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À quoi sers-je, Kubla ?

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés »  ; on pourrait reprendre les vers de La Fontaine pour évoquer cette nouvelle peste qui ravage les rangs politiques de tant de démocraties contemporaines. Cette peste, ou ce choléra, nous pensions, comme pour d’autres maladies, qu’elle était de régimes douteux, voire franchement dictatoriaux. Erreur… Et, contrairement à de véritables épidémies, il semble désormais impossible d’établir des « cordons sanitaires ». Les symptômes sont multiples mais peuvent se résumer par un mécanisme qui, mutatis mutandis, a permis le développement de certaines maladies récentes, à savoir la disparition de barrières, organiques dans le cas des virus, éthiques dans le cas de la politique. Disparition qui a permis à des virus jusque là « réservés » aux animaux de s’adapter et de s’attaquer aux humains, et à des « confusions » d’intérêts de proliférer même si, aux yeux des intéressés, elles ne causaient aucun conflit.

Bien entendu, qu’il s’agisse d’ Armand De Decker ou de Serge Kubla , il faut absolument préserver le principe de la présomption d’innocence et attendre l’aboutissement des enquêtes – pour autant qu’il y en ait une et qu’elle aboutisse à des résultats concluants, dans un sens ou dans l’autre, faisant toute la clarté et supprimant tout doute. On doit d’ailleurs, par souci d’équilibre, ajouter à cette liste récente l’affaire Luc Joris , au PS, ce proche du parti, administrateur dans plusieurs sociétés publiques belges et qui crée une société au Luxembourg pour y percevoir des revenus liés à ses activités de « consultance » et de conseil financiers.

Ne remontons pas trop loin, de crainte de voir la liste tourner à l’inventaire à la Prévert. Dans tous les cas, on note l’embarras des proches : Elio Di Rupo qui feint de n’être au courant de rien – aussi crédible que lorsqu’il s’offusquait de la mesure visant les chômeurs, décision prise par son gouverment mais appliquée par celui de Charles Michel – ou Olivier Chastel faisant le grand écart pour tenter de ne pas répondre aux questions liées aux affaires touchant ses collègues du MR. Tout juste si le président du parti se dit « triste et en colère » et réclame « une rigueur exemplaire », ce qui ne l’empêche pas, dans la même interview sur RTL, d’affirmer sans ciller qu’il y a des règles déontologiques et que « chacun les applique à sa façon ».

L’acte gratuit n’existe pas

L’ère du soupçon a eu, entre autres effets, celui de renvoyer aux oubliettes des confessionnaux la possibilité d’un acte gratuit. Aujourd’hui, même les futurs saints œuvrent pour leur béatification et il se trouve sur la toile des articles plus ou moins documentés prouvant que Mère Teresa était foncièrement égoïste (un exemple). La suite du raisonnement coule de source et répond à cette maxime de la sacro-sainte sagesse populaire : « Si les autres le font, je serais bien bête de m’en priver et de ne pas en profiter. »

Car le profit est devenu la loi universelle, traduction économique, pour ne pas dire mercantile, de ce que l’on a choisi de retenir des théories de Darwin. Il est donc tout à fait normal, si on exerce un mandat politique et une autre profession à côté, de « maximiser » ses compétences et de « faire profiter » chaque facette de sa personnalité. Mais il est bien entendu, dans ce type de marché de dupes, que la fonction publique ne profitera jamais autant – et pour autant qu’elle en profite jamais – des activités privées, lesquelles trouveront toujours des avantages dans l’exercice du mandat politique.

C’est une forme moderne et « up to date » du vieux Dr. Jekyll & Mr.. Hyde, à la différence qu’il ne faut pas attendre qu’il fasse nuit pour que s’effectue la transformation, et que Mr Hyde ne (se) cache pas qu’il œuvre de conserve avec Dr Jekyll ; c’est même son principal argument, qui lui permet de valoriser au-delà des cercles coutumiers (voire légitimes) ses activités professionnelles et qui dope son charisme dans les milieux d’affaires (de tous genres). Collusion, confusion, corruption, compromission ; quel que soit le nom donné à cette dérive et ces conflits d’intérêts, elles ne sont plus le monopole de la mafia ou des régimes non démocratiques.

On rétorquera que ces responsables politiques, qui optimalisent leurs compétences, ne sont pas des assassins et qu’ils ne tuent personne. Au sens littéral du terme, c’est sans doute vrai ; mais métaphoriquement, les dégâts « collatéraux » sont immenses.

Tous pour un, tous pour moi ? Ou tous pourris ?

Depuis que j’enseigne, je lutte contre cet amalgame épouvantable, qui a fait la gloire de Pierre Poujade et de son disciple d’alors, Jean-Marie Le Pen (et d’un grand nombre de populistes), selon lequel les dysfonctionnements de certains politiques sont la preuve d’une corruption généralisée. Selon les règles de la logique, il s’agit d’une conversion non valide : on ne peut pas convertir une singulière affirmative (quelques hommes politiques sont pourris) en universelle affirmative (tous les hommes politiques le sont).

Mais la lutte devient difficile. D’abord, le climat a changé ; si, dans les périodes de vaches grasses, on ferme plus facilement les yeux sur les petits arrangements de certains, même dans les limites de la loi, cela devient insupportable dans des temps tels que ceux que nous traversons. D’autant que ces lois (en particulier celles qui touchent à la fiscalité) sont votées par ceux-là mêmes qui sont surpris en flagrante « indélicatesse » avec les principes, sinon avec la loi.

Auparavant, lorsque je rétorquais qu’un cas isolé n’était pas une règle générale, on opinait. On pouvait citer des noms, s’en référer à des exemples, au sens fort du terme. Aujourd’hui, on riposte : « Vraiment ? Allez, vas-y, cite m’en un qui ne l’est pas… » Sous-entendu : un qui ne serait pas pourri, rien qu’un tout petit peu, une petite tache de rien du tout mais qui n’attend qu’à grandir, dès qu’il y aura du pouvoir, des mandats, des responsabilités. La pureté est désormais synonyme d’échec : l’homme ou la femme politique irréprochable est celui ou celle qui n’a encore exercé aucune fonction, voire qui n’a même pas encore été élu(e), puisqu’il faut déjà (sûrement) se compromettre pour être inscrit sur une liste, et plus encore pour être élu.

Dans son baromètre politique, La Libre signale que 67% des Belges sont persuadés que ces activités professionnelles annexes conduisent à la corruption et au conflit d’intérêt. Mais la Libre poursuit son analyse et conclu : « En gros, les Belges tombent dans le piège du « tous pourris ». » Si piège il y a (et je veux bien le croire), qui l’a tendu, sinon ces responsables politiques dont les indélicatesses se multiplient et dont les actions semblent de moins en moins répondre aux défis et aux difficultés subies par leurs populations, et de plus en plus aux diktats de multinationales financières et industrielles ?

Le pouvoir absolu

La situation du MR dans le Brabant wallon est la même que celle du PS dans le reste de la Wallonie, et de tant d’autres partis de part le monde qui se retrouve seul au pouvoir depuis trop longtemps. La situation « idéale » pour que s’installe ce sentiment d’impunité et de toute-puissance. Les dégâts causés par cette dérive sont énormes pour notre démocratie, et les élus ou les mandataires coupables de ces actes doivent savoir qu’à privilégier leurs intérêts personnels à court terme, ils menacent non seulement l’avenir de la démocratie, mais aussi, tout simplement, qu’ils scient la branche sur laquelle ils se sont assis.

On peut dire qu’il s’agit d’un phénomène de pronominalisation ; de « servir » le bien public, parfois au détriment de ses propres intérêts (ne serait-ce que par le temps qu’on y consacre, voire les risques que l’on prend), on est passé à « se servir » du bien public, toujours au détriment de ce dernier et des principes qui régissent la gestion saine de la « chose publique ».

Existe-t-il des solutions ? Sans doute. Rendre d’abord la responsabilité politique au citoyen, que ce soit à travers des actions comme le mouvement « Tout autre chose » ou, en son temps, le projet du G1000 , ou en rappelant à chacun, quelle que soit sa position sociale ou économique, qu’il doit exercer cette responsabilité, laquelle ne peut se réduire à un scrutin. Peut-être aussi empêcher la professionalisation à outrance de la classe politique et réduire la durée durant laquelle un citoyen peut exercer des fonctions et des mandats. Établir un contrôle strict pour éviter la confusion entre les différentes activités, voire en prohibant certains « mariages » plus sensibles. Rappeler aussi à M. Chastel (et à tous les autres) que des règles déontologiques ne peuvent pas être appliquées par chacun « à sa façon » ; comme la loi, elles doivent être respectées par tous, et de la même manière. Et puis, il faudra surtout revenir sur cette croyance, désormais universelle, selon laquelle l’acte gratuit et désintéressé n’existe pas ; des recherches de pointes en neurosciences tendent à prouver l’inverse.

J’y reviendrai un autre samedi…

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