. Tout le monde sème autour de lui cet indice ineffaçable, d’autant plus que personne ne le sait. Même les criminels les plus endurcis. J’ai eu la chance, durant le procès de Nuremberg, d’approcher les hauts dignitaires nazis, d’examiner leurs vêtements. Au fond de leurs gants, il y avait la marque de leur peur, petite, certes, mais présente, indestructible. Je vous le dis, il n’est pas un être humain qui ne laisse derrière lui la signature de sa peur. » Là, dans la grande tradition des conteurs oraux, je compris que l’auditeur devait intervenir pour laisser l’autre boire un peu et donner un certain rythme à son récit. — Mais c’est extraordinaire ! Grâce à cette méthode, plus aucun assassin ne pourra demeurer impuni ! Pourquoi ne l’avez-vous pas enseignée plus tôt ? — Calmez-vous, mon petit. Si les choses étaient aussi simples que vous le dites, ce secret n’en serait plus un depuis longtemps, et les criminels auraient trouvé sans doute une parade quelconque. Le problème réside dans le regard. Personne, ou presque, ne voit ces traces. Je serais d’ailleurs bien en peine de vous expliquer comment ce pouvoir m’est venu… Laissons cela pour une autre fois.  — Et maintenant ? — Je ne sais pas si je parviendrai à vous enseigner ce regard, David. Nous allons essayer. Si je réussis, nous irons voir l’appartement de Sarah, et Sarah elle-même. Alors, vous pourrez découvrir son assassin, et elle pourra reposer en paix.   Je pris une semaine de congé pour suivre les cours d’Asmodée Edern. Bertrand devait se douter de quelque chose. Peut-être espérait-il que cette ruse allait enfin lui permettre d’arracher le secret de son ancien collègue. Il ne me dit rien, pourtant, et je fis de même. Il serait bien temps d’aviser. Durant six jours, Asmodée m’entraîna dans les endroits les plus divers. Nous restions parfois assis sur un banc, le long d’un boulevard, et il tentait de me faire entrevoir les myriades de traces de peur qui se chevauchaient. « Aucune ne s’efface vraiment. Elles se recouvrent mutuellement, comme des couches de peinture. Plus ton regard est perçant, plus tu peux remonter loin. À mon âge, je remonte, dans des endroits très fréquentés, jusqu’à la Révolution. Fameuse période ! Je peux t’assurer que les éclaboussures d’alors sont particulièrement lumineuses ! » Lentement, il me sembla que je commençais à déceler des lueurs, des zones huileuses sur les trottoirs, sur les murs, les chaises, les fenêtres. C’était flou encore, on ne pouvait parler de couleurs ni de formes précises, mais je perdais petit à petit la vision commune du monde pour plonger dans une réalité bariolée, mouvante, où deux univers cohabitaient en s’ignorant superbement. Le quatrième jour, alors que cette vision parallèle gagnait en acuité, la peur me prit. J’avais l’impression que ce savoir me rendrait à jamais différent, extraterrestre presque, seul habitant d’une planète dont je ne pourrais parler à personne mais pourtant habitée par tous ceux que je fréquenterais. Asmodée, toutefois, était fier de moi : « Je n’osais plus croire que je rencontrerais un jour un disciple digne de déchiffrer le livre de la peur des hommes… Je comprends ton angoisse, qui jette des éclairs magnifiques, tiens, regarde… » À mes pieds, en effet, je découvris une longue traînée bleu vif, avec des éclairs de feu. Je sursautai et fis un écart. « De pareils savoirs sont à la fois doux à la bouche et amers au ventre, mon pauvre David. Mais dès qu’on y a goûté, on ne peut plus se passer de leur saveur. Tu voulais découvrir ; tu ne pourras plus oublier, ni te fermer les yeux. » Je dormais mal. Pourtant, la nuit était le seul endroit où mes yeux n’étaient pas accablés par ces nouvelles visions. Cette étrange malédiction, qui devait me permettre de venger Sarah, avait fait de moi, si rapidement, un être totalement différent. Je devrais m’habituer, comme me l’assurait mon maître. Le dernier jour, il me demanda de nous conduire à une adresse dans le 7e arrondissement. Une voiture de police au bas de l’immeuble me fit comprendre qu’Asmodée voulait tester mes nouvelles connaissances. Bertrand était sur les lieux et parut surpris de nous voir arriver. Il vint serrer la main de son ancien collègue et me dévisagea curieusement, avide de savoir si j’étais détenteur du « truc ». Quand il nous quitta, Asmodée me cligna de l’œil en désignant l’ombre de l’inspecteur principal. Je faillis éclater de rire : sa peur s’effilochait en lambeaux du plus mauvais goût. On aurait dit les hardes d’une bohémienne. « Tu comprends pourquoi je n’ai jamais voulu confier mon secret à Bertrand… » me glissa Asmodée à l’oreille. La morte était une femme sans âge, découverte noyée dans sa baignoire. Le mari avait appelé la police. Il pleurait dans le salon. Il était rentré de son travail, comme d’habitude, vers 17 heures, et avait trouvé le cadavre là où il flottait encore. Asmodée et moi nous glissâmes dans la salle de bains. Des éclaboussures de peur toutes fraîches se mêlaient à celles de l’eau refroidie. Très nettes, me sembla-t-il. Sur le corps de la victime, sur sa cheville, différentes des siennes, qui nimbaient son corps, plus vertes. La méthode était évidente : on l’avait prise par le pied pour la tirer brutalement. La mort avait été immédiate, et le visage ne trahissait pas l’expression effarée des noyées. Asmodée m’observait, en souriant. De retour dans le salon, je fus à peine surpris de remarquer que les traces sur la cheville correspondaient à celles qui émanaient du mari éploré. Asmodée me fit signe, et lorsque Bertrand se retourna, dans l’espoir que nous l’aiderions à clore cette affaire plus rapidement, nous étions déjà partis. « Ne t’en fais pas pour le principal. Il trouvera sans notre aide. Je voulais simplement mettre tes compétences à l’épreuve. Maintenant, allons rendre visite à Sarah. Il te faut d’abord repérer les couleurs et les formes de sa peur, pour ne pas les confondre, chez elle, avec celles de son assassin. » À la morgue, le préposé nous conduisit directement à Sarah, sans rien demander. Il me connaissait, à présent, et devait me prendre pour un proche davantage que pour un flic. Il ouvrit le tiroir, et Sarah vint à nous, majestueuse. Des larmes me vinrent aux yeux, bêtement. Je me tournai vers Asmodée, et je vis que lui aussi semblait étonnamment ému. Je reposai mon regard sur Sarah, pour découvrir ce que j’ignorais encore d’elle. Sa peur lui avait tissé un ample manteau jaune, pâle dans l’ensemble mais dont certains pans scintillaient doucement. « Une femme vêtue de soleil, avec la lune sous ses pieds… Ainsi donc, elle s’appelait Sarah… Je lui aurais donné un autre nom… » La voix d’Edern était nouée, et je n’osai lui en demander la raison. Il se ressaisit. « Viens, il n’y a pas trace de son assassin sur son corps, comme tu le vois. Il faudrait disposer de ses vêtements. Mais il y aura sûrement des marques sur les murs de l’appartement. »  ***  J’ai laissé la caisse contenant mon passé de flic dans la voiture, au pied de chez Sarah. Avec le double que je me suis fait faire à l’insu de Bertrand, j’ai une dernière fois pénétré dans ce lieu maudit. Pour une ultime inspection. À gauche, les flaques ridicules de Bertrand, qui ne me font même plus sourire. Celles des autres policiers qui étaient présents lors de la découverte du crime. Les miennes, un peu partout. Sur le seuil, celles des voisins ameutés. Sur le parquet, devant la silhouette de Sarah, une étoile magnifique et dramatique : la dernière trace d’Asmodée Edern, multicolore, flamboyante, grandiose. Celle qu’il avait laissée échapper lorsqu’il avait compris, peu de temps avant moi, qu’il n’y avait pas la moindre trace de l’assassin. « Nous arrivons trop tard, David », avait-il murmuré d’une voix étranglée. « Le dragon s’est mis en colère contre la femme et s’en est allé faire la guerre au reste de sa descendance… » Nous étions retournés dans la rue en silence. Asmodée semblait vieilli de vingt ans, et à son âge, cela ne pardonnait pas. Il avait posé la main sur mon épaule et m’avait regardé tristement : « Je m’en veux, David. Je t’ai confié un savoir qui ne te sera plus d’aucune aide. À cause de lui, tu verras advenir ce qui doit advenir, impuissant, et la douleur du savoir doublera celle de ta chair. » Je ne comprenais pas pourquoi il me parlait subitement comme un prêtre, mais moi aussi, j’avais peur de cette découverte : l’assassin de Sarah ne laissait pas de trace de peur. J’aurais pu croire qu’Asmodée n’était qu’un vieux fou, et qu’il m’avait raconté des histoires. Mais mes yeux ne pouvaient plus ne pas voir les myriades de taches qui recouvraient l’univers. Mais je ne pouvais oublier le corps nimbé de soleil de Sarah. Mais le vide laissé par son assassin était trop effrayant. Mais Asmodée avait disparu, et je n’avais pu le retrouver. Mais quelque voix en moi… Trois jours plus tard, durant lesquels j’ai tenté de revoir Asmodée et visité dix fois encore l’appartement de Sarah, j’ai remis ma démission à Bertrand. Il a eu l’air très surpris, et très déçu. « Alors, ce truc, ce n’était que du vent, un coup de chance ? » Maintenant, je suis chez Sarah, et elle dort bien au froid dans cette morgue qu’elle quittera bientôt. J’ai poussé une chaise devant la fenêtre d’où on voit la ville indifférente, le soleil en agonie et la lune, déjà, qui ricane. Il y a même une étoile, sur la ligne de l’horizon.

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