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Notre pire ennemi, c’est nous

Introduction

Une chronique superbement révélatrice de tout ce qui cloche actuellement dans notre système de pensée a dernièrement fait son apparition sur le site du Soir. Mais avant de s’attaquer au vif du sujet, et pour un peu rigoler, reprenons tout d’abord l’introduction de cette chronique de Vincent Engel que nous détournons quelque peu en y remplaçant certains mots :

« La liberté de pensée reste un sujet brûlant mais ne fait l’objet d’aucun débat ni d’aucune couverture médiatique particulière. Il n’est peut-être pas inutile de revenir sur quelques fondements. Le tweet de Stéphane Guillon en offre une illustration inattendue, à travers la chronique de Vincent Engel et la critique ici présente… »

En marge de sa chronique, l’auteur nous fait l’aveu suivant : « Je ne sais pas si la démocratie est le meilleur ou le moins mauvais des systèmes ; ce que je sais, c’est qu’il est le plus fragile. Et ses ennemis extérieurs, pour réels qu’ils soient, sont parfois l’épouvantail qui masque un mal plus profond qui le ronge de l’intérieur… ». Nous partageons ce constat, le mal plus profond est intérieur. Et nous allons voir ensemble pourquoi, en nous appliquant à être aussi clair que possible.

En règle générale, et à l’inverse du constat ci-dessus, le mal est fondamentalement perçu par nos contemporains comme extérieur à eux-mêmes. Sous forme de menace terroriste par exemple. Mais ce mal est, comme le dit Vincent Engel, un épouvantail. Un simple subterfuge pour nous maintenir à distance. Ou, pour prendre une autre image, il est l’arbre qui cache la forêt. Un arbre auquel nous avons le nez collé si près et auquel nous restons cramponnés si fort que cela nous empêche d’avoir la vision d’ensemble que nous offrirait une simple prise de recul de quelques pas à peine. Ce recul, dans cette analogie, est semblable à la réflexivité. Cette faculté de « réfléchir la lumière », ou plus prosaïquement, d’appliquer les outils de l’analyse à sa propre réflexion. Erasme, qui ne mâchait pas ses mots, résume ici très bien le propos.

« Ces fous, qui sont légion dans l’humanité, n’ont pas compris que la raison est par essence une faculté critique : quiconque exerce sa raison ne peut que se regarder penser ou vivre, et donc remettre en cause ses actes ou les productions de son esprit ; « réfléchir », c’est se mettre à distance grâce au miroir qui dédouble. L’utilisation adéquate de la raison engendre un relativisme qui lui-même crée un état de doute salutaire pour l’humanité. A l’inverse, lorsque l’on affirme que la raison n’élabore pas la connaissance, mais qu’elle doit intégrer, par le seul jeu de la mémoire mécanique, un savoir préexistant sur lequel elle n’a aucune prise, on atteint la vraie folie, celle de tous les dogmatismes. »

Attardons nous quelque peu sur cette notion de réflexion et des rapports qu’elle entretient avec celle de liberté.

1. Liberté et réflexivité

Tout au long de la chronique qui nous intéresse ici, nous avons droit à différentes citations provenant de deux personnages parmi les plus importants de l’histoire de la pensée occidentale : Condorcet et Camus. En tant qu’historien des idées, Vincent Engel connaît ses classiques. Mais il reste, nous semble-t-il, un tant soit peu en surface et aurait pu pousser plus loin son analyse. Et comme il serait dommage de s’arrêter en si bon chemin, pourquoi ne pas nous enfoncer plus profondément dans le trou du lapin ? Suivez la lumière, il va parfois faire sombre.

Commençons par cette citation de Condorcet, assez emblématique de tout le malaise auquel renvoie précisément cette chronique.

« N’imaginez pas que les lois les mieux combinées puissent faire d’un ignorant l’égal de l’homme habile, et rendre libre celui qui est esclave des préjugés. Plus elles auront respecté les droits de l’indépendance personnelle et de l’égalité naturelle, plus elles rendront facile et terrible la tyrannie que la ruse exerce sur l’ignorance, en la rendant à la fois son instrument et sa victime. Si les lois ont détruit tous les pouvoirs injustes, bientôt elle en saura créer de plus dangereux. »

Tout est dit, pour qui sait correctement comprendre l’articulation du contenu de la chronique de Vincent Engel avec ces mots de Condorcet dans le contexte de notre si formidable époque en proie à une profonde remise en question. Mais n’en restons pas là et examinons tout cela plus en profondeur en rebondissant d’emblée sur l’extrait suivant :

« En lien avec ce qu’énonce Condorcet, on dira que la liberté d’expression a besoin de s’adosser sur la liberté d’opinion pour se déployer et que, pour se forger une opinion, il faut s’instruire ou être instruit. »

C’est effectivement très juste. Sauf que l’auteur omet le principal. Il oublie en tout cas de souligner un fait des plus essentiels, que la liberté de penser constitue la matrice, la condition indispensable d’à peu près toutes les autres formes de liberté, y compris celle d’opinion, qui procède de celle de pensée. Et, n’en déplaise à certain, cette liberté de pensée s’acquiert par la force de la volonté, par le courage de se servir de sa propre pensée critique réflexive. Elle ne tombe en aucun cas tout cuit dans la bouche. Malheureusement, comme le disait déjà fort bien Sören Kierkegaard au XIXe siècle, « les gens exigent la liberté d’expression pour compenser la liberté de pensée qu’ils préfèrent éviter ». La liberté d’expression et l’émancipation de l’esprit sont en effet deux notions bien différentes.

A propos de cette liberté de pensée et de sa nécessaire émancipation préalable, voici ce que déclarait Emmanuel Kant quant à lui en 1784 à propos des Lumières :

« Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de minorité dont il est lui-même responsable. L’état de minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de minorité quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la conduite d’un autre. Sapere aude ! [Ose savoir !] Aie le courage de te servir de ton propre entendement! Voilà la devise des Lumières. »

On se rend donc compte que, si le projet des Lumières visait à la base l’émancipation de l’être humain (pour Kant, les Lumières, c’est l’émancipation de l’intelligence) par une réappropriation de ses propres facultés critiques, nous sommes aujourd’hui bien loin de ces termes ! Ce dont Vincent Engel a l’air de se faire l’écho lorsqu’il déclare qu’« il faut être capable de critiquer, de recouper, d’analyser, de mettre en perspective – sans quoi, on n’a pas d’opinion, on n’est que la chambre d’écho des opinions des autres, autrement dit on est rempli de préjugés, ce prêt-à-porter de la pensée. »

A mesure que nous progressons dans le trou du lapin, la racine du problème commence à apparaître plus distinctement. En effet, si la plupart des gens pensent en toute bonne foi avoir des opinions qui leur sont propres, ceux-ci se contentent trop souvent de remplir le rôle de caisse de résonnance du discours dominant, superficiel au possible. Ce qui reste malgré tout assez compréhensible. Car il est vrai que de nos jours très peu de citoyens ont le temps de se lancer dans ce processus autocritique, et encore moins de recouper, d’analyser et de mettre en perspective cette pensée unique relayée par les médias mainstream. Faute de temps, on consomme l’information prémâchée comme on le ferait avec un vulgaire plat préparé par l’industrie agroalimentaire. Et lorsqu’on constate les effets à long terme que ceux-ci ont sur notre organisme, on est en droit de se poser la question de l’effet que peut avoir cette information prédigérée sur notre pensée !

Au sujet de cette pensée unique, si le concept ne vous est pas encore familier, voici un extrait d’un livre très intéressant, « La double pensée : retour sur la question libérale » de Jean-Claude Michéa, philosophe français. Ce livre présente très justement le principe de cette pensée unique, principe qui partage beaucoup de similitude avec la « double-pensée » de George Orwell, ce dernier qui l’avait dès 1949 si bien présentée dans son roman 1984, œuvre majeure de notre époque.

« L’emprise des dogmes libéraux dans le monde de l’ « information » et du divertissement est devenue si manifeste (et si naturellement acceptée par les professionnels de ce monde) que certains analystes ont mis en avant – pour en rendre compte – le terme de « pensée unique ». Les vertus descriptives d’un tel concept sont incontestables. En tout état de cause, il offre une traduction particulièrement plausible de cette uniformité idéologique désolante qui caractérise le paysage médiatique contemporain. [..] Cette uniformité idéologique atteint son degré d’intensité maximal chaque fois que les institutions capitalistes sont confrontées à une menace réelle ou même simplement fantasmée. Le synchronisme absolu des commentaires politiques, l’ampleur des mensonges diffusés et l’inévitable mobilisation des artistes officiels peuvent alors être comparés, sans la moindre exagération, à la propagande normale des États totalitaires. »

Mais comment diable en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi les gens ne prennent-ils plus la peine de réfléchir à ces questions se rapportant pourtant à la première et peut-être bien la seule authentique liberté d’entre toutes les libertés : celle de penser ? Un début de réponse pourrait-elle être celle-ci ? Que, d’un côté les citoyens débordés de travail et de stress n’ont plus d’énergie à consacrer à cette tâche pourtant essentielle qu’est la pensée critique réflexive, et préfèrent consacrer le peu de temps qui leur reste à se divertir de façon plus ou moins intelligente. Et que de l’autre côté la plupart des citoyens sans emploi, lorsqu’ils ne sont pas occupés à en rechercher un, utilisent également leur temps à se divertir plus ou moins intelligemment. Avec au final, dans un cas comme dans l’autre, peu de citoyens qui utilisent effectivement leur « temps libre » pour se soumettre à cet exercice d’autocritique par la pensée réflexive. Exercice exigeant et pourtant inséparable d’une authentique liberté.

Mais, et les intellectuels, et les experts dans tout ça ? Et bien, ils ne font en général que servir un système duquel ils tirent les privilèges qui flattent tant l’ego (prestige, pouvoir, argent, etc). La condition étant qu’ils ne le remettent pas radicalement en cause et restent gentiment à leur place de nouveaux chiens de gardes. Radicalement est ici à comprendre dans son sens étymologique, c’est-à-dire de retour à la racine. N’en déplaise à tout ces penseurs de cette pseudo-radicalité qui ne fait qu’effleurer en superficie le mal plus profond qui ronge la civilisation occidentale.

N’en déplaise également à ceux avançant l’argument intellectualiste que tout le monde n’est pas capable d’autoréflexion. Ce qui est faux, car il ne faut pas être Bac+5 pour remonter à la source et savoir répondre par soi-même à la simple question que voici : « est-ce que j’ai pensé et réfléchi à cela par moi-même ou bien n’ai-je fait que répéter ce que j’ai entendu ? ». Et ce sont d’ailleurs souvent les Bac+5 qui sont le moins prompt à se poser la question !

Quant au divertissement, la société du spectacle, comme la nommait si bien Guy Debord, est là pour cela : divertir, encore et toujours plus. Divertir, étymologiquement divertire, signifiant « détournez quelqu’un de quelque chose ». Mais de quoi ? Telle est la question.

Bref, pour ce faire, vous l’aurez bien compris, c’est la même soupe qui nous est servie depuis belle lurette : du pain et des jeux, manœuvre de diversion vieille comme le monde. Une formulation plus contemporaine de ce concept est le tittytainement. Ce terme inventé par Zbigniew Brzezinski, qui fut le conseiller pour la sécurité nationale auprès de Jimmy Carter, est une contraction de entertainment (divertissement) et de tits (seins en argot américain). L’évocation des seins se réfère ici de façon plutôt ambivalente à leur fonction nourricière aussi bien qu’érotique. L’idée de Zbigniew est que, dans un monde où 20 % de la population mondiale suffira à faire tourner l’économie, le problème des nantis consistera à doser le pain et les jeux qu’il leur sera nécessaire d’accorder à la majorité démunie afin qu’elle se tienne tranquille : un cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettrait selon lui de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète. (Hans-Peter Martin et Harald Schumann, Le Piège de la mondialisation, Solin – Actes Sud, 1997, page 13)

La liberté de penser est pourtant considérée comme allant de soi. A tel point que l’on exercerait cette dernière en choisissant de regarder tel film, telle émission, telle série, ou de choisir d’acheter ou de lire tel article plutôt qu’un autre. Comme si cette liberté était un droit acquis à la naissance et se limitait à la liberté de choisir. Voilà bien le signe d’une grave méconnaissance des mécanismes de conditionnement régissant la société de consommation et auxquels nous sommes soumis à notre insu depuis notre plus tendre enfance. La question de l’illusion du choix constitue une de ces questions centrales que chaque aspirant à la liberté est invité à se poser en cours de route.

2.Le rapport au sacré

La chronique de Vincent Engel traite ensuite de la notion du rapport au sacré et au sujet duquel il relève pertinemment ceci : « Un sacré qui, s’il est fort, ne s’offusque pas. »

Oui, voilà un point qui est très justement soulevé ! Tiens d’ailleurs, à propos de sacré, et comme la chronique fait justement référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, très peu de personnes ont connaissance de l’article 35 de cette même Déclaration dans sa version de 1793 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». Pour information, ce qui distingue la Déclaration de 1793 de celle de 1789, c’est la tendance égalitaire qui s’y exprime.

Mais revenons-en au sacré dans son rapport avec la liberté d’expression et continuons l’analyse par l’extrait suivant : « Les seules limites à la liberté d’expression sont donc bien celles qu’impose la loi, et nulle autre – si désagréable puisse être cette expression. Et les restrictions légales doivent être minimes : l’appel au crime, à la haine raciale, la diffamation, les négationnismes.

Cherchez l’intrus.

Dans son livre « l’industrie de l’holocauste », Norman Finkelstein, un juif israélien dont les parents sont des survivants du ghetto de Varsovie et du camp de concentration de Majdanek (et qu’on pourrait dès lors difficilement taxer d’antisémitisme), explique très bien un processus en œuvre depuis quelques décennies déjà. Qu’en parallèle d’un événement historique avéré, la Shoah est progressivement devenue une nouvelle religion avec ses dogmes, ses tabous et son business. Comme le fait également très bien remarquer Yeshayahou Leibowitz de l’université hébraïque de Jérusalem, qui a probablement été le premier à suggérer que l’Holocauste était devenu la nouvelle religion juive. Ou encore Jonathan Moadab, un jeune juif français qui travaille pour l’agence infolibre et qui s’exprime sur le sujet au travers de cet article : http://www.agenceinfolibre.fr/pour-la-separation-de-letat-et-de-la-religion-de-lholocauste/

Et les exemples sont bien trop nombreux pour se dispenser de prendre cela très au sérieux. Le documentaire « Defamation » réalisé par l’israélien Yoav Shamir et encensé par les critiques relate tout cela de façon lucide et exempte d’émotivité ou de sensiblerie.

Dans ce sens donc, si la Shoah s’est transformée pour certain en une religion, nous touchons là au rapport au sacré. Et, comme le rappelle bien Engel, un sacré, s’il est fort, ne s’offusque pas. Pourtant, l’émotivité neutralisant directement toute forme de réflexion rationnelle, on est ici assez loin du compte. Dès qu’on touche à ce sujet sensible, les émotions prennent immanquablement le pas sur la raison. Sous couvert du politiquement correct, on fait ainsi l’économie de toute réflexion et on se borne à jeter le bébé avec l’eau du bain. Les amalgames colportés par certains et entretenus par les médias ont le vent en poupe. De même que le chantage à l’antisémitisme. Bref, le marché des étiquettes ne s’est au final jamais si bien porté ! Et on en arrive à assimiler de toute bonne foi le révisionnisme au négationnisme, de même que certains en arrivent encore à amalgamer antisémitisme et antisionisme. Le devoir de mémoire centré sur l’émotion a remplacé le devoir d’exactitude basé sur la raison.

Comme il est toujours d’une importance extrême d’être bien d’accord sur les termes utilisés, d’autant plus concernant des sujets si sensibles, il convient d’être précis. À son origine, le terme de révisionnisme désignait « le courant d’opinion demandant la révision du procès Dreyfus. Pour les historiens, le révisionnisme est un terme sans connotation particulière qui désigne une démarche critique consistant à réviser de manière rationnelle certaines opinions couramment admises en histoire, que ce soit par le grand public (le plus souvent), ou même par des historiens de profession non spécialistes de la période ou du domaine d’études considéré. Il se fonde sur un apport d’informations nouvelles, un réexamen des sources et propose une nouvelle interprétation (une ré-écriture) de l’histoire. » (Wikipedia)

Dans ce sens, sachant que l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs, et que la raison du plus fort n’est pas toujours la meilleure, on pourrait dire que la méthode historique est par essence révisionniste et que l’histoire est toujours amenée à être réexaminée « à froid ». Pourquoi ne parle-t-on jamais des juifs ayant servis dans la Wehrmacht dont on estime le nombre entre 120 000 et 160 000[1] ? Ni du rôle joué par certains notables juifs français dans la politique de Vichy (sujet traité par Maurice Rajsfus[2], né en 1928 de parents juifs polonais morts en déportation à Auschwitz) ? Ni de l’origine du financement du IIIème Reich (avec des investissements étrangers en provenance des Etats-Unis et de la Grande Bretagne, surtout dans l´industrie allemande de l´armement) ou encore de la révolution bolchévique[3] ? Vaste sujet que voilà et qui ne sera bien évidemment pas traité ici.

Quant au reste des restrictions légales dont font l’objet nos libertés, attardons nous deux minutes et de manière plus anecdotique sur la diffamation. En Belgique, lorsqu’un ministre (Madame Milquet alors ministre de l’intérieur et de l’égalité des chances au moment des faits en 2014) utilise ses privilèges afin d’imposer l’omerta et de témoigner anonymement dans un journal pour salir la réputation d’une élève de St-Michel en la traitant de nymphomane[4], dans le seul et unique but de couvrir les écarts de conduite de son fils, cela ne choque évidemment personne. C’est tout d’abord l’ancien et sulfureux sénateur Laurent Louis qui avait, via des sources internes à la police, eu vent de l’affaire. Affaire qui a ensuite été relayée par l’écrivain blogueur Marcel Sel. Une authentique affaire d’État impliquant les plus hauts niveaux de pouvoir qui n’a cela dit pas été ébruitée par la presse alignée et qui n’a donc fait l’objet d’aucune attention particulière de la part de l’opinion publique. Mais bref, passons…

3. Responsabilité

Après Condorcet, la chronique en vient ensuite à citer Albert Camus et nous présente une thématique récurrente dans les écrits du fameux prix Nobel : la liberté et l’écrasante responsabilité qu’elle implique.

Selon cette acception de la liberté, si la civilisation occidentale était vraiment libre comme elle prétend l’être, elle impliquerait de fait cette écrasante responsabilité. Pourtant, on constate par les dégâts que notre système cause à notre milieu de vie – notre mère nourricière la Terre, ainsi que par les souffrances infligées à nos frères et sœurs en humanité (sans même parler du sort réservé à nos amies les bêtes), on constate bien à quel point notre civilisation a atteint un niveau d’irresponsabilité devenu pathologique. Nos élites politiques et économiques ne reflètent-elles d’ailleurs pas admirablement ce constat ?

Reprenant les mots de Camus, Vincent Engel nous rappelle que ce dernier fustigeait ceux qui « n’applaudissent [la liberté] que lorsqu’elle couvre leurs privilèges et qui n’ont que la censure à la bouche lorsqu’elle les menace ». Rajoutant à juste titre que « ceux-là sont autant les législateurs habiles et malhonnêtes, que les ignorants dont les opinions sont si fragiles que toute expression contraire en devient insupportable. »

Tiens, voilà qui rappelle étrangement ce que disait déjà René Guénon en 1924 dans son ouvrage « Orient et Occident » :

« …comme tous les propagandistes, les apôtres de la tolérance sont très souvent, en fait, les plus intolérants des hommes. Il s’est produit, en effet, cette chose qui est d’une ironie singulière : ceux qui ont voulu renverser tous les dogmes ont créé à leur usage, nous ne dirons pas un dogme nouveau, mais une caricature de dogme, qu’ils sont parvenus à imposer à la généralité du monde occidental ; ainsi se sont établies, sous prétexte d’« affranchissement de la pensée », les croyances les plus chimériques qu’on ait jamais vues en aucun temps, sous la forme de ces diverses idoles dont nous énumérions tout à l’heure quelques-unes des principales. »

« La presse libre peut sans doute être bonne ou mauvaise, mais assurément, sans la liberté, elle ne sera jamais autre chose que mauvaise » disait également Camus. La question se pose évidemment de savoir à quel point la presse que l’on qualifie actuellement de « libre » l’est en réalité effectivement. Et à plus forte raison, à quel point nous sommes nous-même libre de penser. Questions que chacun est invité à explorer par ses propres moyens. « La fabrication du consentement » de Edward Herman et Noam Chomsky constitue un bon exemple parmi d’autre pour les aborder.

Bref, cette chronique suscite une impression ambivalente. D’un côté elle est tout simplement magnifique dans le sens où elle pointe très justement du doigt tout ce qui ne va pas. Mais de l’autre elle est également dramatiquement accablante dans le sens où elle offre, par un jeu de miroir des plus subtils, le reflet parfaitement renversé du mal qui ronge la civilisation occidentale à son stade actuel.

En conclusion de la chronique, se rapportant au « tweet » de Guillon, on peut lire ceci :

« Guillon, lui, demande aux journalistes et au public : « êtes-vous sûrs de vos priorités, même dans le drame et les larmes ? ». Ou, pour le dire autrement, Guillon nous montre quel est « notre » sacré, notre « prophète », ce que nous ne supportons pas de voir caricaturé : la souffrance et le drame. »

Si cela était vrai, si la caricature de la souffrance et du drame était vraiment devenue ce nouveau sacré, le drame du monde moderne et la souffrance infligée à l’énorme majorité de l’humanité ne laisseraient pas tant de monde indifférent. Car cette souffrance et ce drame ont pris des proportions réellement caricaturales. La caricature moderne (cette caricature de dogme dont parlait déjà Guénon il y a presque cent ans), c’est cette représentation spectaculairement grotesque obtenue par l’exagération des traits caractéristiques du système régissant notre époque. Et si cela était réellement de l’ordre du sacré, nous pourrions nous attendre à d’autres comportements de la part de nos contemporains face à une telle caricature (dont le chantage à l’antisémitisme fait intégralement partie).

A côté de cela, l’occidental moyen reste pourtant prompt à critiquer voire à s’horrifier devant les régimes politiques où il considère que l’exercice de la loi est barbare et sans rapport avec l’humanisme de son système démocratique. Mais pour ce faire, il aura tôt fait d’occulter ou de se rendre aveugle au fait que son système, avec lequel il a désormais contaminé la planète entière, ce système est le principe même générateur de la souffrance de l’humanité prise dans son ensemble. Souffrance d’ordre existentiel pour certains, d’ordre essentiel pour les autres. L’humain et son principe même sont broyés par la machine matérialiste progressiste.

L’esprit occidental est cristallisé dans une réalité fragmentaire uniquement déterminée par les éléments fournis par l’extérieur. Une représentation de la réalité dans lequel l’avoir a remplacé l’être. Il ne s’autorise plus à ressentir de l’intérieur. Et s’il arrive à ne pas sombrer dans la folie, c’est uniquement par cette faculté de ne plus savoir regarder la réalité en face par un divertissement incessant de ses sens (la société du spectacle où la misère s’observe à distance d’un œil malsain). Par un mensonge dont l’ampleur n’a d’égale que l’absurdité du système qui l’a vu naître et où son esprit est en proie à l’annihilation la plus totale.

La véritable cause de cette folie dont Erasme nous faisait ironiquement l’éloge se retrouve dans une forme de paranoïa, une forme de projection morbide qui conduit le sujet à attribuer à son objet – le mal projeté à l’extérieur – ses propres pulsions tabous, et à les sacrifier, en même temps que cette haine dissimule une aspiration secrète. Tel est le mensonge du fascisme d’un nouveau genre qui nous guette. Sous la pression économique, le système hallucinatoire devient une norme. La paranoïa un délire de masse.

Tout cela procède de l’égocentrisme, ce décentrage fondamental, et de rien d’autre. Celui-ci opère un renversement à 180° de tout notre rapport à la réalité et n’a aucun autre avenir à nous offrir que notre propre perte dans ce que nous sommes de plus essentiel.

Cet aspect désormais quotidien de notre existence, Hermann Hesse, un autre prix Nobel de littérature, l’avait déjà bien saisi en 1947, il y a de cela maintenant presque 70 ans déjà.

« Celui qui a subi les mauvais jours, avec les crises de goutte ou ces affreuses migraines qui s’agrippent derrière les prunelles et changent diaboliquement de joie en torture toute activité de l’œil et de l’oreille; celui qui a vécu des jours infernaux, de mort dans l’âme, de désespoir et de vide intérieur, où, sur la terre ravagée et sucée par les compagnies financières, la soi-disant civilisation, avec son scintillement vulgaire et truqué, nous ricane à chaque pas au visage comme un vomitif, concentré et parvenu au sommet de l’abomination dans notre propre moi pourri, celui-là est fort satisfait des jours normaux, des jours couci-couça comme cet aujourd’hui; avec gratitude, il se chauffe au coin du feu; avec gratitude, il constate en lisant le journal qu’aujourd’hui encore aucune guerre n’a éclaté, aucune nouvelle dictature n’a été proclamée, aucune saleté particulièrement abjecte découverte dans la politique ou les affaires. »

Si la raison est un outil, pourquoi l’outil deviendrait-il une raison ? Le progrès de la société industrielle avec son idéologie matérialiste a conduit à l’anéantissement de l’homme en tant que raison.

Le véritable nouveau sacré, le voici donc : l’économie de la réflexion. L’ignorance comme force motrice d’un système devenu suicidaire. Voilà la vérité. Mais cela, peu sont prêts à l’entendre. Car l’égocentrisme dont souffrent un si grand nombre de nos contemporains ne peut pas l’accepter. « C’est pas moi, c’est les autres ». Cette inversion des rapports est un des traits caractéristiques de notre temps. Cette manie de vouloir attacher partout la charrue avant les bœufs : ce qui normalement devrait être le moyen devient une fin, et inversement. Pour prendre un exemple très simple : l’argent. Ou encore la technologie et toutes ces machines qui sont censées être là pour les hommes, alors qu’en vérité, les hommes sont là pour les machines. Comme disait Frithjof Schuon, « le monde moderne est un enchevêtrement inextricable de roulements que personne ne peut arrêter ». Et ce renversement n’est pas sans rappeler le fameux double discours dont nous avons déjà parlé ici-même, introduit par Georges Orwell dans son roman d’anticipation 1984 : « La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force. »

Conclusion

En 1916, il y a donc presque cent ans, Rudolf Steiner écrivait ces lignes dans son ouvrage « La liberté de penser et les mensonges de notre époque » :

« Il ne faudra pas attendre longtemps après l’an 2000 pour que l’humanité ait à vivre des choses fort étranges qui se préparent déjà lentement.

La plus grande partie de l’humanité sera sous l’influence de l’ouest. Les prémices idéalistes que nous percevons déjà sont bien sympathiques en comparaison de ce qui vient. On verra apparaître, venant d’Amérique, une sorte d’interdiction de penser, non pas directe mais indirecte ; une loi qui aura pour but de réprimer tout penser individuel.

On assistera à une oppression généralisée de la pensée dans le monde. »

L’un des Pères fondateurs des Etats-Unis d’Amérique, Benjamin Franklin, avertissait pourtant bien que « sans liberté de pensée, il ne peut y avoir de sagesse ; et pas de liberté du peuple sans liberté d’opinion ; celle-ci est le droit de chaque homme tant qu’il ne porte pas atteinte à la liberté d’autrui. »

A côté de la peur que le système s’applique à instiller dans l’esprit des gens par un conditionnement de type pavlovien, une peur plus latente est entraînée par l’ignorance des vicissitudes de la vie. Cette ignorance ainsi que les réactions conditionnées d’attrait et d’aversion étant selon le Bouddha les trois causes fondamentales à tous nos maux. Cette ignorance conduit à une peur qui nous enchaîne intérieurement. Une peur dont la source est l’égocentrisme attaché à ses habitudes et allergique à toute profonde remise en question des certitudes qui l’animent. Car au fond de nous, en notre centre, comme le disait Rimbaud, « Je est un autre ». Je n’existe pas en soi tel que j’existe selon la perception mentale que j’ai de moi.

Pour recouvrer la liberté, il convient de combattre l’ignorance par la connaissance afin de nous recentrer sur qui nous sommes réellement. La Connaissance prise dans son sens le plus noble, la Gnose, de Gnỗthi seautόn, « connais-toi toi-même », rien de moins que ce qu’ont conseillé les sages de tout temps. La connaissance de soi donc, et non la connaissance se rapportant au « savoir » purement intellectuel uniquement dirigé par une rationalité abstraite et mutilée, et donc souvent totalement déconnectée des réalités du terrain – extérieur comme intérieur.

Ce savoir est pourtant de nos jours confondu avec l’intelligence. Mais comme nous le rappelle Krishnamurti à ce sujet, « l’intelligence n’est pas l’aptitude au maniement habile d’arguments, de concept, d’opinions contradictoires – comme si les opinions pouvaient donner accès à la découverte de la vérité, ce qui est impossible – mais elle consiste à se rendre compte que la mise en actes de la pensée, en dépit de toutes ses capacités, de ses subtilités, et de l’activité prodigieuse qu’elle ne cesse de déployer, n’est pas l’intelligence ». L’intelligence n’est que notre faculté de discernement – c’est-à-dire de partager, séparer, diviser. Si nous nous laissons guider uniquement par elle, nous ne ferons qu’en reproduire les mécanismes qui lui sont propres.

Une démarche réellement responsable serait de sérieusement se reprendre en main par une profonde remise en question. De suivre les conseils de Descartes qui disait que « pour atteindre la vérité, il faut une fois dans la vie se défaire de toutes les opinions qu’on a reçues, et reconstruire de nouveau tout le système de ses connaissance ». Et ainsi de réaliser à quel point tout ce qui nous paraît détraqué à l’extérieur finit toujours d’une manière ou d’une autre par renvoyer à ce qui au final est détraqué en chacun de nous. Rien ne va plus au dehors, car rien ne va plus au dedans. En laissant son égocentrisme de côté, et en fonction de son niveau de conscience, un nombre toujours grandissant d’entre nous est prêt à admettre cela. Jusqu’à un certain point du moins.

Et vous ?

[1] Certains d’entre eux ayant d’ailleurs accédé à des grades militaires élevés (maréchal, amiral, général) et ont même reçu les honneurs militaires (décorations pour actes de guerre). Ce sujet a été traité dans un ouvrage de Bryan Mark Rigg (« La tragédie des soldats juifs d’Hitler »), ancien professeur d’histoire à l’Université militaire des Etats-Unis.

[2] Maurice Rajsfus, Des Juifs dans la collaboration, L’UGIF (1941-1944), préface de Pierre Vidal-Naquet, éd. Études et Documentation Internationales, 1980

[3] Antony Cyril Sutton, économiste, historien et écrivain britannique, publia de nombreux ouvrages à propos de ces financements occultés par l’histoire officielle. Pierre de Villemarest, spécialiste des questions mondialistes, écrit que « Sutton fut le seul auteur qui ait jamais disséqué les contrats grâce auxquels les totalitarismes nazi et soviétique ont pu vivre et survivre économiquement ». A un autre sujet, Sutton met également en évidence que la Réserve fédérale américaine est un monopole privé et légalisé de réserve monétaire contrôlé par des intérêts privés constitués en petit nombre sous le prétexte de favoriser et de protéger l’intérêt général.

[4] Alors qu’à la même époque, Mme Milquet, en tant que ministre pour l’égalité des chances, affichait fièrement sur son site son combat contre le harcèlement et les conditions difficiles auxquelles sont soumises les femmes de nos jours. N’est ce pas caricatural d’un profond malaise ?

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