Je sais, je vais surprendre et choquer ; mais là, franchement, j’ai juste envie de vous embrasser sur la bouche, à la Russe ! Merci, les braves jeunes courageux du Vlaams Belang ! Quel courage, quelle audace ! À côté de vous, les gamins du Front National qui se les gèlent pour aller refouler trois migrants dans les Alpes sont des amateurs débiles ! Bravo, les gars ! Ça, c’est couillu !
Bon, d’accord, je m’emballe… Mais c’est toujours comme ça quand je suis confronté au pur, au vrai, à l’authentique talent. Pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi les épisodes de la série « Back to Nuremberg », je fais le pitch : des jeunes militants et militantes du Belang se sont émus que mille universitaires aient signé une pétition pour demander la régularisation des parents de la petite Mawda, assassinée par un flic (wallon). Alors, ils ont réfléchi et ils ont trouvé une super bonne idée : trouver les adresses d’un maximum de ces mille collabos et aller distribuer adresses et numéros de téléphone aux réfugiés du parc Maximilien en leur disant : « Allez-y, appelez-les, ils vous aiment et ils vont vous héberger. »
Franchement, c’est réconfortant. On a là une jeunesse qui nous prouve que l’avenir est assuré. Ils ont (enfin) des neurones et ils savent s’en servir. Avec classe et humour. Dans la bonne tradition du boomerang franckensteinien. « Sale connard de gaucho bobo ! Tu veux des réfugiés ? Eh ben, on va t’en livrer à la tonne ! » Puissant ! J’espère qu’un think tank d’assaut nationaliste va les présenter pour un prix Nobel – celui qu’on veut, sauf la littérature, il y a des limites.
Pour ceux qui n’auraient pas tout suivi, voilà les infos utiles : dans une vidéo résolument branchée (dont je refuse de donner le lien, vous n’avez qu’à fouiller dans la poubelle du Net), le presque jeune président des jeunes extrémistes flamingants, Bart Claes (quelqu’un a son adresse et son numéro de téléphone ?) explique que mille académiques (dans sa bouche, « academici » semble être une maladie grave) ont protesté, mais qu’à tout prendre, ces mille académiques correspondent à mille places d’accueil pour des réfugiés.
Parce que, bien entendu, onze goede Bart affirme avec un gentil sourire de représentant de commerce que ces signataires réclament que la Belgique accueille plus de réfugiés. Bart Claes, en grand démocrate, affirme que toutes les opinions peuvent s’exprimer, mais que si ces mille signataires réclament plus d’immigration, ils doivent « mettre l’argent là où se trouve leur bouche » (je traduis littéralement la traduction anglaise donnée sur la vidéo). En gros : « Tu paies pour ce que tu réclames et tu ne demandes pas que le bon contribuable xénophobe continue à payer pour tes conneries gauchisantes. » Parce que les réfugiés, c’est comme l’assistanat pour ces fainéants de Wallons ; le VB n’en veut pas (la N-VA non plus, d’ailleurs…) D’où cette démarche novatrice, mise en œuvre par une dizaine de jeunes garçons et jeunes filles bien propres sur eux, avec une jolie casquette bleue : rechercher noms, adresses et contacts de ces signataires, imprimer des tracts avec ces infos et les distribuer aux réfugiés de la Gare du Nord et du parc Maximilien.
Ce que disait le texte signé par les mille académiques
C’est tellement facile de faire dire aux gens ce qu’ils n’ont pas dit… Même un jeune du Belang l’a compris. Le souci, Bart, c’est que le texte auquel vous faites référence ne demande absolument pas que l’on accueille plus de monde : il demande que l’on cesse de déshumaniser les migrants et les réfugiés. Il exige que cessent les tentatives d’intimidation, comme le tweet de Francken avec sa subtile évocation du boomerang ou la campagne orchestrée aujourd’hui. Voici un extrait de ce texte qui précise bien sa visée : « S’il ne s’agit pas de nier que la migration constitue un défi pour notre société, la déshumanisation ne peut s’immiscer dans les stratégies visant à y faire face. Une posture déshumanisante sert de toile de fond pour s’abstenir d’interroger les initiatives politiques contraires à la Convention européenne des Droits de l'homme, comme celles de Theo Francken dans le cadre de la réforme de la politique migratoire européenne. […] Lorsque les opinions divergentes ne sont plus les bienvenues et que les menaces sont considérées comme des réponses "normales" à un appel à l’humanité, la liberté académique est mise à mal. Heureusement, nous ne vivons pas dans un État totalitaire. Il n’empêche : même cette variante belge "plus douce" est inacceptable. Elle porte les germes d'un univers où les universitaires, sous la pression du politique et de menaces ouvertes, n'oseront plus prendre position. Des agents publics et des organisations de terrain qui dépendent des subsides des autorités ressentent déjà cette pression. Si même les représentants académiques les plus importants ne disposent plus d’un droit de réponse, une question rhétorique s’impose : quels autres espaces de liberté au sein de la société civile, de la culture, de l’éducation et de la justice, qui devraient pourtant être garantis par l’État sont-ils en passe d’être compromis ? »
C’est contre cela que se dressent aujourd’hui les vaillants militants : non pas des actes irresponsables menaçant la sécurité de l’État et de ses citoyens, mais un rappel des fondements de la démocratie.
Mais non, ce n’est pas du fascisme !
Qu’est-ce que vous allez imaginer ? C’est juste un truc très novateur et super fun. On jette sur la place publique des informations personnelles ? Mais non ! Ce sont des collabos ! Pas grave ! Et puis, on le fait avec le sourire, on aime bien ces pauvres étrangers, on les aime tellement qu’on a envie de leur trouver un toit ici, en attendant qu’on les renvoie chez eux.
Et sur la vidéo, on les voit, ces jeunes casques bleus, distribuant leurs tracts aux Soudanais, Irakiens et autres demandeurs d’asile ou demandeurs de rien d’autre que d’une chance de survivre. Bon, d’accord, ça doit leur faire mal aux zygomatiques de sourire à ces s… de b…, mais si c’est pour em… ces traîtres de collabos, ils sont prêts à tous les sacrifices, les jeune-z-héros de l’hyper-droite flamande. « Make Europa great again », arborent leurs jolies casquettes. Autre scoop : l’extrême droite rêve d’Europe ? Enfin non, ce n’est pas un scoop : c’est le Reich de mille ans qui a juste pris un peu de retard.
Les illégaux et les collabos
Dans la vidéo, l’un d’eux pose un geste très courageux : arracher sur un poteau un autocollant disant que « personne n’est illégal ». Autre manière d’affirmer que dans le credo du Belang, des êtres humains peuvent être illégaux. L’information est de taille. En justice, seuls des situations et des actes peuvent être illégaux. Pas des personnes. Mais la justice et le Belang – la N-VA dans son sillage –, nous rappelle fort à propos Bart Claes, ça fait deux.
Et le final est sublime : ces courageux militants déploient une banderole sur laquelle on lit « Wij laten ons volk niet vervangen ». « Nous, nous n’acceptons pas que notre peuple soit remplacé. » Sous-entendu : remplacé par des non-blancs et non-catholiques. Des métèques, des bougnoules, des racailles, des djihadistes.
C’est pas sérieux ?
Ou c’est presque sérieux ? « Ons volk » : voilà les-z-héros hérauts du peuple. Karel Martel à Poitiers. Le peuple n’existe que s’il appartient à ses défenseurs autoproclamés. Celles et ceux qui ne pensent pas comme eux (comme ces mille collabos universitaires) ne font pas partie du peuple. Qu’ils soient dénoncés, harcelés, pendus au premier poteau, comme le réclame un des commentateurs enthousiastes (Nicholas Hill) de la page YouTube du preux Bart Claes, à quoi lui répond un autre courageux anonyme (Dregsta) : « C’est pour bientôt. »
Ne prenons pas ces commentaires simplement pour les éructations de décérébrés. Ils sont voulus et acceptés par ceux-là dont la N-VA courtise les voix – laquelle s’était tellement émue lorsque les jeunes Ecolo avaient représenté Theo non pas en uniforme nazi, comme on l’a répété à tort, mais en uniforme de la Wehrmacht. Commentaires ridicules car un nombre important de ces signataires accueillent d’ores et déjà des réfugiés. J’en suis et je n’en tire aucune gloire particulière. Bart, si tu veux mes coordonnées, tu n’as qu’à écrire au Soir, qui transmettra. Mais surtout, ces citoyens pallient un gouvernement et des pouvoirs publics en défaut, qui n’appliquent pas les lois internationales.
D’ailleurs, ils sont prudents : les noms que l’on voit imprimés sur les tracts sont pour l’heure ceux de quelques personnalités très en vue en Flandre. De nouvelles lois ont été votées pour renforcer la protection de la vie privée.Pas op, niet te vlug…Cela n’empêche que, à juste titre, les trois signataires qui ont été révélés de la sorte vont poursuivre le VB en justice.
Que disent-ils, ces jeunes militants ? Simplement ceci : qu’au-delà de la plaisanterie – aller donner à des réfugiés des coordonnées d’académiques traîtres à « ons volk » –, ces informations sont récoltées par un parti d’extrême droite. Le message à peine subliminal est clair : demain, les traîtres collabos gauchos, ennemis de la race blanche et de la civilisation chrétienne, entendront sonner à leur porte. Et ce ne sera pas un pauvre Soudanais…
Depuis son entrée au gouvernement, sans aucune vergogne, la N-VA, qui a siphonné le gros des voix du VB et se doit de se rappeler au bon souvenir de ces électeurs extrémistes pour s’assurer une victoire aux prochaines élections, déploie chaque jour davantage l’arsenal de la menace, de la terreur, du mensonge – comme dans le cas du récent tweet de Francken sur les réfugiés à bord de l’Aquarius. Même un humaniste comme Richard Miller vient leur prêter main-forte, en demandant aux universitaires d’assister et de soutenir « le » pouvoir. Les élections approchent : tout est permis désormais. Le MR s’accroche tellement au pouvoir qu’il va laisser la N-VA faire ce qu’elle veut – y compris, bien entendu, profiter des outrances du VB. Y compris ruiner les assises démocratiques du pays, en jetant aux orties toutes les valeurs qui fondent le véritable libéralisme.
Ne nous méprenons pas : ce qui est en train de se mettre en place, c’est la version 2.0 des chemises brunes. Ces jeunes se posent en milice. Aujourd’hui, ils distribuent des tracts et portent de gentilles casquettes ; demain, cela pourrait être des matraques et des cagoules. Que cela soit vrai ou non, ce qui compte, c’est le message et l’intimidation. Dans sa surenchère et son outrance sécuritaires et droitières, cet épisode contribue bel et bien à renforcer la politique de la N-VA. Et elle trouve des échos puants à l’étranger, où le nouveau ministre italien de l’Intérieur envisage un recensement des Roms pour pouvoir expulser tous ceux qui ne seraient pas Italiens – et regrette de ne pas pouvoir le faire pour les Italiens.
Merci, Bart !
Peut-être devrons-nous, au final, remercier Bart Claes et ses jeunes amis, pour leur franchise. Derrière ce qu’ils prennent pour de l’humour et une « putain de bonne idée », ils nous ont tout simplement rappelé le programme de leur parti. La violence, l’intimidation, l’élimination de celles et ceux qui menacent « leur peuple ». Un programme qui inspire et nourrit celui de la N-VA, N-VA qui impose sa politique et ses priorités au gouvernement fédéral.
Pas sûr cependant que la stratégie soit gagnante ; outre le fait que les mille signataires, qui font pour la plupart partie des quarante mille adhérents de la plate-forme citoyenne d’accueil, accueilleront volontiers les réfugiés que le gouvernement refuse de prendre en charge, une telle attaque ne pourra que renforcer la détermination de celles et ceux qui, au Nord comme au Sud du pays, journalistes, académiques, artistes et citoyens, se décident de s’unir pour défendre « notre démocratie ». Celle dont profitent aussi les jeunes du VB.
Et puis, un autre point est plutôt réjouissant dans cette affaire. Dans la gestion de l’ingérable Francken, la presse et l’opposition s’accordent pour dire qu’une des difficultés réside dans le fait qu’il a toujours un coup d’avance, et que ses adversaires sont toujours sur la défensive, dans la réaction. Réagir ou ne pas réagir consiste souvent à faire son jeu. Et quand (si) la réaction arrive, Francken est déjà ailleurs, ou en train d’expliquer qu’on l’a mal compris.
Ici, la situation est totalement inverse : les gesticulations des jeunes VB sont une tentative de réaction à cet appel des recteurs et des académiques et à une action citoyenne déterminée, calme et juste. Plus de mille signataires, quarante mille membres de la plate-forme : ce n’est vraiment pas rien. L’extrême droite essaie de réagir et la droite extrême du gouvernement est mal à l’aise. Une certitude : il ne faut pas céder aux tentatives d’intimidation, d’où qu’elles viennent.
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