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La chair est triste, hélas ?

A mes yeux, rien n’est plus difficile que la littérature érotique. Plus encore de nos jours où les tabous n’existent pour ainsi dire plus, où la pornographie est devenue une référence pour les jeunes, conduisant même certains d’entre eux à croire que l’amour se fait d’office à plus de quatre. Les romans contemporains foisonnent, qui multiplient les descriptions les plus anatomiques et les plus crues des ébats des protagonistes, et ce que l’on appelait autrefois prose nombriliste devrait être aujourd’hui être requalifié, le centre de gravité de ces romans étant descendu d’une bonne quinzaine de centimètres. Pour ma part, j’éprouve les plus vives difficultés à décrire une scène d’amour. J’avoue mon incompétence, mais c’est d’abord par peur du ridicule. Rien n’est plus banal que l’amour que font les autres, rien n’est plus particulier que celui que nous pratiquons dans le secret de notre intimité. Pourtant, d’autres s’y sont essayés et ont produit des chefs-d’œuvre du genre. Un des plus magnifiques : la nouvelle «Point de lendemain» de Vivant Denon, sublimement érotique sans la moindre allusion directe. Le XVIIIe siècle regorge d’ailleurs d’écrits érotiques et libertins, à commencer par ceux du Marquis de Sade, des scènes où les partenaires se chevauchent en échangeant des bons mots (et parfois, le grand mal…) L’élégance, toutefois, ne dissimule pas chez certains des pratiques pour le moins limites… L’érotisme étant une de voies par lesquelles l’humain se distingue des animaux, toutes les époques le pratiquent et donnent, à travers lui, un portrait de son âme la plus secrète. Ainsi, si au XIXe siècle, Frédéric Moreau, le héros de L’éducation sentimentale de Flaubert, est pris d’émoi devant le pied d’une femme, il en faut beaucoup plus de nos jours… Notons aussi les textes rares de Maurice Blanchot ou Bataille. Plus récemment, le très beau livre combinant textes et images de Claude Javeau et Claude Fauville, Une femme (éd. Timperman), ou le récent roman de Christian Libens, Amours crues (Luc Pire). Mais à ces rares exceptions (j’en oublie certainement, n’étant pas un spécialiste), Javeau oppose ce judicieux constat : «Il arrive parfois que le sexe bâille d’ennui»… Et le lecteur aussi. C’est cet ennui qui se dégage des «confessions» sexuelles de certain(e)s auteur(e)s comme Catherine Millet ou Annie Ernaux, ou des scènes de partouze décrites par Beigbeder ou Houellebecq, dont la provocation est très en dessous de ce qu’a fait, par exemple, un Jean Genet, dans son magnifique Notre-Dame des Fleurs. La chair est-elle si triste, que l’on trouve dans ces livres ? Souvent, surtout quand elle se drape de prétention littéraire. Mais il y a, et il y aura toujours des exceptions, qui chanteront l’amour sous toutes ses formes. Et notre siècle, sans doute, est plus proche du XVIIIe que du XIXe, comme en témoigne un des plus flamboyant écrivains français, Philippe Sollers.

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