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ULB - UCL : mêmes scandales ?

Dernière mise à jour : 6 nov. 2023



Une semaine après la remise par l’ULB du titre de Docteur Honoris Causa à Ken Loach, l’UCL suscite l’émoi en organisation, dans le cadre de la prestigieuse Chaire Francqui, un colloque portant sur « Contrôles et hospitalités : vers des politiques migratoires qui renforcent la démocratie contemporaine ». A priori, un sujet majeur et sensible, qui ne devrait susciter aucune réaction. Mais les mêmes qui s’étaient indignés de la présence de Ken Loach s’en prennent aujourd’hui à l’UCL parce qu’un des invités n’est autre que le ministre de la Justice hongrois, László Trócsányi.


Dans un communiqué où les responsables du Centre Communautaire Laïc Juif de Bruxelles (CCLJ) expriment leur consternation, il est rappelé les griefs que l’on est en droit de porter à l’encontre du gouvernement de Viktor Orban, et que j’ai très régulièrement évoqués dans mes chroniques : dérive autoritaire, atteintes aux libertés fondamentales, antisémitisme. Je rappelais récemment dans une autre chronique les paroles d’Orban, visant Soros : « Nous combattons un ennemi différent de nous. Pas ouvert, mais caché ; pas simple mais astucieux ; pas honnête mais basique ; pas national mais international ; qui ne croit pas au travail mais qui spécule avec de l’argent ; qui n’a pas sa propre patrie mais qui estime qu’il possède le monde entier. » (cité par Mediapart). Difficile de condenser en si peu de mots tous les clichés antisémites…

Le ministre Trócsányi est un homme extrêmement affable, qui parle bien français, et qui est très brièvement passé à l’UCL (de même que pas mal de cadres du PTB au demeurant). Comme Jan Jambon chez nous, il est policé, s’exprime avec modération, comme on peut le constater lors de cette longue interview sur France24 où la journaliste lui pose des questions précises et dérangeantes. Ceux qui veulent être convaincus que la Hongrie est un pays tout à fait démocratique qui ne fait qu’appliquer les lois internationales y trouveront certainement de quoi conforter leur conviction.


Le rapport de la Commission du Parlement européen

Sauf que le ministre fait rapidement l’impasse sur l’enquête menée par le Parlement européen concernant un « risque clair de violation par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée. » Or, un projet de rapport a été rendu le 12 avril dernier, et celui-ci est inquiétant. La liste des préoccupations du Parlement est déjà accablante :


  1. Le fonctionnement du système constitutionnel

  2. L’indépendance du pouvoir judiciaire et d’autres institutions

  3. La corruption et les conflits d’intérêts

  4. La protection des données et de la vie privée

  5. La liberté d’expression

  6. La liberté académique

  7. La liberté de religion

  8. La liberté d’association

  9. Le droit à l’égalité de traitement

  10. Les droits des personnes appartenant à des minorités, y compris des Roms et des Juifs

  11. Les droits fondamentaux des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés

  12. Les droits sociaux

Le projet de rapport détaille pour chaque domaine les éléments qui justifient ces craintes et conclut qu’il « existe un risque clair de violation grave, par la Hongrie, des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée », ce qui permet de mettre en œuvre l’article 7 du traité de l’UE.

Donc, même si M. Trócsányi est un homme policé et sympathique en apparence, il n’en représente pas moins un gouvernement qui met en place une politique antidémocratique.

Faut-il, dès lors, lui interdire de participer à ce colloque organisé par l’UCL ?


Cordon sanitaire et liberté académique

Cela fait plus de 20 ans que l’on débat de l’utilité d’établir un « cordon sanitaire » autour des partis d’extrême droite ou des personnes qui défendent de telles idées et de telles positions. On sait comment Mitterrand a instrumentalisé les médias en imposant que Le Pen et les membres du FN puissent y accéder, afin d’affaiblir la droite et de conforter sa position. Si le Vlaamse Belang est toujours interdit d’antenne au Sud du pays, nombre de ses idées ont percolé dans la N-VA et sont régulièrement et sans honte présentées sur tous les médias. Tous les jours, les membres des comités de rédaction sont confrontés à ce dilemme : faut-il répercuter les déclarations plus ou moins scandaleuses de tel ou tel? Le faire, c’est lui donner une chambre de résonance ; ne pas le faire aussi. Dans ce jeu, les ennemis de la démocratie ont toujours une longueur d’avance, car ils profitent des acquis démocratiques pour affaiblir la démocratie.

Par ailleurs, la liberté académique est fondamentale. Elle s’inscrit dans la liberté d’expression mais y apporte une spécificité : la liberté de mener des recherches et d’en communiquer les résultats en toute indépendance, même si cela dérange celles et ceux qui dirigent le pays ou ses entreprises. Les recherches que des académiques entreprennent ne doivent pas être justifiées à l’avance, car il est souvent impossible de savoir quels résultats elles vont donner. Pour être féconde, la recherche doit être « gratuite », autrement dit ne pas être conditionnée par des objectifs de rentabilité (quelle que soit la « monnaie » que l’on utilise pour jauger cette rentabilité). Elle doit aussi être impertinente pour être pertinente.

Cette liberté est dans la liste des atteintes portées par le gouvernement hongrois aux droits fondamentaux, de même que la liberté d’expression. Doit-on, du coup, demander aux organisateurs du colloque de fermer la porte à M. Trócsányi ?

On peut penser que c’était une erreur de l’inviter, ou qu’il aurait fallu, face à lui, inviter un représentant de la société civile hongrois qui s’oppose aux gouvernement sur ces questions. Cela fait partie de la liberté académique et d’expression de dire que c’est une erreur, et c’est mon avis ; mais il en va de même pour les responsables de la Chaire Francqui, qui ont le droit de défendre leur décision et d’aller au bout de ce processus.


Logique jusqu’où ?

Dans ma chronique sur l’affaire Ken Loach, je reprenais cette parole de Camus, selon laquelle il est simple d’être logique, mais difficile de l’être jusqu’au bout. J’ai défendu la décision de l’ULB ; vais-je m’opposer à celle de l’UCL ? Je pourrais le faire en argumentant, d’abord, que selon moi les accusations d’antisémitisme portées à l’encontre de Ken Loach ne sont pas fondées. On pourrait dire aussi qu’il ne représente que lui-même, qu’il était un des récipiendaires (et qu’aucun des autres ne s’est opposé à sa présence), alors que M. Trócsányi représente un gouvernement et que les accusations portées à l’encontre de ce gouvernement sont fondées – ce que confirme le projet de rapport de la commission du Parlement européen.

Connaissant les membres du comité d’organisation, je n’ai cependant aucun doute sur leur engagement démocratique et leur opposition, à tout le moins leur vigilance face aux mesures controversées du gouvernement hongrois. Lorsque je vois les noms de celles et ceux qui vont prendre la parole, j’imagine aisément que M. Trócsányi ne va pas spécialement passer un bon moment : il aura en face de lui des hommes et des femmes qui vont le questionner et qui ne se satisferont pas de réponses superficielles et incomplètes. Ce sera sans doute pour lui l’occasion de mesurer que l’opposition à son gouvernement n’est pas seulement le fait de quelques « islamo-gauchistes » écervelés, que la démocratie n’est pas encore morte et que les valeurs sur lesquelles l’Europe doit se construire ne sont pas seulement des mots creux que même leurs fossoyeurs peuvent utiliser pour se donner bonne conscience.


La très difficile question de l’antisémitisme

Un point commun avec l’affaire Loach est la question (et l’accusation) d’antisémitisme. À mes yeux, je l’ai assez dit, Loach n’est pas antisémite – et le simple d’avoir défendu et argumenté ce point de vue m’a valu de me faire traiter… d’antisémite et de révisionniste !

Je n’ai aucun élément permettant d’accuser M. Trócsányi mais, comme je l’écris plus haut, des déclarations de M. Orban peuvent suffire à soupçonner clairement des préjugés antisémites dans le chef des dirigeants hongrois. Récemment, je rappelais combien la loi Moureaux (qui criminalise l’incitation au racisme et à l’antisémitisme), quoique très utile (comme le cordon sanitaire) pouvait être retournée par celles et ceux qu’elle devrait viser. Marcel Sel en fait les frais ; il s’en est pris à Michel Collon, qui, avec l’aide du PTB, l’assigne en justice pour l’avoir qualifié (arguments à l’appui) d’antisémite. Le but de la manœuvre est sans doute de créer une jurisprudence – comme le font des membres de la N-VA sur la question du racisme – afin de dissuader la presse (quelle qu’en soit la forme ou le medium) de porter de tels jugements sur l’une ou l’autre personnalité publique.


En l’occurrence, j’estime toutefois que le débat est ailleurs ; le colloque a pour objet d’affronter la question cruciale de l’accueil des réfugiés, une des plus grande faillite de l’Europe, une honte que nos enfants seront en droit de nous reprocher longtemps. Il ne faut pas se tromper de combat, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas dénoncer l’antisémitisme partout où il se développe (et sans utiliser l’accusation pour rejeter toute critique du gouvernement israélien) et légitimement interpeller les organisateurs du colloque. Mais si on veut, comme l’indique l’intitulé du colloque, mettre en œuvre des « politiques migratoires qui renforcent la démocratie contemporaine », il est indispensable de convoquer, pour ces débats, celles et ceux qui menacent la démocratie contemporaine par leurs politiques migratoires afin qu’ils soient confrontés à des interpellations fondées, argumentées, comme peuvent et doivent le faire des académiques compétents qui s’engagent dans des questions de société aussi cruciales.

Les organisateurs auraient pu jouer la carte de « l’entre-soi » ; ne réunir autour de la table que des personnes partageant les mêmes points de vue. Les dirigeants, ceux qui ont le pouvoir d’appliquer les politiques migratoires les plus injustes et les plus inhumaines, auraient eu beau jeu de balayer les conclusions de ce colloque d’un revers de main méprisant. Masturbation intellectuelle d’universitaires en mal de reconnaissance… Comme Berlusconi accusant les juges qui le poursuivent d’être des bolchéviques, les Orban et autres Francken auraient ironisé sur ces universitaires gauchistes et bobos, coupés des réalités du monde, voire « collabos », prêts à porter main forte à ceux qui s’en viennent, en horde, saccager notre Europe blanche et chrétienne. La droite maurassienne et pétainiste ne traitait pas autrement les intellectuels d’alors, responsables selon eux de la décadence et de la défaite de la France.


L’occasion d’un débat

À la différence d’une remise d’un DHC, un colloque est public et est, par définition, un moment de débat. Toutes celles et ceux qui s’opposent à la politique hongroise peuvent s’y inscrire et s’y rendre pour poser des questions et entendre les réponses. Je suis certain qu’ils et elles seront nombreux. M.Trócsányi n’est pas l’invité d’honneur du colloque, on ne lui remet aucune médaille, aucune distinction ; ce n’est pas davantage un tribunal. Puisque le risque a été pris d’inviter un représentant du gouvernement hongrois, il faut que cette rencontre soit un exercice de démocratie et d’intelligence, exercice difficile certes, car il se joue sur un fil tendu – celui d’un cordon sanitaire qui s’effiloche de plus en plus.

On peut faire un parallèle avec l’intelligence artificielle : elle effraie beaucoup de monde, mais on ne peut pas nier son existence, moins encore le fait qu’elle prendra une place toujours plus grande dans notre monde. L’extrême droite, les atteintes à la démocratie sont aussi réelles et gangrènent notre société ; il faut les affronter de face, manifester clairement à celles et ceux qui les représentent et les portent que nous ne sommes pas prêt.e.s à les laisser agir impunément. Là où le parallèle s’arrête, c’est sur l’utilité : l’intelligence artificielle bien contrôlée peut servir l’humanité. L’extrême droite est l’ennemie de l’humanité et doit être réduite autant que faire se peut. Comment ? Grâce à l’intelligence, sans artifice.

Bien sûr, cette condition nécessaire ne sera pas suffisante. Mais chacun doit mener le combat avec ses armes. L’arme des universitaires, c’est la réflexion, la confrontation aux lois, aux valeurs, aux faits. En acceptant cette invitation, M. Trócsányi et le gouvernement auquel il collabore ne pourront plus, quoi qu’ils en disent, agir tout à fait de la même manière.


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