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Rire de tout


« Peut-on rire de tout ? Oui, mais pas avec n’importe qui »; cette phrase supposée de Desproges sert à nombre de moralistes à la petite semaine qui entendent introduire une dose plus ou moins grande de retenue voire de censure, sous-entendant qu’il est des sujets scabreux qui ne peuvent être évoqués en public, sous crainte de choquer. Mais si telle est l’opinion que ces censeurs veulent défendre, qu’ils ne se réfugient pas derrière Desproges, lequel maniait l’ironie tous azimuts (et d’abord à son encontre car, comme le dit Woody Allen, “heureux ceux qui savent rire d’eux-mêmes, car ils n’ont pas fini de s’amuser”) et sans vergogne. Desproges, dans l’émission de France Inter du “Tribunal des flagrants-délires”, le jour où Jean-Marie Le Pen était invité, posait deux questions distinctes : “peut-on rire de tout ?” et “peut-on rire avec tout le monde?”. À la première, il répondait sans hésitation oui : “S’il est vrai que l’humour est la politesse du désespoir, s’il est vrai que le rire, sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, s’il est vrai que ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors, oui, on peut rire de tout, on doit rire de tout. De la guerre, de la misère et de la mort. Au reste, est-ce qu’elle se gêne, elle, la mort, pour se rire de nous ?” À la seconde, il répondait négativement : on ne rit pas avec des gens qui n’ont pas d’humour. Les intégristes de tous poils, “les imbéciles heureux qui sont nés quelque part”.

Rien de ce qui est digne de respect, écrit plus ou moins Romain Gary, ne craint l’irrespect. Et la littérature, plus encore même que le cinéma, se plaît à manier l’humour pour traiter de choses sérieuses. Même si l’humour n’est pas toujours perçu par le lecteur. Ainsi, La métamorphose de Kafka est considéré comme un texte angoissant, sinistre, alors que son auteur le lisait à ses amis en éclatant de rire. Il y a des passages de L’étranger de Camus, notamment ceux où Raymond convint Meursault d’écrire la lettre de faux témoignage, qui comportent eux aussi une grande charge ironique, ils sont écrits avec un ton qui annonce le petit Nicolas.

Politesse du désespoir ou coup de pied à ce point subtil qu’il échappe à la censure – laquelle, par définition, est imperméable à l’humour –, l’ironie littéraire prolifère particulièrement là où sévit la dictature, qu’elle soit religieuse ou politique. Voltaire était un virtuose ; plus près de nous, Boulgakov s’en est servi pour produire un des chefs-d’oeuvre du XXe siècle : Le Maître et Marguerite. Et l’on peut découvrir aujourd’hui un extraordinaire roman chinois, signé par Mo Yan, La dure loi du karma paru aux éditions du Seuil. Dans cet énorme roman, qui commence par l’exécution du narrateur en 1950, on va suivre, à travers ses réincarnations en différents animaux, toute l’évolution de la Chine et de la révolution communiste. Drôle et intelligent ; à ne pas manquer.

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