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Espoir, déception, colère

Si le monde était une musique…

Marche triomphale en do majeur. Le monde arabe se soulève contre des dictatures que l’on feignait, en Occident, de considérer comme des amis, des barrières contre l’intégrisme, bref, des alliés dans la lutte contre l’immonde barbarie qui menace notre belle démocratie. Et puis, non ; tout à coup, on découvre que ses amis sont infréquentables, et même les amis de ces amis, qui sont pourtant toujours prêts à offrir leur jet privé à nos ministres pour des excursions privées de tout intérêt.

Espoir de cette foule sur les places des libertés bafouées. Courage de ces jeunes gens dont le véritable credo, aussi inouï que cela paraisse à nos intellectuels, est de vivre en paix, de pouvoir s’exprimer librement et d’avoir un niveau de vie décent. À travers les atermoiements de leurs dirigeants menacés et de leurs soutiens militaires, l’espoir se mue en déception, en colère, jusqu’à, semble-t-il, avoir gain de cause. Les mois prochains nous diront si le monde arabe deviendra ou non le fer de lance d’une nouvelle dynamique démocratique internationale. Un tel démenti aux craintes et aux politiques absurdes de l’Occident serait pour le moins ironique, et assurément extraordinaire et salutaire.

Mais aussi Requiem en ré majeur dans nos démocraties. Merkel, Cameron, Sarkozy y vont de leur lugubre trio pour annoncer l’échec et la mort du multiculturalisme. Les étrangers sont désormais sommés de se fondre dans une identité européenne, déterminée, à en croire la chef de groupe allemande, par la chrétienté. Espoir, déception, colère. Espoir de voir toute cette main-d’œuvre bon marché, dont nous avons tant eu besoin pour conforter notre richesse et notre contrôle du monde, devenir une classe moyenne inférieure, heureuse d’échanger son identité contre le costume transparent d’un consommateur soumis. Déception ; l’identité résiste, et il n’est plus possible d’offrir à tous les moyens de consommer paisiblement. Colère : rentrez chez vous. Colère de théâtre, malsaine et populiste, dont la fonction première est de vendre des candidats aux prochaines élections. Si le peuple arabe se soulève contre ses dictateurs, le bon peuple européen a, lui, le cœur qui se soulève à la vue des voiles, des mosquées, des étrangers. Le monde arabe avance, le monde européen recule. Le passé vers lequel il se précipite est un enfer dont il croyait s’être à jamais prémuni ; le véritable multiculturalisme, celui que nous avons manqué et non celui dont Merkel et Cie annoncent le décès, aurait dû être le lieu d’un vrai partage, d’un enrichissement mutuel, et non l’enfermement de chacun dans son identité « culturelle ».

Et enfin, litanie en si mineur chez nous. Pas de foule déterminée devant le 16 rue de la Loi pour exiger le départ de tous les politiques compromis dans l’ancien régime ; pas d’espoir, à peine de la déception, et une colère qui mobilise si peu. La preuve est faite, qui conforte autant Bart De Wever que Rudy Demotte : le niveau fédéral ne sert à rien, on peut parfaitement s’en passer. D’une certaine manière, la Belgique, une fois encore, décline les tensions et les enjeux du monde. La démocratie, pourquoi faire ? Un gouvernement en affaires courantes s’arroge des prérogatives de gouvernement légitime, alors que plus aucun pouvoir représentatif n’a la capacité de le sanctionner ; le même gouvernement impose un accord interprofessionnel que les syndicats refusent, sous prétexte qu’on ne peut pas se payer une crise qui menacerait le développement économique. Pas de jet privé, c’est vrai; mais ici aussi, l’échec retentissant d’un multiculturalisme (le pluriel ne commence-t-il pas à deux ?) que l’on disait fondateur et exemplaire pour l’Europe entière.

L’Europe qui, Belgique en tête, sombre dans l’intégrisme de sa suffisance, du sous-régionalisme raciste et frileux et d’un populisme à courte vue, enterrera bientôt les restes de la démocratie.

Il ne nous reste peut-être que l’espoir de ressusciter à Alger ou Rabat.

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