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Silence majeur

L’actualité est faite de télescopages ; la plupart sont dus au hasard mais, comme l’écrivait Satprem, «le hasard, c’est quand on ne connaît pas la loi». Pas la Loi inscrite dans les Codes ; celle qui, plus subtile, constitue par exemple le climat de pensée d’une époque, d’une société. Et puis, ces télescopages ont leur dimension harmonique : une voix en majeur, l’autre en mineur… Majeur et mineur qui sont parfois trompeurs, puisque la qualification se jouera sur l’importance que l’opinion publique et les médias leur accordent, et non sur leur valeur intrinsèque.

En l’occurrence, deux faits ont retenu mon attention ces derniers temps. Et l’un et l’autre concernent notre pays et stigmatisent un des points de friction particulièrement vif entre notre deux communautés ; et l’un et l’autre ont une dimension judiciaire. Il s’agit, d’une part, du débat sur l’amnistie, relancé par la proposition du Vlaams Belang ; de l’autre, du procès intenté par Bart de Wever à l’écrivain Pierre Mertens, lequel, dans un média français, avait traité le leader flamand de négationniste.

Je ne vais pas reprendre la (les) polémique(s) dans ses détails. À mes yeux, le point commun fondamental entre ces deux dossiers, au-delà de la fausse discussion caricaturale voulant opposer les méchants Flamands collabos et les gentils Wallons résistants (il faut être particulièrement ignare et borné pour croire à cette dichotomie, et il suffit de rappeler le rôle ouvertement crapuleux de Léon Degrelle, celui plus ambigu de l’écrivain Henry Bauchau, pour ne citer que ces deux exemples wallons…), c’est l’articulation qui existe (ou qui devrait exister) entre pardon et débat public.

Dans le premier cas, le «débat» a porté sur le faux sujet : pourquoi les Flamands veulent-ils rouvrir ce dossier ? Les francophones ont brandi le carton rouge, sujet tabou. Dans l’autre, ce qui est en jeu, c’est justement la possibilité (ou plutôt l’impossibilité) de tenir un débat public, dans le cadre particulier d’une Cour d’Assises, sur cette grave question du négationnisme et du révisionnisme. Et à mettre les deux en parallèles, on pourrait se dire que tant les Flamands que les francophones sont contradictoires ; dans le cas de l’amnistie, les francophones refusent le débat ; dans le cas BDW / Mertens, ils le réclament – étant entendu que les deux débats portent sur des sujets étroitement liés. Les Flamands, eux, acceptent de débattre de l’amnistie (ce qui ne veut pas dire que la majorité des députés flamands sont prêts à voter le projet de loi du VB), mais BDW refuse le débat sur le révisionnisme puisqu’il réclame un procès au correctionnel pour diffamation. Les francophones ont peur que cette discussion parlementaire conduise à un pardon «amnésique» ; BDW refuse les Assises car, outre l’absence de débat sur le fond, cela conduira très certainement à l’acquittement.

Dans un très bel article du numéro de la revue Autrement consacré au pardon, Armand Abécassis rappelait que le pardon est le contraire de l’oubli ; il signe l’instauration d’un dialogue constant entre la victime et le bourreau (ou leurs représentants), dialogue dont la fonction première est d’assurer à la fois la mémoire des faits et leur non-répétition.

Mais notre pays n’aime pas les vrais débats. Il se perd en arguties, en colloques singuliers, en consultations derrière des portes insonorisées. En l’occurrence, ce débat porte sur notre Histoire (l’attitude de l’administration belge durant l’Occupation) et cette forme sournoise du négationnisme, que promeuvent des responsables politiques tels que BDW, qui consiste à minimiser et relativiser des faits graves. Ni le Parlement, ni la Justice, ni la presse ne semblent encore capables d’animer de tels débats ; c’est dire dans quel état de déliquescence se trouvent notre démocratie et son niveau intellectuel. Sur ce point comme sur tant d’autres, il semble qu’il appartienne aux citoyens de reprendre la main, puisque les professionnels et les élus semblent timorés, débordés, déconnectés. Mais le ferons-nous ?

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