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Un retour bruyant

Il y a une chose à laquelle je n’ai jamais cru : la parole d’une certaine catégorie de personnes. Non, pas les politiques. Enfin, oui, les politiques aussi, mais ça, tout le monde ou presque est dans mon cas. Et puis, il faut reconnaître que la plupart respectent au moins une parole fondamentale, qu’ils ont proférée un jour, parfois dans le secret de leur miroir : « je veux être élu ». Je veux parler des sportifs. Attention, j’admire les sportifs. Dire le contraire aujourd’hui équivaudrait d’ailleurs à s’exclure automatiquement de la société. Comme l’analysent parfaitement Carolie Eliacheff et Daniel Soulez Larivière dans Le temps des victimes (Albin Michel), pour être célèbres à présent il faut être soit victime, soit sportif. Je ne veux pas devenir une victime ; je ne dirai donc pas de mal des sportifs. Sauf pour dire qu’ils parlent mal… Surtout elle…

Bien sûr, elle a été magnifique. La reine, comme on disait. Pour la première fois, grâce à elle, une Belge était première quelque part d’autre qu’au rendez-vous de la bêtise (enfin, ce n’était sans doute pas la première, mais on aime tellement se déprécier, chez nous, qu’on oublie vite les succès du passé). Elle n’était pas tout à fait seule ; il y en avait une autre, aussi bonne. L’équilibre parfait : une Flamande, une Wallonne. Au top des tops. Quand elle jouait, elle était irréprochable, enthousiasmante ; mais quand elle parlait… Comme toutes les sportives, Justine – vous l’aviez reconnue, pas vrai ? – a pris sa retraite, comme Kim. La dure loi du sport, sic transit gloria mundi. Mieux vaut arrêter au sommet que dans la descente. Alors, elle a parlé, une dernière fois, pour expliquer que c’était fini, f-i-n-i, que plus jamais, qu’une nouvelle vie, blablabla, et puis le silence… Ah, ce silence ! Quel bienfait ! Nous étions libérés des analyses philosophico-psychologico-physiliogico-existentielles tendant à établir le lien entre le flux émotionnel, l’équilibre neuro-spinal et les performances tennistiques, libérés des dissertations sur l’importance, quelque part, de gagner d’abord un match bien dans sa tête pour « avoir plus facile » sur le terrain, le tout avec l’aplomb d’un professeur de la Sorbonne vous décortiquant L’être et le néant de Sartre. Kim, dans son coin, est allée faire un bébé. Justine a monté une école et je ne sais quoi d’autre, ce qui lui a permis de revenir régulièrement sur nos antennes et dans nos journaux.

Et puis, Kim est revenue. Je ne me souviens pas qu’elle ait jamais dit que c’était fini, f-i-n-i. En plus, ses interviews sont assez courtes et efficaces – peut-être parce qu’il faut payer un traducteur, alors on abrège. Elle a eu son enfant, et puis elle est revenue à son boulot. En gros, ce que font nombre de femmes. Et elle l’a fait splendidement, professionnelle et maternelle, parce qu’on peut être les deux à la fois. Elle est revenue sur les antennes, toujours aussi sobre.

Alors Justine, qui avait juré ses grands dieux qu’elle tournait la page et que le tennis de haut niveau ne lui procurait plus aucune satisfaction, a laissé courir la rumeur qu’elle reviendrait bien, elle aussi. Aznavour ne fait-il pas sa tournée d’adieu depuis trente-cinq ans ? Et d’expliquer sur toutes les antennes « qu’elle a eu dur » et que sa tête, et que bla-bla et que patati patata. Dix minutes de brouillage pour dire simplement : « je m’emmerdais et y a pas de raison que je le fasse pas si Kim l’a fait. »

Cet été, à Santa Monica, j’ai eu le plaisir d’assister à un concert de Joan Baez. Une « icône musicale », ai-je expliqué avec émotion à mon gamin de neuf ans, qui a fait semblant de compatir au trouble de son vieux père. Celui qui organisait l’événement, m’a confié : « Joan ne l’a pas annoncé, mais c’est sa tournée d’adieu ». Les cheveux gris, la voix grave, voilée ; Baez était sublime. Quand elle a chanté « We shall overcome », avec un couplet en farsi, on avait beau savoir que c’était une vieille rengaine, les frissons étaient au rendez-vous. Ses paroles étaient justes, ses gestes en harmonie avec la musique et les textes, comme l’a été toute sa vie. Elle « n’avait pas dur », même si le vent du Pacifique l’obligeait à serrer une écharpe autour de son cou et à boire régulièrement une tisane chaude. Justine n’a que 27 ans, dit-elle pour justifier son retour sur les antennes autant que sur les courts ; Joan en a 67. Avec la première, le temps semble long ; avec la seconde, on s’aperçoit qu’il a filé, si vite…

Mais il ne faut pas gâcher la fête ! Revoilà notre Belgique unie sur les courts… C’est quand même plus positif que nos querelles auxquelles personne ne comprend rien à l’étranger. Allez, Justine ! Comme Kim, you shall overcome ! Mais de grâce… en silence !

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