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Le Front National, droit devant

Les médias français, suivis par les nôtres, ont largement relayé, ces derniers jours, les disputes internes au Front National entre la fille et le père, arbitrées par la petite-fille. Toutes les analyses sont permises, sans doute, mais un constat est sûr : le FN sortira gagnant.


Lors des prochaines élections présidentielles françaises, il est probable que la différence se fera entre le clan des sexistes et celui des racistes les plus radicaux. Dans le duel plus que probable entre Sarkozy et Le Pen fille, il est possible que celle-ci perde parce qu’une majorité de Français refuse encore l’idée d’une femme présidente, non parce que cette majorité s’oppose véritablement au programme raciste, nationaliste et fasciste du FN – duquel, au demeurant, Sarkozy a déjà repris les éléments les plus droitiers sur les thématiques de la sécurité et de la « préférence nationale », même s’il s’évertue à se distinguer de son double blond.

Sécurité, Conformité, Identité

Car ce qui est certain, c’est que la France (mais elle n’est pas la seule dans ce cas) s’éloigne de plus en plus d’un idéal politique démocratique et se prépare, avec l’aide de ses élites intellectuelles et de ses médias majeurs, à mettre en place un gouvernement et une présidence sinon ouvertement fascistes, du moins fascisants, dont les maîtres mots seront : sécurité, repli national, peur. À la devise « Liberté, égalité, fraternité », on préférera ouvertement celle de « Sécurité, conformité, identité ».

Les médias s’interrogent donc sur l’impact que les récentes disputes entre Marine et Jean-Marie pourraient avoir sur l’avenir du FN et sur la carrière politique de la présidente d’un parti qui s’évertue à se faire passer pour « normal ». Or, un coup d’œil même rapide sur le programme du FN présenté sur leur site (et plus encore une analyse approfondie de ce programme) (http://www.frontnational.com) suffit à voir qu’au-delà de propositions qui, pour certaines, semblent fondées sur le bon sens, les lignes de force restent celles du nationalisme, de l’exclusion, du racisme, et visent à la mise en place d’un régime non démocratique fascisant. Marine tourne-t-elle vraiment la page puante de Jean-Marie ? Les propos de ce dernier au journal d’extrême droite Rivarol sont l’expression pure et nette de ses fondamentaux politiques : racistes, négationnistes, antisémites. Pour autant, est-il certain que sa fille et une majorité de membres du FN ne les partagent pas, de même que leurs électeurs ?

Certains estiment que Jean-Marie Le Pen préfère détruire son bébé plutôt que de le voir lui échapper, comme Philip Turle, rédacteur en chef adjoint de la rédaction anglaise de RFI (http://videos.tf1.fr/infos/2015/conflit-ouvert-au-fn-jean-marie-le-pen-peut-tout-faire-pour-detruire-8592947.html). D’autres, comme le Journal du Dimanche, estiment qu’au final, Marine en sortira gagnante, grâce à la manière dont elle aura pu gérer la crise (http://www.lejdd.fr/Politique/FN-Marine-Le-Pen-peut-elle-dire-merci-a-Jean-Marie-727910). Rares sont ceux, cependant, qui estiment qu’il s’agit d’une stratégie concertée au sein du FN pour servir, in fine, à la normalisation de celui-ci et lui permettre d’accéder aux plus hautes instances du pouvoir. Les tenants de cette hypothèse se retrouvent principalement (mais pas uniquement) à l’extrême gauche, comme Eric Coquerel, secrétaire national du Parti de Gauche (http://www.sudradio.fr/Politique/L-interview-politique/Crise-au-FN-Un-cadeau-de-Jean-Marie-Le-Pen-a-sa-fille-pour-Coquerel), mais Bruno Roger-Petit, dans le magazine en ligne Challenges.fr, rejette cette lecture (http://www.challenges.fr/politique/20150409.CHA4763/marine-contre-jean-marie-le-pen-rupture-ou-storytelling-de-la-dediabolisation.html), en défendant l’idée que Jean-Marie Le Pen n’a jamais eu d’autres objectifs que de déranger l’establishment politique et de faire valoir sa propre et unique médiatisation.

Je ne crois pas que ce soit si simple. Comme tous les partis extrémistes qui cherchent à se « normaliser » et à accéder au pouvoir, le FN joue du double langage. Mussolini le pratiquait déjà avec brio avant d’obtenir le pouvoir (démocratiquement, faut-il le rappeler, ce qui ne l’a pas empêché, une fois au pouvoir, d’utiliser les outils de la démocratie, au premier rang desquels le Parlement, pour dissoudre cette démocratie dans une dictature), et le principe est toujours le même : d’un côté, un discours musclé, raciste, excessif, qui parle aux éléments les plus radicaux de l’électorat. De l’autre, un discours policé en apparence qui construit pas à pas la normalisation. Mais qu’est-ce que la « normalisation » ? Un FN qui deviendrait un parti démocratique respectable, ou une démocratie qui se délite et accepte, petit à petit, une forme plus ou moins explicite de dictature fascisante ?

Une stratégie gagnante

Lorsque Jean-Marie « dérape », le bénéfice pour Marine se calcule à plusieurs titres. D’abord, et ce n’est pas rien, la surmédiatisation. Ce qui n’est, somme toute, qu’un conflit au sein d’un parti devient une affaire (inter)nationale. Et dans cette stratégie médiatique, l’essentiel reste la quantité, la surface médiatique obtenue, pas le contenu. Cela contribue formidablement à rendre le FN « normal ».

Ensuite, l’effet contraste : Marine peut facilement faire croire que le FN n’est plus représenté par de tels propos. Quand on vous présente un fond noir à côté d’un fond gris, ce dernier peut paraître blanc.

Enfin, la victimisation, argument privilégié par le FN (autant que par Sarkozy au demeurant). En gros, cela consiste à dire : « nos ennemis et les médias à leur solde veulent continuer à faire croire aux Français et aux Françaises que nous sommes un parti fasciste et raciste, alors que c’est faux ». Du coup, les indécis, ceux qui sont mal informés, ceux qui sont dégoûtés par la politique actuelle, plaindront le « pauvre FN » et lui donneront raison, sentimentalement. Et le FN, comme tous les partis fascistes et populistes, partage la conviction exprimée par Hitler dans Mein Kampf, et selon laquelle, « dans sa grande majorité, le peuple se trouve dans une disposition et un état d’esprit à tel point féminins que ses opinions et ses actes sont déterminés beaucoup plus par l’impression produite sur les sens que par la pure réflexion. La masse est peu accessible aux idées abstraites. »

2017, l’année de tous les dangers ?

La présence au deuxième tour de Marine Le Pen, aux élections de 2017, semble un fait acquis. Certains diront que les premiers responsables en seront les responsables socialistes, Hollande en tête, qui ont complètement raté leur pari et n’ont pas tenu leurs promesses, en appliquant une politique libérale contraire à leurs valeurs de gauche. Ce sera certainement une explication majeure de cette situation, mais ce ne sera pas la seule. En plus de la fausse normalisation du FN, il faut aussi compter avec le « berlusconisation » des médias, et tout particulièrement de la télévision : on ne peut pas subir à longueur de journée les émissions débilitantes des principales chaînes françaises et conserver le minimum de sens critique indispensable au maintien d’une démocratie digne de ce nom.

En tout cas, la dispute entre Marine et Jean-Marie ne doit pas effrayer les électeurs du FN ; l’horizon reste bleu, et Marion y brille déjà comme la future étoile, ou mieux, le prochain soleil. Sans doute les anciens adversaires du FN se reposaient-ils sur l’idée que le parti mourrait avec son fondateur ; mais c’était une erreur funeste. Le lepénisme est parti pour durer et pour accéder au pouvoir, avec la volonté des Français et des Françaises qui, à l’instar de trop nombreux Européens, ont peur – des autres, de l’avenir, d’eux-mêmes – et sont dégoûtés – de la politique, des partis historiques, de l’Europe, du pseudo-libéralisme présenté comme la seule solution.



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