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Et pendant ce temps-là, au Kurdistan…


La crise – ou plutôt les crises – qui secoue le Proche-Orient depuis longtemps est d’une effroyable complexité. Il y a cependant quelques lignes de force communes, qui apparaissent lorsque l’on fait un zoom sur le facteur humain. Autrement dit, celui dont on tient le moins compte, la chair à canon, le facteur d’ajustement…


Plusieurs essais ont marqué notre époque : Ces maladesou Ces psychopathes qui nous gouvernent. Qu’ils soient malades ou psychopathes, nos gouvernants – pas tous élus démocratiquement pour ce qui concerne la région en question – sont certainement conduits par le sacro-saint principe de la real politik, qui fait peu de cas du facteur humain et vise les intérêts de la nation, le plus souvent à court terme. Ainsi, les Américains ont soutenu les talibans contre les Russes, sans imaginer qu’un jour, ce Ben Laden se retournerait contre eux. Et pendant ce temps, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants subissent les horreurs d’une guerre contre laquelle ils ne peuvent rien, qu’ils n’ont pas voulue et qui ne leur apporte que mort et destruction.

Il y a quelques semaines, Trump – qui combine sans doute les deux tares, malade et psychopathe – a annoncé le retrait des forces américaines de Syrie. En clair, cela signifiait qu’il livrait les Kurdes aux armées d’Erdogan. Tollé dans les sphères du pouvoir américain, effrayées une fois de plus par l’immaturité de leur président, lequel a tenté une marche arrière en mettant en garde Ankara contre toute atteinte à l’encontre des Kurdes.


Mais qui sont les Kurdes ?

Le peuple kurde est un des plus anciens de cette région. Il vient d’Anatolie et leur présence serait attestée depuis la période sumérienne (quatrième millénaire avant notre ère). Comme les Iraniens ou les Arméniens, les Kurdes ont toujours été présents dans cette région, à la différence des Turcs, qui ne sont arrivés qu’au onzième siècle. Ils vivent à cheval essentiellement sur trois pays : l’Irak, la Syrie et la Turquie, auquel il faut ajouter une présence en Iran.

Les aléas de l’histoire n’ont pas altéré l’homogénéité ethnique des Kurdes mais les ont conduits à embrasser des religions et des courants religieux variés : chrétien, sunnite, chiite.


En tant que minorité, les Kurdes étaient protégés en Irak et en Syrie, comme les autres minorités ethniques ou religieuses – Assad étant lui-même membre d’une minorité. Ils y jouissaient même d’une relative autonomie. Lorsque l’Occident a décidé de lâcher Assad, il a aussi abandonné les Kurdes et les chrétiens de la région. Les Kurdes ont accepté de s’unir aux alliés dans leur lutte contre Daesh, et les milices du PYD – l’aile syrienne du PKK turc, le parti indépendantiste kurde reconnu comme terroriste par le pouvoir turc et ses alliés – ont pesé très lourd dans la défaite des islamistes.


La menace turque

L’adversaire numéro un des Kurdes n’est autre que la Turquie – qu’elle soit ou non d’Erdogan. Au lendemain de la première guerre mondiale, après la dislocation de l’empire ottoman, le traité de Sèvres, en 1919, prévoyait la possibilité d’un Kurdistan autonome dans le sud-est de la Turquie ; après l’arrivée de Kemal, ce traité a été renégocié et le projet a été abandonné au nom d’intérêts supérieurs – en tout cas supérieurs à ceux du peuple kurde.


Les Kurdes se réfèrent toujours à cette promesse et à cet accord, que la Turquie refuse de prendre en compte – tout comme elle refuse de reconnaître le génocide arménien, un autre peuple minoritaire qui a fait les frais de l’Histoire et des intérêts supérieurs. Et la Turquie d’Erdogan est plus que jamais déterminée à s’opposer à toute velléité d’indépendance ou d’autonomie pour le peuple kurde.


Le grand absent de la région et de ce conflit, c’est la démocratie. Elle n’existe plus en Turquie, qui est en passe de devenir une dictature pure et simple ; elle n’existe pas beaucoup plus en Russie, qui est incontournable dans le dossier ; et dans le chef du locataire de la Maison Blanche, elle est un mot de quatre syllabes, donc beaucoup trop long pour être pris en compte. Et ce, sans parler des autres dirigeants de la région qui ne s’intéresseront aux Kurdes que dans la mesure où cela pourra servir leurs intérêts à court ou moyen terme. Les coups de tête de Donald Trump autant que ses menaces n’auront aucune influence sur Erdogan. Si les Américains retirent effectivement leurs troupes, les Kurdes risquent d’être purement et simplement massacrés, ou de servir comme prétexte au déclenchement d’un nouveau conflit, dont de toute manière ils seront les premiers à faire les frais.


Qui s’intéresse aux Kurdes ?

Pas grand monde… Ils n’ont pas de véritables représentants capables de peser, pour l’une ou l’autre raison. Ils ne sont religieusement pas homogènes, ce qui fait que, de part et d’autre, certains ont de bonnes raisons pour les détester et refuser de leur accorder quoi que ce soit – voire, pour espérer les voir disparaître.

Alan – le vrai prénom kurde de celui que la presse appelle Aylan, selon la forme turque ; son nom de famille serait Shenu et non Kurdi, qui serait une invention turque elle aussi, construite sur le fait que la famille est kurde –, retrouvé mort sur une plage, était kurde. Mawda aussi. Comme leurs familles, d’autres Kurdes ont tenté de fuir pour sauver leur vie ; si Erdogan met ses menaces à exécution, ils seront encore plus nombreux. Et comme nous l’avons fait pour Mawda et Alan, nous continuerons à fermer nos frontières. Ou bien nous demanderons à la Turquie de régler le problème, peut-être ? Ce serait un peu comme si les Anglais ou les Américains avaient renvoyé en Allemagne des bateaux chargés de réfugiés juifs… Comme si ? C’est vrai ; ils l’ont fait.


Le fait d’être sur une terre depuis longtemps, plus longtemps que ceux qui la dirigent aujourd’hui, ne veut rien dire, semble-t-il. Je suis d’accord pour dire que cette antériorité ne donne pas le droit d’exploiter ou d’oppresser des populations qui seraient arrivées après ; mais elle ne doit évidemment servir de prétexte pour spolier ces populations, voire pour les exterminer. Or, l’histoire de l’Occident et du Proche-Orient est marquée de telles exactions à l’encontre des « nations premières », comme on ne les appelle pas de ce côté du globe. Les Américains (ou plutôt, les migrants économiques européens) ont exterminé les Indiens et parqué les survivants dans des réserves ; aujourd’hui, les Kurdes qui ne seront pas massacrés par l’un ou l’autre de leurs ennemis se retrouveront dans des camps, gardés par leurs pires ennemis, parce que l’Europe aura une fois encore manqué à ses obligations humanitaires.


Pourquoi en serait-il autrement, alors que, huit mois après la mort de leur fille, les parents de Mawda attendent toujours que Charles Michel, premier ministre désormais démissionnaire, tienne ses promesses de régularisation pour raisons humanitaires ?

Nos promesses n’engagent plus personne, car plus personne n’y croit. Nos obligations servent de papier hygiénique pour les populistes et les extrémistes qui, petit à petit, prennent le contrôle politique de l’Europe et du monde. Mais à force de ne viser que des intérêts économiques à court terme, à force de jouer la carte du repli et de l’égoïsme nationalistes, nous semons les germes d’une haine et d’une colère qui finira par nous renverser. Chez nous et dans les pays du monde où nous aurons fait passer nos intérêts avant nos valeurs, l’argent avant la vie, le pouvoir avant la justice.


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