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Les arnaques numériques

J’avais déjà dénoncé dans Victoire les arnaques mises en place par de pseudo éditeurs proposant « à des prix imbattables» aux auteurs de «publier» leurs livres. Nouvelle manière de pratiquer l’édition à compte d’auteurs; ces officines qui ont désormais leur vitrine sur le Web profitent des avancées du numérique pour, encore et toujours, se faire du blé sur le compte des gens qui, de bonne foi, ont envie de diffuser autour d’eux le fruit de leur écriture.

Mais il n’y a pas que pour les auteurs en herbes que les arnaques pullulent. Pour les étudiants et les élèves aussi, comme le démontre, entre autres, le site www.oboulo.com. J’avais déjà été alerté, il y a deux ans, à la lecture d’un mémoire. Revers de la technique : s’il est extrêmement facile, aujourd’hui, pour un étudiant de piquer un travail tout fait sur Internet, ce l’est tout autant pour le détecter. En effet, il y a des ruptures de style qui ne trompent pas ; une petite recherche sur Google et on trouve la source, alors que, jadis, il était illusoire de vouloir retrouver le travail «tapuscrit» ou édité qui avait servi au pillage. Donc, je retrouve «ma» source sur le site en question. Prix pour le téléchargement d’un travail d’étudiant: plus de 10 € ! Consciencieux, je paie, et la malheureuse étudiante dont je lisais le mémoire, et qui s’était contentée de plagier le résumé, s’est retrouvée en seconde session. Oboulo.com, c’est la vraie fausse bonne idée : proposer à tous les Agnan de la terre de se faire du blé en vendant leurs travaux à tous les Clotaire de la terre. Le principe est vieux comme le monde : refiler, contre des avantages aux formes diverses, des copies supposées de qualité. Ce qui est nouveau, c’est que cette fois, il y a des arnaqueurs qui s’en mettent plein les pognes au passage. Des renards dignes de ceux qui trompent Pinocchio, qui montent un site où, en deux clics trois copier-coller, ils font croire au chaland qu’il y a là un comité scientifique digne de ce nom qui sélectionne impitoyablement les travaux.

Récemment, je tombe sur un travail portant sur deux de mes romans. Mon égo ne fait qu’un tour et, au diable l’avarice, je débourse, via Paypal, les 9 euros nécessaires pour flatter ma vanité. Las ! Non seulement on me vieillit d’un an, mais en plus, je suis confronté à un travail qui, au mieux, aurait récolté un 12/20, et encore, pour autant qu’on ait fait abstraction du final : en effet, l’impétrant présentait une page de texte qui était supposée être un extrait de Mon voisin, c’est quelqu’un (un des deux romans qui faisaient l’objet du travail). Or, en fait d’extrait, il ne s’agissait que d’un exercice d’écriture «à la manière de».

Je n’en veux pas à l’élève qui a trouvé là la possibilité de gagner 10 centimes; j’en veux aux escrocs qui l’ont appâté, qui lui ont fait croire qu’il était légitime de se faire de l’argent avec ce qui n’était, somme toute, qu’une obligation scolaire. Ce qui est plus scandaleux encore (l’erreur est humaine, et je ne peux pas vraiment reprocher à leur «comité scientifique» de ne rien connaître à mes livres, mais la composition de ce comité laisse songeur sur ses capacités à évaluer des travaux en sciences humaines), c’est que leur site indique fièrement qu’il applique le principe de «satisfait ou remboursé», et que plusieurs liens vous permettent de signaler un abus. J’ai tout utilisé, j’ai écrit plusieurs mails ; aucune réponse. Si ça, ce n’est pas de l’arnaque…

Post-scriptum

Un troisième message envisageant de divulguer leur fonctionnement singulier a finalement été suivi d’une réponse que je vous livre ici in extenso :

« Nous vous remercions pour votre message et vous prions de nous excuser pour le temps mis à vous répondre. Vous n’êtes sans doute pas sans savoir que nous avons lancé une nouvelle version du site. Ce lancement a entrainé des perturbations dans la gestion de notre service client et nous vous renouvelons nos excuses.


Sur le fond de votre demande, nous comprenons que le document en question ait pu vous heurter. Parler de malhonnêteté est sans doute un brin vif ,mais nous pouvons comprendre que votre sensibilité d’auteur ait été touchée. Nous reconnaissons que l’auteur du document n’a pas marqué assez nettement la dichotomie entre citation et travail d’écriture personnel.


Par conséquent, nous procédons à la suspension de ce travail. Le document n’est dès à présent plus téléchargeable et sera totalement supprimé du site www.oboulo.com dans un délai de 8 jours.

Concernant votre demande de remboursement et conformément à notre politique satisfait ou remboursé, nous vous invitons à évaluer le document ici en vue d’obtenir le remboursement de votre consultation sous forme de bon d’achat.


Nous nous garderons en revanche de polémiquer avec vous sur la vision que vous portez sur notre société. Nous ne la partageons pas mais cela ne nous semble pas nécessiter un échange de proses vindicatives qui ne mettrait l’accent que sur les utilisateurs mal-intentionnés tout en négligeant le support positif offert à des millions de personnes chaque année.


Nous vous remercions et restons à votre entière disposition. »

Ainsi donc, présenter comme « extrait » ce qui n’est qu’un exercice d’écriture commis par un autre que l’auteur dont on prétend présenter un extrait n’est pas malhonnête, et c’est juste un manque de précision dans la présentation ! D’accord ; à partir de désormais, il faut comprendre que le mot « extrait » ne signifie pas « Fragment ou ensemble de fragments d’une œuvre écrite, choisis pour en caractériser le contenu ou l’esprit » (Trésor de la langue française) mais « texte écrit par n’importe qui et attribué à un autre ». Voilà comment des sites pareils font avancer la science…

Mais bien sûr, tout ceci n’est dû qu’à ma « sensibilité d’auteur », qu’à ma susceptibilité, ce qui fait de moi un « utilisateur mal-intentionné ». L’éventualité que je sois également un pédagogue désireux exercer son esprit critique à l’encontre d’un supposé service où l’on vend cher des travaux que les étudiants devraient être capables de produire par eux-mêmes relève donc de la « mauvaise intention », voire bientôt de la calomnie.

Avec ce savoir prémâché qu’Internet met à disposition, avec ou sans contrôle exercé par des autorités compétentes, il est crucial que les enseignants mettent en garde leurs élèves et leurs étudiants contre de tels pourvoyeurs de « savoirs » qui, en prétendant appliquer un contrôle scientifique de qualité, acceptent sans discernement des travaux pour lesquels il faudra attendre que quelqu’un paie pour manifester sa « sensibilité » et sa susceptibilité, et surtout pour faire le travail de vérification qui aurait dû être fait en aval. En attendant, l’argent est empoché et non remboursé, puisqu’on ne propose en échange qu’un éventuel bon d’achat, au terme d’une procédure dont il est difficile de percevoir la logique : il faut en effet introduire sur le site une évaluation du travail litigieux, et aucune case à cocher ne permet de stipuler clairement que vous exigez un remboursement. J’imagine que votre réclamation doit être soumise à l’évaluation du même comité « scientifique »…

Affaire à suivre !


Nouveau PS, en ce 19 novembre 16:40 : il me faut signaler, par honnêteté, qu’Oboulo s’est empressé de me rembourser l’article directement, sans « bon d’achat ». Il n’y a donc pas d’arnaque commerciale. Reste la question de l’arnaque intellectuelle, qui demeure, en tout cas pour les domaines de sciences humaines.

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