Si on regarde l’étymologie, on se rend compte que le premier sens du mot «idiot» est plutôt positif : «idios», en grec, signale ce qui est «propre à», «singulier». Unique, donc, comme l’a bien développé Clément Rosset dans sa définition du réel (Le réel et son double, Folio). Et donc, à l’heure des revendications et des débats sur les identités nationales, les belgitudes, les flamantitudes, les wallonitudes et autres solitudes, j’ai décidé de lancer mon manifeste pour l’idiotitude. Idiot et fier de l’être. Ce sera l’amorce de ma réponse au projet surréaliste de Rudy Demotte : lancer un débat sur l’identité wallonne, afin d’en fonder une, positive et constructive.
Je pourrais développer l’argument de Romain Gary : «le patriotisme, c’est l’amour des siens; le nationalisme, c’est la haine des autres». Mais Gary était un bâtard juif russe à qui une mère avait imposé un rêve : «tu seras un grand écrivain français, mon fils». Ce qu’il fut, et pas un peu. Un des ces multiples «métèques» qui, du pied-noir Camus aux Roumains Ionesco et Cioran, en passant par le judéo-helvético-corfousien Cohen et le tchèque Kundera, pour ne citer qu’eux, ont gravé dans le marbre de la postérité les plus belles pages de la littérature «française» — de la même manière qu’un peu plus tôt, les Flamands De Coster, Verhaeren, Maeterlinck, Ghelderode, Baillon et tant d’autres offraient les lettres d’or de la littérature «belge» francophone. Mon père, juif polonais engagé dans les forces belges de la RAF, installé à Bruxelles après guerre, a fait toutes ses affaires avec des Bruxellois et, surtout, des Flamands. Il supportait difficilement les Wallons, trop bavards à son goût. Et ma mère, arrière-petite-nièce d’André Baillon, qui ne parlait pas un mot de néerlandais, et moins encore de wallon, mais issue de ces familles bourgeoises francophones de Flandre…
Alors, que dois-je répondre au projet de Rudy Demotte ? Je vis en Brabant wallon, certes, et j’ai appris à connaître la Wallonie. J’ai même, pour M. Van Cauwenbergh, essayé de rendre lisible le «Plan d’avenir pour la Wallonie», et j’ai épousé une Wallonne – qui connaît encore moins de wallon que moi. Mais pour leur majorité, les habitants actuels du BW ne sont pas wallons. Et les Wallons de Mons, qu’ont-ils vraiment en commun avec ceux de Namur, d’Arlon ? De Liège ? Et ce n’est sans doute pas un hasard si c’est avec les «wallons» du Hainaut que je me sens le mieux : terre d’accueil, d’asile, d’immigration, combien de ces «Wallons» n’ont pas des gênes italiens, polonais, espagnols, flamands ?
Il y a quelques semaines, j’écrivais dans ces colonnes que le débat français sur l’identité nationale n’avait aucune chance d’exister chez nous. M. Demotte semble me donner tort. Pas sûr. J’ai peur du ridicule qui risque de lui retomber sur la tête. Et à tout prendre, je suis prêt à militer pour la définition d’une identité nord-brabançonne, voire nord-est, voire nord-sud-est du tiers inférieur de la province.
Soyons sérieux. Nos identités sont multiples. Elles ne doivent pas être des prisons. Ma première identité, c’est la deuxième guerre mondiale qui l’a fondée. Elle m’a appris qu’il ne fallait pas juger les gens sur les actes de leurs parents. Ne pas reprocher aux «Flamands» en général les errements de certains d’entre eux durant la guerre – après tout, il y a eu aussi une légion SS wallonne. La première identité, qu’elle soit fondée sur la langue, un folklore ou quoi que ce soit d’autre, est une graine qui doit germer et pousser à l’universalité.
Idiot, oui ! Unique, simple. Idiotitude, culture identitaire de l’unicité généreuse et curieuse. D’ailleurs, un idiotisme n’est-il pas aussi une particularité linguistique, impossible à traduire dans une autre langue ? Peut-être. Mais n’est-il pas idiot de croire qu’il est des idées impossibles à traduire ? Si les mots n’existent pas, il reste les gestes, les sourires et, évidemment, la musique. Pas les hymnes nationaux, bien sûr. Peut-être ce folklore interprété par Rum et De Snaar qui, lorsque j’avais 16 ans, m’avait donné une furieuse envie d’être… un musicien flamand !
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