Selon une pratique éprouvée, le gouvernement a profité de l’été pour mettre en place une mesure, dans le cadre de la politique migratoire : un centre fermé, à côté des pistes de Zaventem, où des familles avec enfants seront enfermées en attendant leur expulsion et leur renvoi dans leur pays d’origine.
Rappelons que la Belgique avait déjà été condamnée en 2008 pour de telles pratiques et qu’elles avaient été abolies. Notre pays avait même mis en place une stratégie, saluée de manière assez unanime, à travers des « maisons du retour » et d’autres mesures qui offraient un réel accompagnement de la famille concernée, seul gage d’une réussite. Mais voilà, Theo Francken, notre secrétaire d’État à l’asile, juge que ces mesures, si bonnes soient-elles, ne sont pas suffisantes. Et surtout, qu’elles coûtent trop cher.
Les arguments du gouvernement
Ce sont les mêmes que ceux de Donald Trump : des familles qui ont vu leur demande d’asile rejetée rentrent dans la clandestinité pour échapper au retour dans leur pays. Elles profiteraient de l’interdiction d’enfermement des enfants pour disparaître des radars. Certains « intellectuels » à la solde du MR, le parti qui aura vendu son âme pour gouverner avec la N-VA, ont même inventé qu’aux USA, les passeurs « louaient » des enfants pour servir d’alibi aux clandestins, et que ces enfants étaient assassinés lorsqu’ils ne servaient plus. Outre que l’information est un hoaxrépugnant, il faut noter que même Donald Trump a fait marche arrière sur sa volonté d’enfermer les enfants pour éviter ces fuites.
Un autre argument est avancé, qui joue sur un semblant d’humanité : la clandestinité est encore plus traumatisante pour les enfants, et il est inhumain de les séparer de leurs parents. Ceux qui ont un peu de mémoire ou de connaissance historique auront identifié les origines de ce dernier raisonnement : la presse et les responsables collaborationnistes de la France de Vichy, qui enjoignait aux policiers, lors des rafles visant les Juifs, d’arrêter aussiles enfants – ce que les nazis ne demandaient pas.
Les chiffres des candidats à l’asile ont chuté remarquablement depuis deux ans. Les cas visés par ces centres fermés sont encore moins nombreux. Alors, quelle est la véritable utilité d’une telle mesure ? Et quelle est la réalité du terrain ?
Une prison sous les avions
L’enfermement de mineurs est, de l’avis unanime des spécialistes, une mesure non seulement inutile, mais surtout néfaste (je renvoie à l’excellent dossier mis en ligne par la plate-forme citoyenne « Mineurs en exil » et Unicef Belgique : http://www.onnenfermepasunenfant.be). On ne peut pas à la fois demander de faire partie du Conseil de Sécurité de l’ONU et bafouer ouvertement les principes défendus par cette organisation et tant d’autres.
Le centre mis en œuvre par Francken est une prison. Il est temps aussi de refuser la supercherie des mots creux. Le gouvernement Michel n’a pas autorisé des « visites domiciliaires » ; il a voulu rendre possible des perquisitions – même si ce projet semble abandonné, grâce aux actions citoyennes. Les mots, aux côtés des mesures législatives (des lois qui sont issues de l’exécutif et non du législatif, les assemblées n’étant plus qu’un instrument docile à la botte du gouvernement), contribuent à la criminalisation de ceux qui revendiquent l’application des Droits humains, que ce soit pour en bénéficier lorsque leur vie est en danger, ou pour venir en aide à ceux qui y ont droit. Liberté et solidarité sont les cibles privilégiées. Donc, ce ne sont pas des « centres fermés » : ce sont des prisons dans lesquelles on enferme des enfants.
Bien sûr, il y a une plaine de jeux. Mais outre que cette plaine de jeux est cernée par des grillages, la proximité de l’aéroport fait que des avions passent à 200 mètres d’altitude toutes les cinq minutes. Le brave secrétaire d’État aurait promis d’offrir des casques pour permettre aux enfants de ne pas devenir sourds…
Au mieux, on pourrait dire que la décision du gouvernement et la mise en place de cette prison transitoire auront un impact nul sur la « crise » migratoire : il ne s’agira que de quelques cas, cela n’aura aucune influence sur les candidats, cela ne dissuadera personne de tenter sa chance en Europe. Les coûts sont au moins aussi élevés que les politiques vertueuses que l’on veut tuer ici, pour un bénéfice moindre. Objectivement, cette mesure est désastreuse : sur le plan des valeurs et de la démocratie. Elle ne fait que renforcer les candidats migrants dans l’idée qu’il vaut mieux choisir la clandestinité, car toute démarche de légitimation les conduira à tomber dans un système injuste, inhumain, dont l’unique objectif est de réduire au minimum, et si possible à néant, toute candidature à l’asile.
Une mesure électoraliste
Mais évidemment, le gouvernement entend tirer un bénéfice de cette mesure, dont le financement reste public, rappelons-le au passage. Un bénéfice électoral, car ces « centres fermés » caressent dans le sens du poil un électorat manipulé depuis de longues années par un discours populiste orchestré au niveau européen – voire mondial, Donald Trump, Poutine ou Erdogan jouant eux aussi cette carte de la désinformation, de la peur et de la manipulation. Derrière les prochaines échéances communales, se profilent les élections législatives et européennes ; la question migratoire est, à l’échelle du continent, devenue un enjeu, ou plutôt un pare-feu, un miroir aux alouettes dont la raison première est de détourner l’attention du public des véritables enjeux, en jouant sur le sentiment nationaliste et sur l’insécurité économique qui frappe une tranche toujours plus large de la population.
Or, ce sont les mêmes considérations qui nourrissent à la fois une dramatisation de la question migratoire, la mise en place de tels centres et les lignes de fond de la politique des gouvernements de droite qui fleurissent partout : le renforcement d’un néolibéralisme dont les effets dévastateurs ne suffisent pas à en ordonner l’arrêt immédiat, en raison de l’extrême confusion politique entretenue d’une part par l’échec absolu de la gauche et d’autre part par le cynisme et l’opportunisme de la nouvelle droite « décomplexée ».
La responsabilité de la gauche
La politique d’asile menée par Francken n’est, objectivement, pas très différente de celle menée par les gouvernements précédents, où la gauche était présente. Les politiques de démantèlement et de privatisation des services publics, dont les usagers paient tous les jours le prix – et parfois un prix sanglant, comme lorsqu’un pont s’effondre par manque d’entretien, comme le rappelle l’excellente chronique d’Hugues Le Paige http://www.revuepolitique.be/blog-notes/apres-genes-reposer-la-question-de-letat/– ont été menées tambour battant par des partis de gauche gagnés à la cause (électoraliste) du néolibéralisme. Et tandis que ces partis de gauche faisaient une politique de droite en essayant l’exercice d’équilibre impossible de maintenir un discours de gauche, les partis de droite amplifiaient le mouvement en laissant leur discours glisser lui aussi vers leur droite, donc vers l’extrême.
En attendant, ceux que cette glissade vers la droite ont conduit aux marges de la pauvreté ont été montés contre les plus pauvres encore, ceux qui, en vertu des traités internationaux que nous avons défendus et votés, viennent chercher asile chez nous. Dresser les pauvres les uns contre les autres, faire croire qu’en enfermant quelques familles avec leurs enfants on règlera tous les problèmes, renforcer les lois liberticides et conduire petit à petit les citoyens à préférer une sécurité et une solidarité réduite à une remise en question fondamentale des paramètres politiques et économiques qui prévalent, tel est le projet qui se profile derrière ces « centres fermés ».
Résister
Il ne faut pas se laisser intimider par le rouleau compresseur idéologique que cette droite a mis en branle cet été. Leur dénonciation tous azimuts de la soi-disant hégémonie intellectuelle de la gauche – cette « pensée unique » qui priverait la droite du droit d’expression, alors que ce concept creux traduirait, au mieux, le vide intellectuel dont cette droite souffre et son incapacité à articuler un discours cohérent en phase avec les valeurs qu’elle prétend défendre –, à travers les attaques contre les intellectuels, les magistrats, les artistes, les académiques, les citoyens, bref toutes celles et tous ceux qui ne partagent pas cette vision, qui refusent cette dérive et ce sabordage de notre démocratie, traduit sans doute leurs craintes. Crainte de se retrouver comme le roi nu du conte d’Andersen. Crainte d’être dénoncés comme ce qu’ils sont, à savoir les agents d’une finance internationale, la « 5ecolonne » d’un ennemi qui avance masqué et qui entend piller toutes les ressources publiques pour enrichir une minorité d’actionnaires.
Un jour viendra où le seul service public financé et organisé par l’État sera la chasse aux réfugiés, aucune société privée n’étant prête à se charger d’une mission aussi peu rentable. Ce jour-là, il sera trop tard.
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