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  • Bienvenue | Site officiel de Vincent Engel

    Bienvenue Bienvenue sur la nouvelle version de mon site ! Vous y découvrirez mes livres, mes spectacles et mes projets. Vous pourrez également lire mes chroniques littéraires et politiques, dialoguer, poser des questions, inscrire des rencontres à votre agenda et commander en ligne. La page des « Mondes » est désormais active ! Découvrez-la et inscrivez-vous pour être tenu au courant! Plus d'infos Inscription Découvrez mon dernier roman Vous qui entrez à Montechiarro Le dernier tome de ce “Monde d’Asmodée Edern”, débuté en 2001 avec Retour à Montechiarro … En lire plus… La plupart de mes livres — certains en exclusivité — sont disponibles à la vente directe via la boutique du site. La boutique Les mondes de la fiction Le monde d'Asmodée Edern, les dystopies de Baptiste Morgan, le rêve de Maramisa ; découvrez les univers qui englobent la plupart de mes romans. Explorez Le blog Des comptes rendus littéraires, mais aussi des prises de position sur des questions de société et des réflexions sur l'écriture… Le blog Mes livres De la fiction à l'essai, en passant par le théâtre et la poésie Les livres Mes spectacles Théâtre, shows de Franco Dragone, spectacles musicaux… Les spectacles Mes projets ​ Genre de la nouvelle, francophonie, actualité, engagements divers… Les projets Discutons ! À travers le forum, vous pouvez poser toutes les questions relatives à mon travail ou mes projets, et consulter les réponses déjà données à des questions similaires. Cet outil s'adresse tout particulièrement aux élèves qui doivent fournir un travail sur un de mes textes ; mais il est ouvert à tout le monde. Le forum Aucun événement à venir pour le moment

  • The House of Dancing Water

    The House of Dancing Water Précédent Suivant Ma première collaboration avec Franco Dragone remonte à 2007. C’était sur le projet d’adaptation de la pièce de Shakespeare « Othello », réécrite par Yves Vasseur, et qui a donné le spectacle « Othello passeur » au théâtre du Manège de Mons.L’année suivante, Franco m’engageait comme dramaturge pour son premier grand spectacle en Asie, à Macao : The House of Dancing Water . Une aventure inoubliable… De 2010 à 2019, le spectacle a joué presque sans relâche, dix représentations par semaine dans une salle de 2.000 places à chaque fois remplie. Une histoire simple et sans mots : la rencontre entre l'Orient et l'Occident, à travers une histoire d'amour et de courage qui réunit un aventurier européen, un pêcheur macanais et une princesse sortie du fond des âges et des eaux… Le vrai défi pour l'écrivain : raconter sans utiliser le langage écrit ou parlé…

  • La peur du paradis

    > < La peur du paradis Romans Infos Sous le nom de : ​ 2011 Livre de Poche Édition : Jean-Claude Lattès 2009 Poche : L’Italie au lendemain de la Première Guerre. Entre mer et forêt, au coeur des Pouilles, se niche le village de San Nidro où grandissent Basilio et Lucia. Née de parents inconnus, Lucia est différente et les villageois s’en méfient : enfant presque sauvage, elle est l’amie des signes envoyés par la nature. Basilio, lui, vient de perdre son père. Pour conjurer le chagrin, il oscille entre deux mondes, sa vie de pêcheur sous la voile du sage Luigi, l’univers magique et inspiré de la petite fée des bois. Liés par le destin, Lucia et Basilio s’aiment et se jurent fidélité sans même se l’avouer. Mais un acte irréparable (un bûcher dressé par les enfants pour incinérer le corps du vieux Filippo, qui avait pris Lucia sous sa protection) va faire basculer ces amours enfantines dans le cours tragique de l’Histoire. Sur ordre des fascistes, Lucia est enfermée dans un couvent de Bari. Elle parvient à s’enfuir et se retrouve à Rome. Basilio, désespéré, fera tout pour la retrouver. Une quête faite d’espoirs et de rendez-vous manqués à l’heure où l’Italie mussolinienne pactise avec le diable… Une destinée à mille lieues du « paradis » de San Nidro attend les deux jeunes gens au cours de ce roman envoûtant. Après sa période toscane, Vincent Engel nous emporte dans une géographie sauvage et romantique où affleure toute l’âpreté d’un Sud qui échappe au temps. Il était descendu sur la plage. Besoin de sentir sous les pieds les éclats brûlants du sable, puis, à la lisière de l’eau, la fraîcheur salée. Besoin de tourner le dos à la falaise abrupte, de pierre grise et de verdure. Besoin de noyer les images du village, de ses habitants, dans l’immensité sereine de la mer, le blanc des maisons dans le bleu confondu du ciel et des vagues. Besoin de n’être pas là où on le croyait, où on l’attendait. Où reposait celui qui n’était plus, celui qui ne viendrait plus sur cette plage. Celui qui n’aurait plus jamais besoin de rien ni de personne. Il n’y avait pas de vent. Basilio soupira ; le vent l’aurait aidé à balayer les pensées qui l’accablaient. Qui l’empêchaient d’être corps et âme dans sa contemplation et son oubli, de n’être qu’un regard tourné vers l’horizon. Grandir lui apporterait la maîtrise suprême : celle qui pouvait réduire l’esprit au silence, éteindre ce bavardage incessant de femme inquiète. Du moins l’espérait-il. Le vent, quand il soufflait, n’y parvenait qu’en partie. Des fragments de pensées s’accrochaient toujours, comme des brindilles et des feuilles mortes dans la bourrasque. Le soleil, sur la plage, était contraint de mêler son ardeur à la douceur de la brise, même imperceptible. La langue de sable qui courait, à droite et à gauche, jusqu’à l’infini, semblait une sirène fatiguée venue se reposer ici, contre l’épaule de pierre d’un géant assoupi. Basilio aimait son coin de monde, cette coupure blanche dans la chair marine, cette frontière où, dans son dos, se pressait l’écrasante immobilité de ce qui était, de ce qu’il devait être au regard des autres, et où, face à lui, s’ouvrait l’immensité du rêve. Il eut envie de s’avancer dans les vagues, de se laisser submerger de longues secondes durant, jusqu’à ce que le feu dans ses poumons le contraignît à exploser l’écume. Un jeu qui rendait folle sa mère. Basilio riait sous l’eau à cette simple idée. Mais aujourd’hui, Annunziata avait assez de raisons pour se plaindre. Basilio soupira à nouveau et haussa les épaules. — Tu peux pleurer, tu sais… Valentina avait laissé glisser sa main sur la joue de l’adolescent. Parce qu’elle ne s’offusquait jamais de son silence, elle pouvait tout lui dire, même qu’il avait un visage qui ressemblait, en cet instant, aux pierres de la falaise. Basilio était le seul à deviner le sourire dissimulé derrière la fatigue et la tristesse de la jeune femme dont le corps s’était déjà drapé de noir. Comme presque toutes les femmes du village, du pays. À San Nidro, dans toutes les Pouilles, les femmes étaient des ombres, des doigts de deuil pointés vers le ciel, qui se traînaient sur la terre dans l’attente d’y sombrer. Mais Valentina ne voulait pas sombrer. Et pour se souvenir du bonheur, pour en conserver sinon la saveur, du moins la promesse, elle avait, dans le secret de son cœur, fait de Basilio un phare dans la tempête. Il posa la main sur celle de Valentina, qui refoula un frisson. Ils se fixèrent un moment en silence, sur le seuil de la maison. — Ne les écoute pas : ne sois pas trop courageux. Basilio s’écarta et ferma les yeux au passage de ce corps au parfum d’orange et d’abandon. Valentina se laissa happer par la fournaise blanche du jour. Prix littéraires - Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Pourquoi parler d’Auschwitz ?

    > < Pourquoi parler d’Auschwitz ? Essais Infos Sous le nom de : ​ - ​ Édition : Les Éperonniers 1992 Poche : . . Prix littéraires - Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Deux ans et l'éternité

    > < Deux ans et l'éternité Romans Infos Sous le nom de : ​ - ​ Édition : Ker 2019 Poche : Mai 2018. Sur une autoroute belge, une course-poursuite s’engage entre un fourgon chargé de migrants et une escouade de policiers. Dans le feu de l’action, un des poursuivants tire sur la camionnette. La balle perce la tôle et provoque la mort d’une fillette, dans les bras de ses parents. C’est l’histoire de Mawda. C’est une histoire d’amour impossible. Une histoire de guerre. Une histoire de souffrance et de contradictions. Une histoire où puiser la force de bâtir un monde plus juste et plus humain. D’abord roman choral à travers les yeux de chacun des acteurs de l’histoire, le livre se poursuit par une contre-enquête journalistique à propos de l’affaire Mawda. Car les faits décrits dans ce livre se sont réellement déroulés, aussi révoltant que cela puisse paraître, en Europe occidentale, au XXIe siècle… Ce récit se fonde sur des événements qui se sont déroulés sur une autoroute belge, la nuit du 16 au 17 mai 2018. Ce que l’on appelle un « fait divers ». Plus précisément, un « fait divers tragique » parce que, sans le tragique, le fait divers n’émeut pas. C’est important, l’émotion. Même si c’est parfois malsain. Obscène. Ça fait vendre, l’émotion. Des journaux, des espaces de publicité pour entrecouper les éditions spéciales. En 2003, après le tsunami en Indonésie, un magazine avait titré en Une : « Une victime sur trois est un enfant. » Et en quatrième de couverture, une pleine page de publicité pour EuroDisney : « Ran, plan, plan, c’est gratuit pour les enfants. » Sans doute la pub était-elle programmée de longue date ; personne en tout cas n’a songé à la retirer. Parce qu’il y a tragédie et tragédie ; celle qui touche des enfants, c’est le nec plus ultra. Il y a une explication scientifique à cela. Neuroscientifique, même : les neurones miroirs, responsables de l’empathie. Voir un enfant, un petit – un chaton, un ourson, peu importe – suffit pour activer chez nous une envie de le protéger. Une émotion face à une détresse, une fragilité. La petite Mawda, c’est d’abord une image : celle d’une petite fille espiègle, souriante, coiffée d’un bob rigolo. Avant elle, il y avait eu une autre photo : celle du petit Aylan, mort, le visage écrasé contre le sable mouillé, sur la plage de Méditerranée où son corps s’était échoué. Deux petits Kurdes dans un monde qui se moque du drame kurde, un monde qui ne lèvera pas le petit doigt, et encore moins une armée, pour aller défendre ce peuple contre la multitude de ses ennemis, lesquels sont tous des alliés potentiels, puissants et redoutés. De l’émotion, donc. Une émotion dont on peut se moquer, se méfier, se défier. Dont on peut aussi attendre qu’elle passe, remplacée par une émotion plus fraîche. Car le tragique est une denrée périssable. Presque autant que ses victimes. Cependant, qu’elle dure ou non, l’émotion dérange aussi ceux qui ont charge du monde et entendent en gérer la marche. Pour bien marcher, le monde ne peut pas pleurer. Pas trop rire non plus. Il doit garder à l’esprit les vraies priorités, sans lesquelles rien ne peut filer droit. Et si le monde ne file pas droit, il file un mauvais coton. Les bourses chutent, les dividendes versés aux actionnaires s’effondrent. L’ordre est menacé. Un monde maladroit, un monde gauche, c’est une calamité absolue. On n’a pas mis l’URSS à genoux pour revivre ça. Alors, l’émotion, attention… Un peu, bien contrôlée, pour distraire. Mais pas plus. Plus ? Comment ? Plus, d’abord, pour exiger la vérité. Pour mobiliser des hommes et des femmes grâce à qui un fait divers singulier devient un combat universel. Quelque chose qu’on ne peut pas classer sans suite, passer par pertes et profits d’une société pour laquelle la balance doit toujours, à l’heure du bilan, pencher du côté des bénéfices. Le drame qui a nourri ce récit est donc irréductiblement singulier : celui de la petite Mawda, âgée de deux ans, fille d’Amden et Phrast Shawri, sœur de Hama. Mais il est aussi emblématique de ce que d’aucuns appellent la « crise des migrants », ou la « crise des réfugiés », et qui n’est au final rien d’autre qu’une crise de l’accueil, la mise à l’épreuve – l’épreuve du réel – de toutes les valeurs que l’Occident défend comme universelles, aussi longtemps qu’elles peuvent agir dans son intérêt. Des valeurs libérales, au sens fort du terme, que les gouvernements libéraux d’aujourd’hui utilisent comme cache-sexe pour mieux les violer. Mawda, Aylan et les milliers d’autres qui ont un tort : vivre dans une région invivable et vouloir se mettre à l’abri, eux et leur famille. L’être humain, comme tous les êtres vivants, obéit à deux principes vitaux : l’instinct de survie et la loi du moindre effort. Dans cette crise mondiale, l’humanité schizophrène s’est scindée : l’instinct de survie pousse les réfugiés et les migrants à fuir ces régions que, directement ou indirectement, l’Occident a rendu invivables, pour des motifs de guerre, de dérèglement climatique, de famine, de chaos politique ; la loi du moindre effort nous conduit à fermer nos frontières et à rejeter la gestion de ces crises, de ces drames et de leurs conséquences sur celles et ceux qui les subissent. Au nom de quoi nous nous sommes arrogé le droit de proclamer que certains humains sont « illégaux », alors que les lois sont des inventions humaines et qu’aucune d’entre elles ne peut se placer au-dessus du principe qui les fonde toutes : l’humanité. « Illégal » est le terme que les fascistes émasculés de nos temps, avides de gouverner le monde, utilisent pour désigner celles et ceux qui, à leurs yeux, sont des « sous-hommes » et, à ce titre, méritent d’être traités comme des choses sans valeur. Ce récit reprend des faits réels, ceux de cette « affaire Mawda », mais librement, puisque la liberté est la première de ces valeurs bafouées, au terme d’une perversion du langage qui réduit les valeurs à des lignes comptables et les dénature en privilèges. Celles et ceux qui parleront ici, quel que soit leur rôle, ne peuvent se confondre avec les personnages de chair plus ou moins vivante et de sang plus ou moins froid qui ont été les acteurs de ce drame. Lequel, au moment d’écrire ces lignes, est loin d’être élucidé. La fiction est une manière de dire le monde, l’espoir et la souffrance. La presse d’investigation en est une autre. À la suite de ce récit, on trouvera le dossier complet de l’enquête réalisée par Michel Bouffioux pour Paris Match Belgique, un travail remarquable de rigueur et de précision, qui a été une source d’information majeure pour ce texte-ci. Il apporte un complément indispensable pour offrir aux lecteurs une compréhension objective et complète de ce qui s’est passé. Prix littéraires - Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Les Diaboliques

    > < Les Diaboliques Romans Infos Sous le nom de : ​ - ​ Édition : Ker 2014 Poche : 1855. Allongé dans une sordide mansarde du Marais, Gustave Morgan agonise, dévoré par la vérole et le remords. La confession qu’il livre à son homme de confiance éclaire d’un jour nouveau la vie dissolue qu’il a menée. Croyant soulager sa conscience, il ne sait pas encore que la plus belle ruse du Diable est de vous persuader qu’il n’existe pas. Cette confession n’est que le prélude à une succession de retournements de situations qui enserrent peu à peu Gustave et tous ceux qui lui furent chers dans une logique implacable et terrifiante. ​ (Pour la présentation, voir aussi Les Angéliques .) Ce qu’il y a à dire de ma personne tiendra en peu de lignes ; et si ces quelques renseignements n’étaient pas nécessaires à la bonne compréhension du récit qui suivra, je m’en serais abstenu avec plaisir, tant il est vrai que j’exècre me mettre au premier plan. L’abbé Ducret aurait peut-être évoqué ma « remarquable modestie naturelle » qui, selon lui, déterminait mon caractère. Mais outre que la modestie est une qualité qui se dissout sitôt qu’on se l’adjuge, je pense qu’il s’agit davantage, dans mon cas, d’un besoin inné de demeurer dans l’ombre. Il ne faut voir là qu’un souci fort commun de sérénité. Sans doute l’abbé y verrait-il encore un effet de cette vertu, ce dont je me garderai bien toutefois. J’ai grandi dans un village de la Brie. Mes parents étaient propriétaires d’une des principales exploitations agricoles de la région. J’eus une enfance paisible et reçus une bonne instruction. Mes frères aînés, au nombre de trois, étaient plus attirés par les travaux des champs ; j’avais pour ma part l’âme plus sensible aux arts et aux choses de l’esprit. Trois garçons suffisaient à assurer l’avenir du domaine ; la porte d’une autre carrière s’ouvrait donc pour moi. Pour ses affaires, mon père recevait souvent la visite de M. Francis, négociant en viande installé dans le village voisin qui fournissait les halles de Paris des meilleures viandes, dont la plupart provenaient de nos troupeaux. L’entente entre les deux hommes était à la mesure des bénéfices que leur relation commerciale générait : excellente. Mais ce n’était pas pour cette raison que j’appréciais les visites de M. Francis ; il avait coutume, du moins les jours où il n’y avait pas école, de venir accompagné par sa fille Lucie. Elle avait mon âge et nous étions amis depuis la plus petite enfance. Avec le temps, cette amitié se mua en un sentiment plus sérieux, même s’il est réputé causer des troubles chez ceux qui en sont atteints. Lucie était enfant unique. Dans le village, on colportait la rumeur que Mme Francis ne pouvait plus engendrer. Lucie n’était point disposée comme moi pour l’école ; mais elle avait de l’esprit et une imagination très vive. Elle aimait aussi nos conversations où je tentais de lui communiquer – et souvent avec succès tant il est vrai que l’amour rend pédagogue – mes passions et mes découvertes. De son côté, elle m’éblouissait par les jeux infinis qu’elle inventait sans relâche, quand elle ne s’amusait pas à m’emmener dans les entrepôts paternels où, aussi à l’aise qu’un boucher et malgré une taille frêle et des bras fluets, elle tranchait, découpait et débitait les carcasses en riant de mon air effaré. Nous cœurs étaient, à l’évidence, destinés l’un pour l’autre ; et si mes frères en avaient parfois ri, tous se convainquirent qu’une union serait, pour les deux familles et leurs entreprises respectives, une heureuse perspective. On pourrait croire, en me lisant, que tout le pays était au courant de notre idylle. C’était sans compter sur la discrétion naturelle des acteurs de ce jeu. Les projets économiques de nos parents nécessitaient le secret. Quant à Lucie et moi, peu sensibles à cette dimension des choses, nous n’avions nulle envie de porter sur la place publique ce qui, en outre, participait des certitudes enfantines que l’on découvre en tremblant au fil de l’adolescence. L’âge adulte approchait, pareil à la terre promise se dessinant à l’horizon du regard de Moïse. Quoique toujours discrets, nous nous montrâmes davantage. Nous allions l’un et l’autre fêter nos dix-huit ans, en cet été 184*, lorsque l’abbé Ducret nous convoqua tous les deux dans la cure. Nous nous rendîmes au rendez-vous, intrigués mais sans inquiétude ; nous avions l’un et l’autre l’âme aussi pure et sereine que des nouveau-nés. Prix littéraires - Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Un jour, ce sera l'aube

    > < Un jour, ce sera l'aube Romans Infos Sous le nom de : ​ - ​ Édition : L'instant même Les 400 coups 1995 2005 Poche : Ce roman occupe une place très particulière dans mon histoire d’écrivain. J’en parle brièvement dans «Requiescat Mater», la nouvelle que je consacre à la mort de ma mère dans La vie, malgré tout : Je n’osais plus te montrer ce que j’écrivais. Trop intime. J’y vivais trop souvent ta mort. Alors, j’avais écrit une histoire, pour toi, une histoire d’aube lointaine et promise. Étrangère à nous, pensais-je. Je l’ai relue. Je n’y parle que de toi. « Je mourrai de ma peur de mourir », y disait un vieux prêtre. Et dans la marge, tu fis un trait, ou tu soulignas le texte. Mais tu ne dis jamais ta peur, sauf quelques rares fois, quand ta force se souvenait faiblesse. Jamais un mot. Frustrer la mort, se moquer d’elle. Un roman différent de tout ce que j’écrivais alors, marqué que j’étais par une littérature intellectuelle et postmoderne, telle que la pratique Sollers. Un «vrai» roman, qui raconterait une histoire. Ce fut celle d’Alessandro, ce musicien d’un siècle non précisé, dans une ville qui ressemble à Venise sans que celle-ci soit jamais nommée. L’apparition aussi de Baldassare, qui allait revenir dans Retour à Montechiarro . Une histoire que je réécrirai plus tard, dans Requiem vénitien . Lent mouvement de la botte qui se balançait et donnait à l’eau le rythme las d’une agitation refusée. Le pantalon de velours noir, sans mode, accaparait le peu de vent qui passait, les soupirs qu’exhalait le canal. Sur les genoux, deux coudes ; au bout d’un buste qui se penchait sans force, la tête d’un homme — ni triste ni gaie — appuyée sur deux mains vaincues. L’indifférence du monde qui l’entourait l’avait sereinement envahi ; il y avait longtemps que son dernier désir avait, dans l’eau glacée, creusé son trou minuscule, aussitôt dissipé. Plus loin, sur le même quai, un chat inclinait la tête, yeux mi-clos. Il observait l’homme assis au bord de l’eau. Il le connaissait ; ce n’était pas la première fois qu’Alessandro venait ici pour reposer ses idées. Mais l’homme, aujourd’hui, ne lui faisait aucun signe, et ne semblait pas vouloir le caresser. Le chat cessa brusquement de s’y intéresser, et s’occupa de sa toilette. Une barque surgissait de l’aube et glissait devant le quai, dans le jour balbutiant, empâté de brume. Le marinier, à la poupe, pouvait dormir encore ; à peine une chevelure qui perçait un amoncellement de laine. Sans un geste à Alessandro, il disparut dans un matin sans teinte, qui refusait d’ouvrir la nuit au jour. Pour Alessandro, ce n’était plus que la mort d’une nuit blanche comme ce matin, blanc sali d’une brume épaisse infiltrée jusqu’en son esprit. Il se leva ; le chat dressa les oreilles, les yeux. Il partit par une ruelle, l’animal par une autre, vers une journée nouvelle sans plus de grâce que la veille. Prix littéraires - Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Shema Adonaï

    > < Shema Adonaï Poésie Infos Sous le nom de : ​ - ​ Édition : Edern 2021 Poche : Shema Adonai : depuis toujours, on demande à Israël d’écouter la voix de Dieu ; mais après Auschwitz, le temps est venu qu’Adonai se mette à l’écoute de l’homme et de son chant. Et pour ce faire, qu’Il se taise. Chant et poésie, clameur et souffrance, murmure et espoir – malgré tout. Car telle est la force du chant et des mots : leur impuissance même ne peut qu’ouvrir à l’espoir et à la vie. L’histoire du peuple juif ne peut se limiter à la souffrance : il faut être animé d’une soif et d’une joie de vivre exceptionnelles pour traverser ces épreuves et continuer à proclamer sa foi dans la vie. J'ai écrit ce livret en 1985 ; Gaston Compère, écrivain et compositeur, en a composé la musique. Et puis, il a fallu attendre presque trente ans pour que cette œuvre soit créée, grâce à l’ami commun, Jean-Paul Dessy. Lachaïm ! Vidéos Pourquoi parler d'Auschwitz _ (Vincent Engel) .pdf Download PDF • 6.91MB En 1982, je commence mes études en philologie romane et, rapidement, je décide de travailler sur l’œuvre romanesque d’Elie Wiesel. Pourquoi ? C’est mon père qui m’a donné un de ses livres ; et alors que je m’empresse de ne pas lire ce que mon père me conseille, ce livre-là m’attire. Paroles d’étranger. J’ai peut-être cru qu’il y avait un lien avec Camus… Toujours est-il que je suis aujourd’hui convaincu que mon père a utilisé Wiesel pour me dire ce qu’il ne pouvait dire directement. Je connaissais évidemment son histoire et celle de sa famille, disparue dans les camps nazis. Mais mon père était athée et silencieux… Ses enfants n’étaient pas juifs, au sens religieux du terme ; mais souvent, il nous répétait : « N’oublie pas que tu es juif… » Sans que ce mot veuille dire souvent autre chose que : « Tu dois être moralement irréprochable… » ​ J’ai consacré une part importante de ma carrière – recherche et écriture – à la question de la Shoah, de la mémoire, de la transmission. De Oubliez Adam Weinberger à mon essai sur Le désir de mémoire , ces questions traversent presque tout ce que j’ai écrit. Cet oratorio, dont je désespérais de voir un jour la création, représente mon état d’esprit en 1985, à vingt-deux ans. Ma colère contre Dieu, en qui je croyais encore un peu. S’il est sûr que je ne l’écrirai plus de cette manière aujourd’hui, je n’en renie pas une ligne. Il est mêlé d’extraits de la Bible, et l’on voit qu’il ne manque pas de passages où l’homme interpelle son créateur et lui demande des comptes. Alors qu’une des prières importantes du judaïsme commence par ces mots : « Shema Israel », « Écoute Israël », je me suis dit qu’il était temps que Dieu se taise et écoute sa création. L’Oratorio est divisé en 5 parties, en plus de l’ouverture composée par Gaston Compère, dont les titres mêlent la tradition juive et la tradition chrétienne (le genre de l’oratorio étant par ailleurs tout à fait inscrit dans la seconde): L’Exode et Shema explorent la tradition, l’histoire du peuple juif et ce qu’il a enduré depuis l’antiquité ; Laudamus Te et Recordare jouent sur des références à la musique religieuse chrétienne, en particulier le Requiem, et avancent dans la confrontation avec Dieu. La dernière partie, Images , rompt avec les références bibliques pour plonger dans ce que l’on a appelé les Rouleaux sacrés d’Auschwitz , ces notes prises par des membres des Sonderkommandos, enfouies dans la terre des camps, près des fours crématoires. ​ J’ai dû rencontrer Gaston Compère au début des années 1990. C’était un des écrivains majeurs de nos lettres, prolixe, touche-à-tout. Il avait donné un texte pour le recueil de L’Année Nouvelle et je lui avais rendu visite à Forest, dans son appartement proche de Forest National. J’adorais Gaston mais j’étais terriblement intimidé par son silence… Il était capable, lorsque vous étiez face à lui, de rester muet pendant des minutes qui paraissaient des siècles ! Mais il était un homme merveilleux et terriblement talentueux. En plus de la littérature, il composait de la musique. Pas de la musique facile ; inscrite dans son époque, c’est une musique exigeante, porteuse de toutes les révolutions et remises en question, à commencer par celles que, justement, la Shoah a imposées à la culture occidentale. Il s’est plongé dans l’écriture de cet oratorio, après avoir consacré beaucoup de temps à son quatuor (qui a donné également le Journal du Quatuor , publié en son temps par Lysiane d'Hayère). ​ Je ne suis pas capable de lire une partition. Pendant des années, je me suis retrouvé avec une partition illisible donc, semblable, à sa manière, aux dernières paroles de ma mère, sur son lit de mort ; elle m’avait parlé pendant une vingtaine de minutes, et je n’avais pas compris le moindre mot… Mais la musique a des grâces que la maladie n’a pas. Après avoir présenté la partition à des directeurs – qui tous avaient refusé, prétextant une musique trop difficile pour les interprètes –, je m’étais dit que cela ne se ferait jamais. Comme les paroles de Maman, la musique de Gaston me resterait à jamais « inouïe », au sens premier du terme. Mais si je ne suis pas patient, je suis têtu. Il y a quelques années, j’ai renoué avec Jean-Paul Dessy, je ne sais plus exactement à quelle occasion. Jean-Paul était un ami de Gaston, bien plus proche que moi d’ailleurs. Dirigeant Musiques Nouvelles et ce lieu sublime d’Arsonic à Mons, il m’a proposé de créer l’œuvre. Et il a trouvé des interprètes qui ont réussi ce que d’autres pensaient impossible. Je suis sûr que Gaston aurait adoré cette équipe. Disparu en 2008, il n’aura entendu cette musique que dans sa tête. Je ne sais pas où il se trouve aujourd’hui. Si d’aventure toute cette fable divine était vraie, j’espère qu’il prendra Dieu par le col, le forcera à s’asseoir et lui dira : « Maintenant, écoute… » Et qu’après la dernière note de Shema Adonaï , il laissera s’éterniser le silence, qui sera encore du Compère… Extrait de « Exode » Exil de souffrances ; pourquoi a-t-il fallu marquer par le sang les prémisses de l’Exode ? Ta main aveuglait Pharaon et, à son tour, son peuple souffrait. Combien de temps Ton propre cœur n’est-il pas resté endurci ? Est-ce cela, Ta justice : l’égalité dans la souffrance ? Quel choix laissais-Tu à l’homme, Moïse ou Pharaon ? Obéir ou souffrir ; n’est-il que ces deux manières de Te louer ? Exil bâti sur des cadavres sans choix ; n’as-Tu jamais cessé de Te jouer de Ta créature ? Extrait de « Shema » Écoute, Seigneur, tais-Toi, un instant cesse d’ordonner. Cesse de fuir le silence de fuir l’homme de fuir Ton reflet. Écoute, Seigneur, si Ta création est multiple chaque homme est unique et chaque mort, inique. Écoute, Seigneur, dût ce cette écoute mettre un terme à Ton éternité. Écoute-nous enfin ou laisse-nous enfin. Extrait de « Images » Mémoire de cette nuit là-bas nuit où je n’étais pas mais où souvent il me semblait être perdu. Je vois Isaac au loin qui rit encore qui rit de son nom de lui de nous. Absurdité folie. Éternellement. On dit l’Apocalypse est devant plus tard très tard jamais. Après nous. Mais en vérité pour nous l’Apocalypse a débuté et nos paroles tardives parlent d’un silence incompréhensible. Silence du monde complice Silence de Dieu complice ? Prix littéraires - Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Oubliez Adam Weinberger

    > < Oubliez Adam Weinberger Romans Infos Sous le nom de : ​ 2002 2020 Le livre de Poche Mijade Édition : Fayard L’instant même 2000 2000 Poche : Avant, c’est la longue enfance d’Adam Weinberger dans un monde qui ne devine pas encore la menace qui pèse sur lui. L’enfance d’un amoureux des illusions, qui rêve de changer le monde et de libérer ses proches du poids d’une Tradition qu’il juge insupportable. L’adolescence d’un jeune garçon qui ne sait comment traduire son amour pour Esther, son admiration pour son oncle, sa tendresse pour sa mère. L’impuissance d’un jeune homme qui constate que le rêve et la fiction ne peuvent enrayer la destruction de ce monde et de ses habitants. Après, ce sont des fragments de récits, le miroir brisé où se reflète, par des intermédiaires plus ou moins attentionnés, la fuite de cet enfant devenu homme, qui ne croit plus au rêve, qui ne croit plus aux mots. Qui s’est réfugié dans les gestes – ceux de son métier, la médecine, ceux de son ultime passion, la construction de bateaux en bouteilles. Et qui fuit les mots et les êtres jusqu’à la perte de son identité. Entre les deux, il y a là-bas, dont on ne parle pas. Et puis, à la fin, après l’oubli, au terme de toutes les fuites, il y a l’enfance qui revient par-delà la mort, et l’unique vérité d’une fiction – d’un récit de vie. Jadis, je fus un enfant. Je le crois du moins, ce qui en soi n’est pas si mal, puisque le passé, quoi qu’en pensent certains, est de toute façon incontrôlable. Je portais déjà le même nom et sur mon visage devaient sans doute sourdre ces traits sans grâce qui composèrent ensuite ma physionomie d’adulte, et qui se décomposent aujourd’hui. Ce nom, je le partageais bon gré mal gré avec les êtres qui formaient l’entité plus ou moins large et diversement appréciée d’une famille. Près de moi, il y avait ma sœur Rachel, de sept ans plus âgée que moi et qui, dès que j’eus l’âge de comprendre et de retenir ce qui se passait et se disait autour de moi, m’a toujours semblé préoccupée par la quête d’un mari – avant de le rencontrer, parce qu’elle craignait de n’en jamais trouver ; ensuite, quand il se perdait dans les bistrots de la ville, parfois plusieurs jours durant. Rachel… tu n’étais pas superbe, mais enfin, tu étais ma sœur et j’aurais souhaité avoir un autre beau-frère que ce fainéant de Moïshe – regrets tardifs, tu m’excuseras. J’ai pourtant fait ce que j’ai pu… Outre Rachel et moi-même, la famille Weinberger disposait encore de deux héritiers mâles. Je n’ai jamais rien eu à dire à Samuel, de cinq ans mon aîné : il était corps et âme – surtout de corps – dévoué au sport. Quand il ne faisait pas du kayak sur la rivière, il courait, il luttait, enfin n’importe quoi pour transpirer et pouvoir m’imposer sa tyrannie. Les seuls mots que je lui adressais, au grand désespoir de nos parents, étaient des suppliques quand il me tenait entre ses mains de brute, et des injures quand je m’estimais à l’abri – souvent suivies à leur tour de suppliques par suite d’une mauvaise estimation des distances. Avner, lui, c’était tout différent. Malgré ses dix ans d’avance, il me traitait avec gentillesse, du moins quand il remarquait ma présence : c’était « notre » rabbin qui, pour ce faire, passait ses journées plongé dans les livres ou les prières. Quoique plus jeune, Samuel l’avait vite dépassé en taille – horizontale et verticale –, mais il n’osa jamais porter la main sur lui. À chacun ses privilèges : Samuel ne frappait pas Avner, mais ce dernier lui adressait encore moins la parole qu’à moi. J’avais donc, pour m’entourer d’affection, un frère qui, le regard perdu dans ses visions, me donnait de saines leçons, un autre qui me persécutait pour mon salut physique, et une sœur qui me consolait ou me soignait en pleurnichant après son mari hypothétique ou fantomatique, selon la période. Et, bien sûr, pour gouverner et couronner le tout, il y avait ce couple indissoluble que formaient nos parents, Sarah et Avram Weinberger – indissoluble parce que le temps n’a pas son pareil pour entortiller les nœuds. Comme l’indique notre patronyme, le père de mon père avait été négociant en vins hongrois, et ses pères avant lui. Mais le mien avait rompu avec cette tradition parce qu’un de ses frères suffisait pour la maintenir et que personne n’était là pour reprendre le commerce de bois de son beau-père. Avram Weinberger était un commerçant assez heureux, mais un père inquiet. Il savait que son aîné ne reprendrait pas les affaires, mais il ne pouvait s’en plaindre, puisque c’était pour l’Éternel, béni soit Son Nom, et qu’un rabbin dans la famille, ça ne se refusait pas. Mais il doutait de l’avenir de Samuel. Costaud et franc plus que de raison – je puis en témoigner pour avoir fait les frais de cette solide franchise plus qu’à mon tour –, par quelle aventure n’allait-il pas être tenté ? Mon père redoutait par-dessus tout que Samuel n’allât fréquenter les jeunes sionistes, car il n’avait que trop le physique et la mentalité de l’emploi. Quant à moi… mais n’anticipons pas sur les souffrances paternelles. À ce point du récit, il me faut, par respect des règles du genre, évoquer l’autre pôle du couple parental. Ma mère. Elle était… que voulez-vous que je dise, sinon qu’elle était ma mère, et tout ce qui s’ensuit ? Belle, bien sûr. Elle s’occupait du ménage, de ses enfants. Elle se dépensait toute la semaine, et plus encore le vendredi, pour préparer notre jour de repos, le Shabbat. Je la voyais souvent s’affairer tant que j’ai très tôt douté de la véritable sainteté de ce jour-là. Il y a quelque chose de pourri dans le royaume terrestre, qui contredit la lettre même des Commandements et en interdit la parfaite observance, à moins que l’argent s’en mêle, ce qui n’est pas des plus orthodoxe. Car si le chiffre d’affaires de mon père suffisait à entretenir une femme et quatre enfants – dont un sportif –, il ne lui permettait pas d’engager une aide pour sa femme. Mes parents auraient dû avoir un enfant de moins, et comme j’étais le cadet, je préférais ne pas envisager cette variante. Rachel aidait ma mère, mais elle soupirait sans cesse et n’était pas d’une efficacité remarquable. Quant à moi, j’essayais parfois, mais, au-dessus des Commandements, il y a la Tradition et j’étais un homme. Au demeurant, à cet âge qui dure parfois longtemps, on n’a pas encore trop de scrupules envers autrui, et ce n’est que plus tard qu’on attrape des remords. Prix littéraires Prix des Lycéens, 2000. Prix Sander Pierron, 2000. Dossier de Presse DP_OUBLIEZ_CPLT .pdf Download PDF • 15.63MB Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Médiocrités

    > < Médiocrités Essais Infos Sous le nom de : ​ - ​ Édition : Luc Pire 2001 Poche : . . Prix littéraires - Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Mayday

    > < Mayday Théâtre Infos Sous le nom de : ​ - ​ Édition : Edern Ker 2006 2013 Poche : Notre époque a-t-elle tué la tragédie ? Celle-ci ne survit-elle plus que sous des formes dégradées, dans les séries télévisées et les faits divers ? Dans Mayday, Jason et Médée sont devenus des acteurs de séries B que dirige, sans enthousiasme, Youri, avatar défait d'Euripide. Jason rêve de devenir cosmonaute et ne reconnaît pas dans Mady la figure de sa tragédie?; elle n'a jamais rien oublié et poursuit sa vengeance à travers le temps. Un spectacle « multimédia » sur l'usure du tragique et le drame d'une société sans mémoire. . Prix littéraires - Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Le mariage de Dominique Hardenne

    > < Le mariage de Dominique Hardenne Romans Infos Sous le nom de : ​ 2012 Livre de Poche Édition : Jean-Claude Lattès 2010 Poche : Un trio improbable se retrouve plongé dans une guerre qu’aucun ne comprend. Maillard, qui ne pense qu’aux filles et Dominique Hardenne, le fermier, qui transporte la douleur secrète d’une rupture amoureuse avec Nathalie. Tous deux sont menés par le caporal Bizot, qui n’aime pas commander, chargés de nourrir des troupes qui ne savent pas qui elles combattent. Maillard et Bizot mourront par où ils ont vécu. Hardenne survivra, lui qui ne pense pas beaucoup et n’ose plus aimer. Il se retrouve peut-être seul survivant du désastre – comme croit l’être chacun lorsqu’il est plongé dans la perte. Il revient chez lui, où il n’y a plus que des morts et des images. Des traces incomplètes à partir desquelles il va essayer de comprendre ce qui s’est passé, mais surtout inventer une nouvelle existence, en rendant du même coup à la terre le goût de vivre. Madame Amédée, l’ancienne bigote devenue tenancière de bordel, Nathalie, qu’il retrouve et tente de reconquérir, ses parents, le curé… Sans oublier Maillard et Bizot, ses deux frères d’armes dont il transporte les reliques : une photo et un carnet de notes. Quel sera le pire ennemi de Dominique Hardenne ? La folie distillée par la solitude ? Celle, meurtrière, des hommes et de la guerre ? L’indifférence de la nature, peu encline à se laisser à nouveau maîtriser ? Ou les insectes ? Dans sa hantise croissante de ne pas laisser la terre aux cloportes, Hardenne ramène peut-être l’humanité à ses peurs et ses rêves fondamentaux. Le Mariage de Dominique Hardenne Contrairement à ce que d’aucuns prétendent, ce roman n’a pas déjà été publié à l’Instant même sous le titre La vie oubliée . Bien sûr, il y a des similitudes, mais j’ai retravaillé en profondeur ce roman. Pour tout dire, c’était la cinquième fois que je l’écrivais, cette «Nature morte» comme je l’avais intitulée dans sa deuxième version. Tout était parti d’un exercice d’écriture en classe, alors que j’avais 16 ans : notre professeur, André Darimont, avait apporté un tableau peint par sa fille, qui représentait une ferme bleue. J’avais raconté l’histoire d’un homme qui rentrait chez lui et ne trouvait que des ruines et des morts. Cette nouvelle est toujours en partie imbriquée dans le roman, telle qu’écrite à l’époque. Avec ce roman, j’ai battu un record : une cinquième sélection infructueuse au Prix Rossel ! J’ai cru, il y a peu, qu’Alain Berenboom était un concurrent, mais il a enfin décroché ce prix. Ouf ! Il y a des titres auxquels on finit par s’accrocher… Depuis des jours, et pour combien de jours encore, Dominique Hardenne marchait. Il détestait le paysage autour de lui, un paysan ne pouvait pas aimer la terre brûlée, couverte de cendres sales et de bêtes appliquées à y pourrir, tout ce gâchis qui ne servirait même pas à engraisser les champs pour une récolte prochaine. Quand elle s’y remettrait, la terre, Dominique n’en savait rien, les bombes ne se contentaient plus d’exterminer les gens, elles tuaient l’avenir aussi, et il ne fallait rien espérer avant… Dominique n’osait pas compter le nombre d’années qu’il fallait mettre dans cet avant. Il contemplait le désastre à travers le plastique épais de sa combinaison, et il en avait assez de ce costume étouffant qui le gênait aux entournures. Dominique n’aimait ni le ravage du pays, ni sa combinaison, ni le soleil, ni aussi, pour tout dire, la soif et la faim malgré les pilules militaires, nutritives et inspides. Il n’aimait pas, mais il serrait les dents, parce qu’il n’y avait pas que les charognes des animaux ; il y avait aussi celles des hommes, des femmes et des enfants qui avaient rejoint le bétail dans la pourriture. Vivre ; il n’avait jamais rien voulu d’autre, ou si rarement, alors il refusait qu’on lui refuse ce petit plaisir, même s’il y avait plus drôle comme vie que cette marche dans la république des atomes en folie. Sans parler de l’odeur ; rien que pour cette raison, il l’aurait gardée, cette tenue qu’il avait toujours trouvée moche, pendant la guerre. Il en avait ri avec Maillard et Bizot, ils étaient sûrs qu’il ne faudrait jamais s’en servir, et puis voilà, Dominique Hardenne s’en était servi, et il était le seul sans doute à marcher au milieu de cette désolation, et il ne riait plus en pensant qu’il avait trouvé cette pelure épaisse et ridicule. Sûr, Bizot, c’est pas le ridicule qui tue. * Cette guerre était passée par toutes les couleurs et Dominique Hardenne n’y avait jamais rien compris. Il y avait longtemps que les massacres du vingtième siècle ne servaient plus qu’aux films, et Dominique n’aimait pas le cinéma. S’il y en avait des autres, de guerres, c’était bien possible, chez les pauvres sans doute qui faisaient leur chemin vers la civilisation, mais Dominique ne s’en préoccupait pas ; dans le village, on n’écoutait plus les informations, sauf pour la météo. Histoire de s’en moquer, les savants se trompaient autant que les paysans qui n’avaient que leurs yeux et leurs rhumatismes pour prévoir le temps. Match nul, le climat se foutait du monde chaque année davantage. L’impuissance de l’arthrose valait celle des neurones. Le grand détraquage. On sentait bien que « là-bas », ça n’allait pas comme dans le meilleur des mondes, mais on s’en éloignait de plus en plus, de « là-bas », c’était trop loin, trop distant. Même voter ne servait à rien. Pourquoi s’en faire ? On aurait toujours besoin des paysans. Quoi qu’on dise. Le meilleur des mondes, ce serait toujours un pays, un vrai, où la terre se soumet aux mains des hommes qui la respectent et qui la servent. Un pays où les champs regorgent des fruits de l’eau et du soleil. Où les pieds de Dominique se posaient, bien à plat. Alors, quand la guerre avait éclaté, les gens du village avaient été surpris. Contre qui, pourquoi ? Avec la mobilisation, on avait rallumé les télévisions ; où partaient les gamins, à quoi ça servait, ce nouveau gâchis. Comme si le siècle passé n’avait pas suffi. Il avait fallu que les frontières ressortent de terre, que le monde, une fois de plus, se laisse détricoter. On aurait beau vouloir expliquer, il n’y avait plus rien à faire. Rien à dire non plus. Prix littéraires - Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Raphael et Laetitia : romansonge

    > < Raphael et Laetitia : romansonge Nouvelles Infos Sous le nom de : ​ - ​ Édition : Alfil Mille et une nuits Ker 1996 2003 2013 Poche : À la faveur d'une douce soirée, après un dîner en agréable compagnie, le narrateur se laisse aller à conter une bien belle histoire qu'il tient de seconde main. Comme un hommage à sa femme, qui vient de quitter l'assemblée des convives, et dont on lui a fait compliment de la beauté... Raphael von Rüwich est le fils adoptif et l'héritier de riches aristocrates de haute lignée, installés près de Berlin. On lui attribue une lointaine origine italienne : la grâce qui émane de ses traits fins, ses cheveux bouclés et ses yeux bruns ne peuvent être germaniques. Le charmant jeune homme se plaît à cultiver, innocemment, son avantage : il apprend et maîtrise parfaitement la langue de Dante. Voyageur, il a eu quelques liaisons, mais jamais n'a été frappé par la foudre de l'amour... jusqu'à la magnifique fête donnée en son honneur : il reconnaît en Laetitia Malcessati son double, la jeune fille lumineuse, l'être exceptionnel qui le complète. La passion est immédiatement réciproque. . Prix littéraires - Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Les vieux ne parlent plus

    > < Les vieux ne parlent plus Romans Infos Sous le nom de : ​ - ​ Édition : Ker 2020 Poche : Les pandémies avaient d’abord décimé les vieux. C’était triste, bien sûr, mais somme toute... Somme toute, c’est le mot. Le décompte pouvait être rentable. Sauf que les virus ne se laissent pas commander par des logiques politiques. Et puis, après la régression économique ef- froyable qui avait suivi la première grande pandémie, les gens s’étaient dit qu’à l’avenir, ils préféreraient sans doute sacrifier les vieux que leurs revenus personnels... ​ Avec 30 % de plus de 60 ans et une population active réduite à la portion congrue, le gouvernement décide d’établir une politique, volontariste mais discrète, de gestion des seniors. C’est ainsi que naissent les VSA, Villages de Santé pour Aînés où, moyennant la gestion par L’État de l’ensemble de leurs biens, les pensionnaires voient leurs besoins quotidiens pris en charge. Mais qu’adviendra-t-il d’eux lorsque leur patrimoine ne suffira plus à fi- nancer leurs soins ? ​ Inspirateur de ces structures et de leur cadre légal, Maître Alexandre Geoffroy est chargé d’en assurer la promotion. Mais entre ses activités douteuses d’avocat spécialisé dans la gestion de patrimoine et sa volonté de prendre soin de sa vieille mère dans les meilleures conditions, le grand écart devient vite intenable. Bientôt, le piège se referme... Vidéos . Prix littéraires - Dossier de presse Vidéo Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Fear of paradise

    > < Fear of paradise Romans Infos Sous le nom de : ​ ​ ​ Édition : Owl Canyon Pr 2015 Poche : Prix littéraires Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • La guerre est quotidienne

    > < La guerre est quotidienne Nouvelles Infos Sous le nom de : ​ - ​ Édition : L'instant même 1999 Poche : Faire des phrasses et regarder le soleil se coucher. Songer à ce qu’il adviendra de la pyramide et de son secret après moi. Dans longtemps, sans doute, car je vais rester ; et la médiocrité conserve. Des phrases, et le soleil qui se lève. Boire l’écrasante sagesse de la vie jusqu’à la lie.​ ​ Les personnages de La guerre est quotidienne sont hantés par des questions lancinantes. Qu’est-ce qui fonde la vie ? De quoi est faite la mort ? Si pour Hermann Kopf la vie n’est rien en regard de l’éternité, qu’en est-il pour le comateux qui s’accroche ? Et pour ces clones créés pour fournir à leurs originaux des organes de remplacement ? La vie d’un enfant illettré et médiocre vaut-elle le sacrifice d’un écrivain voué au service de l’Art ? La lettre détournée Le train a déjà une demi-heure de retard. Jenny attend sur le quai et son cœur s’impatiente, et son cœur redoute aussi l’arrivée du train, comme si cette ambiguïté douloureuse était responsable du retard, comme si sa crainte tenait bloquée la locomotive quelque part entre la mer et Londres. La locomotive et les wagons qu’elle traîne, et Peter qui somnole sans doute dans l’une des voitures, sur la banquette de première où le confine son grade d’officier tout frais. Bien sûr, Peter somnole, dès qu’il est inactif il se met en veilleuse comme pour économiser de cette formidable énergie qui a tant séduit Jenny lorsqu’ils se sont rencontrés deux ans plus tôt. Un an avant la guerre, avant que Peter soit mobilisé sur les navires de Sa Majesté pour le salut du monde libre. Elle l’imagine sur son bateau de fer et de feu, sommeillant à chaque répit et premier sur le pont à la moindre alerte. Elle a peur pour lui, le sommeil ni la force ne préservent sans faille de la mort, mais l’Angleterre est en guerre et Peter est officier de la Royal Navy ; Jenny espère que Dieu ne sommeille pas, qu’il est lui aussi sur le pont et qu’il veille sur Peter et tous les jeunes Anglais prêts à mourir pour le pays et la liberté. Jenny a peur pour Peter et pourtant Jenny redoute aussi le moment où le train arrivera, où Peter descendra, l’apercevra et marchera vers elle, tout sourire, à pas amples, pour la prendre dans ses bras, la soulever dans l’air et l’embrasser avec une tendre fougue, comme il en a coutume ; et plus encore à cause de l’absence prolongée, voilà six mois qu’elle l’a accompagné sur ce même quai, qu’il est monté dans un train semblable à celui qui est attendu, qu’il est parti vers la mer, son hms, sa guerre. Six mois qu’elle guette son retour ; quelques semaines qu’elle le redoute. Depuis qu’elle s’est résolue à lui écrire cette horrible lettre, à la livrer aux bons soins de la poste et de l’armée de Sa Majesté. Depuis qu’elle attend, le cœur serré, sa réponse. Et plus encore, depuis le message laconique où il annonçait son retour pour une brève permission, sa joie de revoir celle qu’il aime. Et pas un mot sur la lettre de Jenny. Peter qui dort, Peter qui vit. Peter qui l’aime et qui s’endort après l’amour, et Jenny qui le regarde, serein et beau dans le sommeil comme un enfant candide qui ignore alors guerre, comme un idiot confiant, un simple d’esprit, bénis soient-ils. Et Jenny l’aime, et l’aime aussi quand il rouvre les yeux et la reprend dans ses bras pour l’entraîner au feu de leur jeune passion. Peter le volcan, Peter la mer étale. Peter mobilisé, Peter qui lui demande d’une voix qui tremble à peine si elle veut bien, Jenny, qu’ils se marient, pour l’effort de guerre sourit-il, le bonheur fait peur aux Allemands. Et Jenny dit oui d’une voix qui tremble fort, et elle rit et elle pleure aussi, tue tous les Allemands et reviens vite, surtout n’oublie pas de revenir. Puis, le départ. Les nouvelles effrayantes des combats, le silence terrifiant qui se glisse entre les trop rares lettres qu’il lui envoie, où il lui rappelle combien il l’aime à mots tout simples, qu’à sa prochaine permission ils règlent tous les détails pour qu’à la suivante la cérémonie puisse avoir lieu. Reviens vite, mon Peter, se dit Jenny tous les matins, tous les midis, tous les soirs, à chaque heure, chaque minute, dans chacune de ses respirations. Moi aussi je t’aime, moi aussi, aussi, jusqu’à, mais Jenny ferme les yeux, chasse les pensées sombres qui l’envahissent sur ce quai où elle attend un train récalcitrant, et Peter qui n’a rien dit dans sa lettre de cette autre que Jenny lui a envoyée. Qu’est-ce qui m’a prise, se répète-t-elle, mais c’est trop tard, et puis avait-elle le droit de ne pas lui avouer alors qu’il l’aime tant et qu’il se bat, courageux, au péril de cette vie qu’il veut offrir à Jenny ? Je devais, quelle que soit sa réaction, je devais lui dire, lui écrire plutôt car je n’aurais pas osé lui dire en face, devant son beau sourire ; blottie dans ses bras si chauds, je n’aurais pas pu, et j’aurai eu tellement honte après, quand il aurait été trop tard. Non, elle a eu raison d’écrire, elle veut s’en convaincre, pas d’autre choix si Jenny veut éviter le remords. Il décidera, Peter, Peter qui l’aime et qui saura la vérité ; c’est lui qui tranchera, pour le meilleur ou pour le pire Jenny s’en remet à son jugement. Et souhaite que le train n’arrive jamais. Mais on frémit autour d’elle sur le quai, les gens s’agitent et Jenny tourne les yeux vers l’horizon, vers ce point de fumée qui marche vers eux enfin, la locomotive, les wagons et Peter, Peter qui sans doute se réveille, s’apprête – mais qu’a-t-il dans le cœur, quelles paroles prépare-t-il sur ses lèvres ? Le train arrive, longe le quai, comme dans les exercices pour apprendre une autre langue, et Jenny espère que Peter trouvera les mots du bonheur pour effacer cette lettre ; sans quoi, elle devra tout réapprendre, la langue, le cœur, la vie, la vie sans Peter – et sûrement rayer les mots joyeux de son vocabulaire. Enfin, comme dans les films, le train figé qu’enveloppe la fumée, les portières qui s’ouvrent et claquent, les arrivants qui trouent la vapeur comme ceux qui marchent à leur rencontre. Jenny ne voit pas encore Peter, peut-être a-t-il changé d’avis en relisant sa lettre, ou bien dort-il, affalé sur la banquette. Elle marche à pas de plus en plus rapide le long des voitures, se haussant sur la pointe des pieds pour guetter les voyageurs distraits. Mais non, il est là, devant elle, et son sourire, son rire, ses bras forts et chauds où elle s’engouffre en tremblant pour ne pas affronter son regard, et ses lèvres dans les cheveux de Jenny, le torrent des mots tendres de l’amour et des retrouvailles qui toujours semblent miraculeuses quand on les a longtemps attendues. L’espoir renaît dans le cœur de Jenny qui bat à tout rompre, elle relève les yeux, ose regarder Peter, l’embrasse et pleure et murmure son nom comme une bénédiction. Un peu plus tard, quand la fougue s’est apaisée et qu’il ne reste que la tendresse et le bonheur rassuré de n’être pas une illusion, elle lui demande avec un dernier sursaut de crainte : — As-tu lu ma lettre ? — Ta lettre ? Non, mon trésor. Tu sais, par les temps qui courent… elle a dû se perdre. Qu’y disais-tu ? — Que… que je t’aime tant… Sa poitrine se soulève, un peu douloureuse, puis soulagée, résignée. Peut-être, après tout, est-ce mieux ainsi. Qui sait, le destin… c’était écrit. * * * Ensuite, la vaste étendue de la vie. La première permission de Peter, la nuit de leurs retrouvailles, les préparatifs. Le départ de Peter. L’attente, l’inquiétude. La guerre, toujours, longue, effrayante, à laquelle Jenny ne s’habituera jamais. Les rares lettres de Peter, celles qu’elle lui écrit. La peur que l’on étouffe, de cette autre lettre perdue dont Jenny ne parlera plus, dont elle ne dévoilera jamais le contenu. Elle s’est noyée et c’est tant mieux, qu’elle ne refasse pas surface à présent, et Jenny cherche à l’enfoncer plus profond encore dans l’oubli en écrivant d’autres lettres, des dizaines d’autres, je t’aime Peter, reviens vite, elle ne voit bientôt plus ce qu’elle peut écrire à part ça, tue la guerre et reviens m’aimer. La deuxième permission, à nouveau l’attente sur le quai de la gare ; Peter a reçu ses lettres, sauf celle qui s’est perdue et bien perdue, et le mariage et les quelques jours de congé et de bonheur fou. Le retour à la guerre. Des mois encore de crainte. Puis, enfin, le retour de la paix, le retour de Peter. La vie tranquille. Tous les jours près de lui. On ne doit plus s’écrire. Peter qui dort, Peter qui vit, déborde d’énergie puis se repose dès qu’il le peut, c’est pour vivre plus longtemps à tes côtés mon amour, les femmes vivent plus vieilles que les hommes, alors je prends mes précautions, je ne veux pas t’abandonner. Et Jenny ne se lasse pas de le regarder dormir et vivre. Et les années glissent au gré d’un bonheur paisible, des enfants, une maison à la campagne pour les week-ends, et tout le reste qui s’en vient, qui s’enfuit. Parfois, le cœur de Jenny se sert en songeant à cette lettre disparue mais toujours menaçante, même si Jenny s’efforce de ne pas y songer – quand même, que ferais-je si tout à coup elle refaisait surface ? J’aurais tout détruit… Et cette crainte qui ne s’estompera jamais complètement accompagnera jusqu’au bout le bonheur tranquille de Jenny, comme une vieille bombe héritée de la guerre que personne n’aurait pu désamorcer. Dix, vingt, trente, trente-six, quarante-trois ans durant lesquels Jenny, dans un mouvement qui est devenu mécanique, s’arrange tous les matins pour relever le courrier avant que son mari se lève, quarante-trois ans durant lesquels le même pincement de cœur ponctue l’ouverture de la boîte. Et son inquiétude les rares jours où, malade, il lui était impossible de se lever et où Peter s’acquittait de cette tâche. Et sur cette toile de fond, les enfants qui grandissent, finissent leurs études, qui se marient, ont des enfants à leur tour, et Peter qui vieillit en douceur, en beauté ; Peter et Jenny qui s’aiment sans relâche ni folie, leurs sourires, leurs silences, leurs paroles ; l’amour décante, distille la saveur subtile de l’amitié qui donne à la passion la force de durer. Malgré cette crainte obscure qui ne quitte pas Jenny, qu’elle essaie de refouler au plus profond d’elle – parfois, elle a pensé tout lui avouer mais elle ne s’y est jamais résolue, à quoi bon ? C’est le destin, Jenny, ne le contrarie pas. Et puis, du fin fond de ses entrailles, pauvre Jenny, la maladie qui se lève et le corps qui s’affaisse, et les yeux noyés de larmes de Peter qui tente un sourire à son chevet, sa main sur celles de Jenny, nous avons vieilli tu vois, il n’y a pas que les guerres qui ont une fin, tous les jours finissent par se donner rendez-vous pour un ultime salut au public, aux amis, à ceux qu’on aime, qu’on a aimés, qui continueront à chérir le souvenir de celle qui baisse les yeux, à qui Peter, de ses doigts tremblants, referme les paupières. J’ai trop dormi, se dit Peter, et il doit vivre encore, et dormir seul. * * * Cela fait presque neuf ans que Peter et ses enfants ont accompagné le préposé qui a répandu sur le gazon d’honneur les cendres de Jenny, neuf ans qu’il prolonge l’habitude de vivre puisque le corps n’a que peu d’états d’âme. Il est resté dans leur maison et les cris, les rires des enfants nouveaux venus viennent souvent échauffer les murs et saluer le souvenir de Jenny. Pour se rassurer, Peter se dit que bientôt il la rejoindra, que si toutes ces années de bonheur ont filé comme un clin d’œil, le reste passera tel un souffle. Puis, un matin, la sonnerie retentit. Un jeune employé des postes est là, le visage à la fois joyeux et embarrassé. Peter l’écoute qui raconte l’invraisemblable aventure d’une lettre, on n’a jamais vu ça, une lettre postée par une jeune fiancée, cinquante-deux ans plus tôt, à l’attention d’un jeune officier de la Royal Navy, une pauvre enveloppe qui a pris plus d’un demi-siècle pour atteindre sa cible, vous vous rendez compte, on a retrouvé je ne sais où ni comment votre adresse et puis voilà, faut espérer qu’il n’y avait rien d’urgent, n’est-ce pas ? Et le jeune homme rit puis s’étrangle un peu car il perçoit l’émotion du très vieil officier devant lui, qui a pris l’enveloppe dans ses mains sèches et jaunies, tremblantes, qui retrouve l’écriture de Jenny, qui revoit son visage lors de sa première permission – as-tu reçu ma lettre ? –, qui croit se souvenir d’une expression inquiète puis étrangement soulagée, ou résignée. Mais n’invente-t-il pas, après tant d’années ? Peter cherche, sonde, il en est de plus en plus sûr, Jenny était inquiète – as-tu reçu ma lettre ? –, puis soulagée et résignée. . Je t’écrivais que je t’aime. Et toutes ces années ensuite, où elle l’a aimé – mais aussi la relève du courrier qu’elle considérait comme son privilège et les rares jours où il avait dû s’en acquitter ; n’avait-elle pas alors sur ses traits la même inquiétude ? Le facteur s’en veut à présent, on n’aurait pas dû la lui remettre, au vieux, on ne balance pas ainsi cinquante-deux années à la figure d’un vieillard fût-ce un ancien officier de Sa Majesté. C’est pas important, monsieur, j’en suis sûr, vous verrez – et il est prêt à lui dire qu’il doit s’agir d’une publicité, il ne songe plus à lui demander le timbre pour sa collection. Peter ne semble pas l’entendre, puis brusquement se ressaisit et demande au jeune homme s’il a du feu. Il prend le briquet que l’autre lui tend et d’un pas fragile s’avance sur la pelouse pour ne pas salir le seuil. Il tient l’enveloppe où s’agrippe l’écriture de Jenny, l’écriture d’une morte, il la coince tant que les flammes le lui permettent, entre le pouce et l’index. Puis, il lâche ce qu’il en reste, qui tombe avec lenteur sur l’herbe comme un avion abattu. Ça valait bien la peine, se dit le facteur, qui prend la pièce que Peter lui tend sans le regarder, avec le briquet, et qui enfourche son vélo en bredouillant un salut embarrassé. Ai-je trop dormi ou trop vécu ? se demande Peter en refermant la porte. Prix littéraires - Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Le prêtre et le Big Bang. Georges Lemaître, l’homme de Dieu qui comprit les lois de l’Univers

    > < Le prêtre et le Big Bang. Georges Lemaître, l’homme de Dieu qui comprit les lois de l’Univers Essais Infos Sous le nom de : ​ - ​ Édition : Jean-Claude Lattès 2013 Poche : C’est à l’âge de 9 ans, en 1903, que George Lemaitre prend la décision de donner son existence à Dieu et à la science. « La science n’a jamais ébranlé ma foi et la religion n’a jamais amené à mettre en question ce que je concluais de mes raisonnements scientifiques », écrira-t-il plus tard. Et pourtant, le salut ne peut être ni démontré ni expérimenté. La science a quelque chose de commun avec Dieu ; plus on en sait moins on en sait… Formé en Belgique, puis aux États-Unis, il va être le premier à contredire Einstein qui a imaginé un univers stable pour proposer l’idée révolutionnaire d’un univers en expansion, à l’origine rassemblée en un point ; l’hypothèse du Big Bang est née : Fiat lux… . Prix littéraires - Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Épices et sentiments

    > < Épices et sentiments Romans Infos Sous le nom de : ​ - ​ Édition : Weyrich 2019 Poche : Sur la banquette arrière, Aïssatou, Andreina et Yasmina sont l’une contre l’autre et parlent sans arrêt. On a donné la place avant à Luisa parce qu’elle est l’aînée. Pour une fois, Luisa a aimé être plus vieille que les autres ; elle n’aurait pas aimé faire la route serrée comme ça. La voiture est vieille, les fauteuils sont en faux cuir, mais c’est confortable. Roland n’a pas mis de cravate aujourd’hui. Il est souriant et tient son volant comme un vrai chauffeur. Il roule un peu trop vite mais Luisa aime bien la vitesse. . Prix littéraires - Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Retour à Montechiarro

    > < Retour à Montechiarro Romans Infos Sous le nom de : ​ 2003 Livre de Poche Édition : Fayard 2001 Poche : En 1855, dans le petit village toscan de Montechiarro, le père Baldassare gravit le chemin de la prestigieuse Villa Bosca en compagnie du tout jeune orphelin Adriano Lungo. Cet immense domaine est la propriété du comte Bonifacio Della Rocca, père d’un petit garçon et abandonné par la femme qu’il aimait éperdument : la princesse Lætitia Malcessati. En 1919, la crise économique frappe l’Italie. Agnese, la petite-fille du comte Della Rocca, se voit contrainte d’épouser un fils de notable aussi obtus que violent, Salvatore Coniglio, afin de sauver la propriété familiale. En 1978, Lætitia, l’arrière-arrière-petite-fille de la princesse Malcessati, revient à Montechiarro, ignorant tout des cinq générations de femmes qui s’y sont battues et y ont souffert le pouvoir absurde des hommes en quête de vaines révolutions. Le Risorgimento, le fascisme, les années de plomb : chacune de ces trois périodes clés de l’histoire italienne sert de cadre à cette magnifique saga où les femmes cherchent à être heureuses et à rendre heureux, tandis que les hommes aspirent à conquérir le pouvoir et la gloire par la force, la ruse ou l’argent. À présent, sa famille prenait plus de place dans le cimetière que dans les rues de Montechiarro. Adriano suivit le père Baldassare et les quelques villageois qui les avaient accompagnés jusqu’à l’entrée du cimetière, où on l’embrassa encore, mais avec plus d’empressement qu’à l’annonce du décès de ses parents ; la vie, décidément, était impatiente, et il fallait être riche pour pouvoir s’adonner au malheur. Les gens s’éloignèrent et Adriano resta seul avec le père Baldassare et le soleil. — Viens, Adriano, nous devons parler, toi et moi. Ils remontèrent à pas lourds vers la Porte de Sienne. Souvent, passant sous cette arche antique et délabrée, le religieux murmurait qu’un jour ou l’autre, si l’on ne se décidait pas à la restaurer, quelqu’un se ferait tuer par la chute d’une pierre. Cette fois-ci, il ne fit aucun commentaire. — Vous avez demandé qu’on répare la porte ? hasarda l’enfant. — Tu sais, je n’ai pas grand-chose à dire… Je ne suis à Montechiarro que depuis cinq ans, et je ne suis même pas originaire de la région. — Si vous dites que le passé, c’est important, pourquoi refusez-vous de me raconter votre histoire, votre arrivée à Montechiarro ? — Tout ce qui vient du passé n’est pas bon à prendre, et ma vie ne t’apportera rien qui puisse t’aider à affronter la tienne. Adriano se demanda un instant si, contrairement à son habitude, en raison de la solennité de l’événement, Baldassare allait poursuivre cette discussion derrière ses murs ; mais le prêtre passa devant la porte sans ralentir et, avant l’église San Stefano, il bifurqua dans la ruelle qui grimpait vers le Giardinetto, puis replongeait vers la Porte des Pèlerins. Les maisons de ces chemins étroits étaient misérables, mais elles semblaient confortables à Adriano ; dans son quartier, de l’autre côté de Montechiarro, près de la Porte du Soleil, les masures étaient plus délabrées encore. La pente était raide jusqu’au Giardinetto et le père peinait davantage que dans la remontée du cimetière. — Je m’arrêterai chez Nardo, pour lui emprunter son âne… Nous avons une longue route à faire et je tiens à vivre au moins jusqu’à ce soir… Jusqu’à ce que je sois tranquillisé pour ton avenir… — Mon avenir, père Baldassare ? Adriano s’étonnait que l’on puisse se poser une question à laquelle une seule réponse semblait envisageable : son avenir serait pareil au passé de ses parents, et ce n’était pas la peine d’enfourcher un âne sous le soleil de juillet pour si peu. — Oui, Adriano ; j’aimerais t’offrir ce qui, malheureusement, est refusé à la plupart de tes semblables : la possibilité de construire une vie qui ne soit pas dictée par la nécessité de survivre. Ils quittèrent le Giardinetto et arrivèrent chez Nardo qui les attendait, son âne prêt à partir. — J’ai mis une outre pleine d’eau. Baldassare tendit une pièce qui disparut sans commentaire dans la main du paysan. — Parfait. Allons-y, Adriano. La route est longue jusqu’à la villa Bosca. — La villa Bosca ? Vous m’emmenez chez le comte ? — Le comte Bonifacio Della Rocca… Oui, Adriano. Les deux promeneurs se mirent en route, silencieux et songeurs, écrasés par la chaleur. Adriano essayait de profiter de l’ombre mêlée de la bête et du cavalier pour alléger sa marche, bien que le soleil fût d’aplomb ; Baldassare plissait les yeux et retardait autant que possible le moment où il céderait à la tentation de saisir le récipient rebondi qui ballottait contre sa jambe. Au gré de la marche, Adriano perdit le fil de ses pensées ; il percevait, comme de loin, le fonctionnement mécanique de son corps, concentré sur ses jambes, et, dans le même temps, s’en détachait de plus en plus, pas après pas. La sueur ruisselait sur ses tempes et brouillait sa vue, il tenait ses paupières presque closes. Il se laissait glisser au gré d’une musique sourde, symphonie de cigales, d’insectes et de sabots, rythmée par les battements du sang dans ses tempes. La route montait, descendait, sinuait, et les deux compagnons s’abandonnaient à un âne nonchalant. Adriano ne put estimer où ils en étaient de leur marche lorsqu’un changement mit fin à son hébétude. Baldassare avait arrêté sa monture et buvait une longue rasade ; il tendit l’outre à Adriano et, d’un geste du bras, désigna quelque chose derrière l’enfant. — Regarde Adriano… On devrait pouvoir être heureux dans un tel pays… L’enfant se retourna tout en faisant couler de l’eau sur son visage et dans sa bouche ; c’est alors qu’il découvrit son pays, somptueux dans son indifférence aux désarrois des hommes, qui portait le soleil comme une parure de fête ; et, au loin, couronne de pierres sur sa colline, tenue à la plaine par des rubans de cyprès, Montechiarro, comme jamais encore Adriano ne l’avait contemplée, qui semblait n’attendre que les hommes pour être heureuse enfin, et qui peut-être l’était sans eux, malgré ses pierres branlantes et les misères de ses habitants ; ville et pays étaient d’une autre espèce, d’une race supérieure à laquelle les humains s’étaient laissé asservir – à cause de leurs faiblesses, de leur soif de pouvoir ou de leur difficulté à vivre –, mais qui attendait toujours que cet esclave se libère et la rejoigne dans le bonheur. C’est là, sur le chemin de la villa Bosca, qu’Adriano conclut un pacte avec sa ville, une alliance de soleil et de poussière collée à son visage. Sans savoir ce qu’il disait exactement, il prononça d’une voix rauque une prophétie que Baldassare se garda de préciser : — Je reviendrai… Ils se remirent en route. Prix littéraires Prix des libraires du Livre de Poche (2001) Prix Rossel des jeunes (2001) Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Belgiques

    Belgiques Dire la Belgique en nouvelles Précédent Suivant Fondée en 2017 d'après une idée de Marc Bailly, Belgiques est une collection assez unique en son genre : chaque volume – tous sont titrés Belgiques – est un recueil monographique de nouvelles inédites qui traitent toutes, d'une manière ou d'une autre, de notre pays. Belgiques

  • Et dans la forêt, j'ai vu...

    > < Et dans la forêt, j'ai vu... Romans Infos Sous le nom de : ​ - ​ Édition : Ker 2015 Poche : Toscane, 1928. Dans un village isolé et pauvre, la fille du maire, qui n’a plus prononcé un mot depuis la disparition de sa mère, semble s’éveiller à l’arrivée d’un cirque itinérant sur la place du bourg. ​ Bientôt s’installe une confrontation entre les saltimbanques et le maître des lieux. Que s’est-il passé, jadis, dans la forêt qui borde le village ? Quel mystérieux pouvoir possède le vieil éléphant de la troupe ? Où commence l’illusion, où s’arrête la réalité ? ​ Une histoire de rêve et d’évasion, pour réfléchir à la réalité du pouvoir et au pouvoir de la réalité. Ce roman est le premier que j’écris pour des jeunes adolescents. Au départ, c’était une idée pour un spectacle, proposée à Franco Dragone après avoir découvert les shows de Las Vegas. Puis, avec Benjamin Cuvelier (qui a réalisé la couverture du roman), nous avons commencé à réfléchir à une bande dessinée. En attendant que Ben trouve le temps de s’y mettre, j’ai écrit le roman… La porte est toujours ouverte à la BD et au spectacle ! ​ Qui sait, quand la magie s’en mêle, tout est possible… Assis sur la planche en bois à côté de Luigi, Sandro somnole. La route de terre est douce pour les roues du vieux chariot, et les deux chevaux, à l’avant, prennent leur temps sous le soleil pesant. À quoi servirait de courir ? Luigi laisse les rennes pendre et se fie à ses montures. Ils arriveront toujours à temps dans le prochain village ; là, faudra voir l’accueil. Il y a des fascistes qui n’aiment pas les saltimbanques, et le petit cirque de Luigi n’est pas du genre flamboyant. Depuis 1922 et l’arrivée au pouvoir du Duce, les affaires périclitent. Mais c’est peut-être une excuse. C’est peut-être lui, Luigi, qui vieillit. L’illusionniste s’illusionne avec ses « peut-être » ; il vieillit, et Mussolini n’y est pour rien. Ce qui n’empêche pas Luigi de détester Mussolini. Pourtant, en matière d’illusion, il faut reconnaitre que le Duce s’y connaît. Luigi a assisté à quelques meetings et il a vu comment les rues des villes et des villages paradaient en l’honneur de celui qui rendait à l’Italie humiliée son honneur et ses vertus… Ce que le saltimbanque réussit à faire dans le huis clos minuscule de son chapiteau, Mussolini l’accomplit à l’échelle d’un pays entier. Il a dressé les Italiens et les Italiennes, quitte à les dresser les uns contre les autres, il en a fait des moutons, ou des chats, ou des cochons pour certains, des loups pour d’autres. Tous viennent manger dans sa main, et tous redoutent son fouet. Luigi crache par terre ; jamais il n’aurait engagé ce Benito dans son cirque, même si la fortune était assurée. Jamais les spectacles de Luigi n’ont trompé les gens pour le plaisir de les berner. S’il les trompe, c’est pour leur offrir du plaisir, sans qu’ils soient dupes. Luigi soupire. Il n’aime pas ce que l’Italie devient. Ces chemises noires qui terrorisent tout le monde, ces saluts soi-disant romains, cette exaltation de l’empire, l’ancien et le nouveau ; c’est un évangile qui sonne comme une apocalypse. Derrière les stucs et le carton pâte, il sait, Luigi, qu’il y a des prisons, des camps pour les opposants, perdus sur des îles hostiles, des assassinats, des tortures. Mais que peut-il faire, à part ce qu’il sait faire ? Aussi longtemps que sa carcasse tiendra, et celle du chapiteau. Quand le moment viendra de s’arrêter, il faudra lui trouver une autre situation ; pas question que Sandro reprenne le cirque et cette vie d’errance tout seul. Le plus tard possible quand même. Luigi espère tenir encore. Jusqu’à la fin de Mussolini ? Pourquoi pas… c’est son métier, à Luigi, de faire rêver les gens ; il peut en garder un peu pour lui. Trois semaines qu’ils sont arrivés en Toscane. Pas la pire des régions. Pas la meilleure non plus. Du Nord au Sud de ce pays, chaque dialecte a ses préjugés et ses insultes pour les gens du voyage, ses manières de remercier aussi, quand le petit chapiteau a réussi à briser la torpeur et l’ennui de leur vie. Les regards méfiants de l’arrivée se changent en sourires. Il n’y a que les enfants pour rire à leur entrée dans le bourg, et à pleurer quand ils s’en vont. Question d’échelle, ou d’innocence, de lassitude. Il faut dire que le convoi du Circo delle Stelle n’a pas de quoi susciter l’enthousiasme des foules ; une première voiture brinquebalante, la roulotte principale, tirée par un cheval centenaire, prodige qui ne fait rêver que le vieux Luigi ; accrochée à celle-là, un second chariot avec les toiles, les mats, les planches pour le minuscule chapiteau ; et tout derrière, Manfred, un éléphant rescapé d’Hannibal, abandonné par le Carthaginois parce que déjà jugé trop lourd, trop lent, trop las. Ce sont les siècles qui cheminent avec Luigi, dans la poussière sèche de l’été, les boues de l’automne et les parfums printaniers. L’hiver, il faut négocier avec un fermier, mendier le gîte pour Luigi et Sandro, et Manfred, en échange de travaux, il y a toujours à faire dans une ferme, même si les champs se reposent, réparer une toiture, chauler un mur, réconforter une veuve fraîche qui attendra le printemps pour se trouver un nouveau mari. Tâche toujours plus ardue, la quête hivernale ; l’attelage est de plus en plus branlant et Luigi ne pourra bientôt plus compter sur les charmes juvéniles de Sandro. Dans quelques années, ce sera un adolescent, un jeune adulte, moins attendrissant. Et que dire de lui, de Manfred, chaque année plus marqués par le temps, par la poussière, la fatigue, les rhumatismes. Non, ce n’est pas une vie, marmonne Luigi à longueur de journée, et pourtant c’est sa vie, il n’en voudrait pas d’autres, il y laissera sa peau plutôt que d’y renoncer. Le chemin tourne et, devant eux, sur une colline, le village attendu, peu importe son nom. Une bonne âme, dans le bourg précédent, lui a dit que là, ils devraient être mieux accueillis. Moins bien serait difficile, à moins d’envisager qu’on les brûle en place publique. Il y a même eu une pierre lancée sur Manfred. Heureusement, ou malheureusement, l’animal en a trop vu, ou sa peau est trop épaisse, et il n’a pas réagi. On verra. Pour l’heure, ce n’est qu’un amas de maisons de briques et de pierres serrées autour d’une place qu’on devine à son silence, derrière les vestiges de murailles qui ont un temps nourri l’orgueil de Medici de province, avant de devenir des obstacles au progrès, lequel, par dépit, a boudé ces campagnes assoupies. Sandro se réveille. — On est arrivés ? — Bientôt. Là, regarde. L’enfant se frotte les yeux et sourit faiblement. Il aime bien arriver quelque part. Il n’a pas peur, même s’il sait que parfois, cela se passe mal. Ils ont toujours trouvé, et il y aura toujours des enfants comme lui pour s’émerveiller devant la magie de Luigi. Bien sûr, quand ils déboulent dans la rue principale du bourg, personne n’envisage la possibilité que ce cirque minable puisse proposer autre chose qu’un éléphant miteux tournant péniblement sur une piste, un gamin sur une corde tendue et un clown pitoyable. La surprise n’en est que plus formidable. Et Sandro sait que leur cirque est le plus beau du monde, et leur spectacle le plus magnifique. Le chemin descend vers une vallée où on devine un ruisseau aux bosquets touffus qui se dressent derrière un mur, celui d’une belle propriété, l’improbable demeure patricienne d’un notable égaré dans ce trou perdu, songe Luigi avec un rien d’aigreur, il n’a jamais aimé ce type de roitelets qui confondent l’ombre de leurs échecs avec les reflets de la gloire. — Tu as vu ? s’exclame Sandro. Quelle belle maison ! Luigi grogne. Une façade à colonnes, style médicéenne, avec lézardes, lierre, glycines et roses, des allées de dolomie blanche, propres et bien entretenues, des cyprès pour garder les entrées, quelques oliviers pour faire illusion. Après la propriété, le chemin remonte vers le bourg. Luigi concentre son regard sur la porte antique, il essaie de deviner, à quelques détails minimes, si l’accueil sera bon ou s’il leur faudra, avant la tombée du jour, reprendre leur route, de l’autre côté de la colline. Sandro, lui, ne quitte pas des yeux ce qui lui semble un palais somptueux. Il aimerait bien, parfois, que Luigi transforme leur chapiteau en un château, comme ils en croisent parfois. Si Luigi ne le fait pas, c’est qu’il sait que la vie n’y serait pas plus belle, se console Sandro. Et puis, même dans un tel palais, il ne voudrait pas se séparer du chapiteau, de Manfred, il exigerait qu’on les installe dans le parc et il y passerait le plus clair de son temps. Mais quand même… Une voix retentit. Une voix de femme qui appelle quelqu’un. Un enfant, un chien ; impossible de savoir. Sandro plisse les paupières, tandis que Luigi crispe ses doigts sur les rennes. C’est peut-être le premier cri de haine, la prémisse à une invitation au voyage. Mais Sandro a aperçu une silhouette sur le mur d’enceinte de la propriété, là où les briques se sont effondrées sur presque toute la hauteur, une brèche causée par les assauts des ans. Une fillette. Malgré la distance, Sandro discerne ses traits. Elle est jolie. Sandro a de bons yeux et un grand cœur. Il a toujours préféré la beauté à la laideur, la gentillesse à la méchanceté. Luigi dit que cela lui jouera de mauvais tours, et de la part d’un magicien aussi doué que lui, ce sont des paroles que Sandro devrait prendre au sérieux ; mais Sandro préfère déjà être déçu que devenir amer. Le convoi approche du muret et les traits de la fillette se précisent. Même Luigi se laisse aller à une grimace qui pourrait être un sourire. Elle les regarde approcher avec de grands yeux fixes, la bouche légèrement entrouverte, muette. Une ombre se dessine dans son dos. — Letizia, que fais-tu là ? Une jeune femme la prend par les épaules et découvre le spectacle. Elle aussi est ravissante, se dit Sandro, même si elle trop âgée pour lui et trop jeune pour Luigi. Et puis, ce n’est pas parce que l’enceinte du château a ses faiblesses qu’il n’existe pas entre eux un mur infranchissable, pense sans doute Luigi. Lequel a détourné le regard, tandis qu’il fait claquer les rennes, pour rien, pour se donner contenance, la bourrique n’ira pas plus vite et c’est déjà bien beau si elle avance encore. — Allez, viens, tu sais que ton père n’aime pas… Elle tire doucement Letizia en arrière. La fillette résiste un instant, toujours figée, son visage impassible, et Sandro se demande si elle voit bien la roulotte et ses passagers ou si le rayon de ses yeux les traverse sans rien remarquer. Enfin, elle se laisse entraîner et se détourne. Les deux silhouettes disparaissent, après que l’aînée ait scruté une dernière fois les arrivants. Sandro n’a rien vu dans son visage que de la sympathie, une curiosité amusée, l’espoir aigu d’un petit événement dans la torpeur de l’été. — Je crois qu’on va être bien dans ce village, Luigi. Non ? Le vieil homme grogne. Il n’aime pas quand les autres se chargent des numéros d’illusion. — On verra, Sandro, on verra… Prix littéraires - Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • La vie malgré tout

    > < La vie malgré tout Nouvelles Infos Sous le nom de : ​ - ​ Édition : L’instant même 1994 Poche : Il y avait sans doute eu, d’abord, un sentiment diffus de trop-plein. D’excès, bien qu’il n’aurait su dire de quoi. C’était un ensemble, une foule dans laquelle il savait que seuls quelques coupables condamnaient la majorité innocente. C’était bien cet ensemble, cet agglomérat qui devint insupportable. Par-dessus la vision qu’il avait du monde, l’étouffement qui le prenait dessinait de nouvelles images, floues et éparses au départ, puis de plus en plus nombreuses et précises. ​ La mort veille, elle a tout son temps. Mais nous, de quel temps disposons-nous ? Dans ce second recueil, Vincent Engel ose avancer que « nous sommes tous des faits divers » avant de tracer un chemin d’élévation qui trouve dans la relation émouvante d’un fils et de sa mère à l’agonie la voie de transcendance. Dans l’art, l’écriture, la mort veille aussi. Là, elle a tout son sens. Le Messie Ce soir, tête lourde, et mon eczéma sur l’épaule me fait des misères. Je rentre de ce cercle, près de chez moi, où je vais tous les vendredis soirs, parce qu’il y a du monde, des verres abandonnés qu’on me laisse achever. De temps en temps, je trouve une assiette encore bien garnie. Et puis, il y a toujours quelqu’un pour m’offrir une bière, ou du vin, ou un morceau de pain. À part ça, ils me laissent tranquille, et moi de même. Ce soir, il y avait trop de verres à finir. Mais j’ai réussi à ne pas salir ma belle chemise blanche, que je mets toutes les semaines pour aller au cercle. Trop de verres à finir. Mal de tête. Il y avait aussi une conférence. Je n’ai pas tout écouté. Ils devraient m’inviter à parler, je pourrais également raconter des choses intéressantes. Trop mal de tête. La bière ne devait pas être bonne. *** Je ne me souviens plus de quoi ils parlaient, hier soir, au cercle. Je n’ai plus mal de tête, mais je ne me souviens plus. Pourquoi ai-je tant bu ? Et il y a une tache sur le col de ma chemise. Hier soir, j’ai encore oublié de mettre la pommade sur mon eczéma, et ce matin, il n’a jamais été plus fort. J’ai l’impression, quand je ne sais plus retenir ma main, quand ça chatouille trop, qu’il se répand partout, sur mon visage surtout. J’ai beau frotter, ça ne part pas. Et dans mon miroir, je ne vois rien. Peut-être mon miroir est-il trop sale. Je devrais le laver, comme ma chemise. Pourquoi tout dans ma vie est-il aussi sali ? Je n’étais pas comme ça avant. Quand ? Je ne sais plus. Un rêve, un soir où j’avais trop bu, une fois encore ? Peut-être les choses n’ont-elles jamais été différentes, mon miroir propre, ma chemise blanche. *** Cet après-midi, je suis allé à la Bibliothèque Royale. J’y vais souvent. J’aimerais devenir intelligent, instruit, comme les gens qui viennent au cercle pour parler ou pour écouter les autres parler. Eux, ils ne boivent pas, ils ne vident pas les verres abandonnés. Alors, je vais à la Bibliothèque, je lis beaucoup, surtout les encyclopédies, c’est là qu’on apprend le plus. Mais comme je n’ai pas très bonne mémoire, je recopie ce que je lis, tout, mot à mot. J’ai sans doute déjà recopié plusieurs fois le même passage, la même page ; j’oublie souvent où je range mes notes. Mais un jour, je pourrai moi aussi aller parler devant eux, et comprendre ce qu’ils disent. J’espère quand même pouvoir disposer de mes notes, pour ne pas dire de bêtises. Mais de quoi leur parlerais-je ? J’ai lu aujourd’hui un article intéressant, sur le Pérou je crois. Je ne sais plus. Les feuilles ont dû glisser de ma poche alors que je rentrais chez moi. *** Les gens du cercle ne sont pas des gens comme moi, pas seulement parce qu’ils sont plus intelligents et ne vident pas les verres des autres. Je l’ai vraiment réalisé ce soir. Ils sont juifs. Il faudra que j’aille voir à la Bibliothèque ce que ça peut vouloir dire. Les seules choses que j’ai sues sur eux, c’est ce que le curé en disait quand j’étais enfant. J’ai oublié ce qu’il disait, je ne notais pas encore tout. Mais je crois que ce n’était pas gentil. C’est sans doute parce qu’il n’était jamais venu au cercle. Il ne parlait pas des mêmes juifs ; les miens sont vraiment bien. Ce soir, j’ai demandé à l’un d’eux si le col de ma chemise était propre, parce que j’ai oublié de le nettoyer cette semaine, et il m’a dit qu’il était parfait, et que ma chemise m’allait comme un gant. Mon eczéma me laissait tranquille, j’avais mis la pommade, et j’avais pu boutonner le col. Je devais avoir belle allure, on me regardait souvent. S’ils sont juifs, ce sont de bons juifs. Ils m’admiraient. Je sais qu’ils se demandaient quand, enfin, je viendrais leur parler. Pas encore, il faudra qu’ils attendent un peu. Je n’ai pas rassemblé toutes les notes dont j’ai besoin, et j’hésite sur le sujet. Le Pérou intéresse-t-il les juifs, si bons soient-ils ? Demain, il faudra que je trouve autre chose. Pas ce soir. Ils devraient prendre du vin moins acide. Mon stylo coule, j’ai de l’encre plein les doigts. Mieux vaut cesser ici. *** Il faut absolument que je nettoie ma chemise cette semaine. En l’enlevant, hier soir, j’y ai fait de grosses taches d’encre. Et celle du col n’est pas partie. Je l’ai noté sur un grand papier que j’ai collé sur la porte de ma chambre. Comme ça, je ne risque plus de l’oublier. *** À la Bibliothèque, j’ai commencé à faire des recherches sur mes juifs. Il y avait un long article dans l’encyclopédie. Quelle histoire ! Je comprends qu’ils aient tant de chose à raconter. Et je suis content de n’être pas juif. Toujours risquer de devoir voyager, parfois même dans le désert, et sans être sûr de trouver là où on va un cercle aussi accueillant… se retrouver dans des rues qu’on ne connaît pas, moi qui, même dans ce quartier où je vis depuis toujours, me perds encore, parfois, quand j’ai trop bu. *** Aujourd’hui, j’ai lu dans un livre que c’était les juifs qui avaient tué Jésus. Il y avait déjà des juifs à cette époque ? Les miens, en tous cas, n’ont pas des têtes d’assassins, même pas le costaud qui surveille l’entrée et me dit toujours gentiment bonsoir. Bien sûr, ça ne peut pas être eux qui ont tué Jésus, c’était il y a trop longtemps, mais si ceux-là étaient déjà juifs et si les miens le sont encore, il devrait y avoir un lien, on devrait voir quelque chose. Peut-être, s’ils sont si gentils avec moi, qui ne suis pas juif, est-ce parce qu’ils croient que je mène une enquête sur ce vieux crime, et qu’ils ont peur que je ne les chasse dans le désert… *** Ce soir, je les ai bien observés, et j’ai même posé l’une ou l’autre question. J’ai dû les effrayer ! Ils se voyaient déjà, rentrant chez eux, pour préparer leurs valises et repartir vers le désert, ou pire, arrêtés comme criminels ! Mais mon enquête m’a rassuré : ce ne sont pas eux, les assassins. J’en suis sûr. Je ne leur ai pas dit, je n’ai pas envie qu’ils cessent de me craindre et de m’offrir à boire. Si ce sont les juifs qui ont tué Jésus, ce ne sont pas les mêmes que les miens. Peut-être ceux de mon curé, mais pas les miens. J’avais oublié, malgré le papier — je sais pourquoi, il s’est décollé, je viens de le retrouver par terre —, de laver ma chemise. Je m’en suis rendu compte quand, comme chaque fois que je vais écouter leurs histoires, j’ai voulu enlever mon manteau. Je l’ai vite remis, ils n’ont pas eu le temps de s’en apercevoir. Quelle chance ! Ils auraient pu ne plus me prendre au sérieux. Mais quelle chaleur… J’ai oublié de quoi ils parlaient, ce soir. Au fait, je n’ai pas compris, ils ne parlaient pas français. C’était une espèce de flamand, mais ce n’était pas du flamand, sinon j’aurais pu comprendre une bonne partie. De temps en temps, quelqu’un tournait la tête vers moi. Est-ce qu’ils parlaient de moi ? Ça ne m’étonnerait pas. Si un jour je viens leur faire une conférence, ce sera pour exposer les résultats de mon enquête. En français. *** Ce matin, en allant à la Bibliothèque, je suis passé devant le cercle. Ils avaient mis un panneau sur la porte, et j’ai noté dans mon petit carnet : cercle juif laïc. Laïc ? Je comprenais assez bien les autres mots, mais pour celui-là, j’ai dû aller regarder dans le dictionnaire. « Laïc : qui ne fait pas partie du clergé ». Ce doit être pour cette raison que je n’ai jamais vu d’abbé au cercle. Mais non, c’est normal. Je ne comprends même pas pourquoi ils ont mis “laïc” sur leur panneau. S’ils sont juifs, ils ne sont pas chrétiens ; ils ne peuvent pas être curé. Ils sont donc d’office laïcs. C’est peut-être à cause de cela que mon curé ne les aimait pas. *** Ce que j’ai appris aujourd’hui est terrible. Je suis horriblement fâché. J’ai lu une légende juive qui raconte qu’il faut toujours bien accueillir les mendiants et les pauvres, parce que ça peut être quelqu’un d’important qui se déguise : Élie. C’est son nom. Un prophète. Le prophète Élie. Et il faut surtout l’inviter le vendredi soir. Ils me prennent donc pour un mendiant. Pas pour un inspecteur. Moi qui mets toujours mes plus beaux habits pour aller chez eux ! Un mendiant ! Moi qui passe mes journées à lire leurs histoires pour leur préparer un beau discours ! Moi qui allais les innocenter ! Un clochard ! Ils se moquent de moi ! *** Hier soir, c’était vendredi. Je suis resté chez moi, à boire tout seul. Ils ont dû passer une mauvaise soirée, sans leur « prophète » ! Tant mieux pour eux. Je ne suis pas un clochard, même si je n’ai pas encore nettoyé ma belle chemise. C’est simplement à cause de ma mauvaise mémoire. Ils vont me regretter. *** Aujourd’hui, à la Bibliothèque, je me suis juré de ne plus rien lire sur eux, et j’ai entamé des recherches sur le Pérou. Mais le cœur n’y est plus. Je suis rentré plus tôt chez moi, avec une grande bouteille de vin. Ça ne vaut plus la peine que je nettoie ma chemise ; j’ai même envie de la leur envoyer, comme symbole. Ils comprendront que leur prophète n’est pas celui qu’ils croient, et que je suis allé me faire accueillir ailleurs. Mais où ? Et si c’était vrai, si j’étais ce prophète Élie ? Prophète… c’est mieux que clochard… Non. Je ne suis pas un clochard. Je ne leur pardonne pas. *** Ce soir, ça va faire le deuxième vendredi que je n’irai pas au cercle. Ils vont vraiment s’inquiéter. Tant pis pour eux. Le vin que j’ai acheté n’est pas bon, c’est pour cela sans doute qu’il était si peu cher. Il a coulé sur ma chemise, et je crois que les taches ne partiront pas. J’ai remis ma belle chemise, pour me moquer d’eux, et je suis presque content de ces nouvelles taches. Moi, un clochard ! Tiens donc… quand je pense que je lis certainement plus qu’eux… Eux, ils parlent beaucoup, mais ça ne prouve pas qu’ils sont intelligents. Moi, je sais me taire. Il y a aussi que j’oublie si vite… Et si, malgré tout, j’étais ce prophète ? Ils ne pensent peut-être pas que je suis un clochard… Ils ont pu trouver que j’ai une tête de prophète, tout simplement. Pourquoi pas ? De toute façon, ma bouteille est vide, et il est encore tôt. Allez, je leur pardonne. Le prophète retourne au cercle. Mon pull cachera les taches. Et puis, un prophète peut se permettre certaines choses. *** Qu’ils étaient contents de me revoir ! Quel monde ! Ils avaient même fait venir des musiciens, pour un concert, et bien entendu, ils ne m’ont pas fait payer. Je ne suis pas resté longtemps dans la salle du fond, il y avait trop de bruit. Je les ai laissés fêter mon retour, et je suis allé faire un petit tour dans la cafétéria. Quel festin ! Que de verres, d’assiettes ! J’ai dû manger et boire un peu trop vite, et je me suis senti mal. Je suis parti discrètement, en disant au portier de les remercier. Il ne faut pas qu’ils voient le prophète malade. *** Quel prophète, cet Élie ! J’ai lu beaucoup de choses sur lui, c’est un des plus importants. Dire que, sans aller au cercle, j’aurais pu passer ma vie en ignorant qui j’étais. Elie annonce la venue du messie. Le messie ? *** Je comprends mal. Jésus était le messie. Les juifs ont tué Jésus. Le prophète Élie annonce le messie. Contrairement aux chrétiens, les juifs attendent encore le messie. Mais si Jésus l’était, pourquoi ne l’ont-ils pas reconnu, pourquoi l’auraient-ils tué ? Et pourquoi Élie continuerait à annoncer quelqu’un qui est déjà passé ? On ne lui a pas dit ? Si je suis le prophète, dois-je annoncer que Jésus va venir, ou qu’un autre messie va arriver ? Moi, je sais que ce ne sont pas les juifs qui ont tué Jésus. Comme je suis le prophète, je dois annoncer le messie. Donc, Jésus ne serait pas messie ? Si mon curé m’entendait, il ne serait pas content. Que c’est compliqué… Donc, mon curé croit que Jésus est venu, et mes juifs l’attendent encore. Qui a raison ? Et moi, là-dedans, que dois-je faire ? Si mon curé a raison, je ne peux pas être le prophète Élie. Mais si les juifs attendent toujours que le messie vienne, c’est qu’ils n’étaient pas là quand il est venu — ce qui prouve aussi qu’ils n’ont pas pu le tuer. Mais alors, si je ne suis pas le prophète, pourquoi m’accueillent-ils si bien ? Et si j’étais le messie, qui revient pour les juifs ? Quelle surprise ce serait pour eux ! *** C’est évident. Je ne suis pas Élie. Je suis le messie. Mon eczéma, d’ailleurs, me laisse tranquille depuis quelques temps : miracle… *** Vendredi prochain, je vais leur révéler mon identité. Mais il faut que je me prépare. Je n’ai pas d’argent pour acheter une nouvelle chemise, et les taches ne sont pas toutes parties au lavage, mais c’est sans importance, l’habit ne fait pas le messie. Je suis allé à la messe tous les soirs, pour me rappeler les prières, et je les ai recopiées soigneusement. J’ai bien observé le curé, en prenant aussi des notes, pour savoir comment je vais leur annoncer ça. Je crois que j’ai une bonne idée : j’irai au milieu de la salle, j’ouvrirai grand les bras et je dirai : « en vérité, je vous le dis, je suis le messie ! » J’imagine déjà leurs têtes… Vivement vendredi soir ! *** Je viens de rentrer du cercle. Je ne leur ai rien dit, finalement. Je n’ai pas ouvert les bras en criant : « en vérité, je vous le dis… » Non pas que je ne croie plus être le messie. Mais mes lectures m’ont profité, j’ai réfléchi. Comme je l’ai lu, il semblerait que la seule chose qui distingue les chrétiens des juifs, c’est que ceux-ci attendent encore le messie. S’il venait, si je leur disais qui je suis, ils n’auraient plus besoin d’être juifs, avec tous les risques que ça comporte. Ils deviendraient chrétiens, puisque la différence aurait disparu. S’ils cessaient d’être juifs, ils cesseraient leurs activités juives. Et alors, où le messie irait-il passer ses vendredis soirs ? Prix littéraires Prix Renaissance de la Nouvelle Finaliste du prix AT&T Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Frédérick Tristan, ou la guérilla de la fiction

    > < Frédérick Tristan, ou la guérilla de la fiction Essais Infos Sous le nom de : ​ - ​ Édition : Rocher 2000 Poche : Frédérick Tristan occupe une place à part dans le monde des lettres françaises contemporaines. Son oeuvre, qui compte déjà près de quarante titres, constitue un ensemble cohérent d'une rare puissance, par lequel l'auteur met en avant les forces et les faiblesses d'une société qui, depuis plus d'un siècle, essaie de se défaire de Dieu et de s'en remettre à l'homme. Ce chemin, comme le fut jadis, celui des sociétés théocratiques, est ardu, jalonné de crimes. Tristan le relate, par la magie d'une fiction qui se plaît à raconter des histoires pour mieux dire le réel, sans complaisance, mais sans davantage jeter d'anathème. Cet essai met en évidence à la fois l'inscription de Tristan dans une mouvance littéraire exigeante, qui puise autant chez Camus que chez Gary, et son engagement dans un siècle qui a pu, en même temps, contribuer comme aucun autre à la libération mais aussi à l'aliénation, voire à l'anéantissement de l'homme. Résolument humaniste et antifasciste, l'oeuvre de Tristan allie l'humour au "gai savoir", la révolte à l'exigence, pour constituer une nouvelle comédie humaine adaptée à son époque, à ses attentes et à ses angoisses. . Prix littéraires - Édition Présentation Extrait Presse Acheter EXTRAIT

  • Le Monde d'Asmodée Edern

    Le Monde d'Asmodée Edern < > Asmodée Edern est un de mes plus vieux personnages. Il est apparu dans un roman écrit un peu avant mes 20 ans, en même temps que cet « alter ego » de Baptiste Morgan. Le roman s’intitule Feux d’eau et, je vous rassure, il ne sera pas publié. Deux parties en miroir, une dominée par l’eau, l’autre par le feu. Asmodée est un démon, dans la Bible. Démon de la colère, démon exterminateur… Sa présentation n’en fait pas un personnage sympathique! Moi, je l’ai choisi pour son nom, et j’en ai fait un démon d’un tout autre genre. Éternel, bien sûr, comme l’indique le nom de famille que je lui ai associé. Et je l’ai aussi élu parce que, depuis cette époque, je suis en colère contre Dieu… Asmodée, comme vous le lirez plus bas, est devenu une de mes voix pour exprimer cette colère. Asmodée est présent dans la partie « liquide » du roman ; dans la partie « brûlante », il est remplacé par celui qui allait devenir non pas son double, mais son pseudonyme ou son avatar : Thomas Reguer. « Reguer », celui qui dirige… mais sans jamais rien imposer. Il est revenu ensuite dans une nouvelle, « Des traces de peur », publiée dans le recueil La vie malgré tout . Il s’y retrouve inspecteur de police à la retraite, aidant un jeune collègue décontenancé par la mort singulière de la jeune et jolie Sarah. Et puis, il a resurgi dans Retour à Montechiarro et n’a plus quitté cet univers toscan, pour en devenir le fil rouge. Non pas le démiurge ; Asmodée apparaît dans le destin des êtres qu’il choisit non pour les aider d’un coup de baguette magique, pour leur indiquer que la vie pourrait être différente de ce qu’ils ou elles imaginent. Normalement, il n’intervient qu’une fois : c’est ce que constate avec regret la flûtiste Candice Elenord, lorsqu’elle rencontrera Baptiste Morgan à Venise, en 1980 (dans Les Absentes ). Une exception à cette règle : Alba Malcessati et sa fille Lætitia, pour lesquelles il nourrit une profonde affection. Un jour, je publierai « son » livre, dans lequel il raconte sa genèse et son combat contre Dieu. Je peux cependant vous en confier ici le prologue : Au commencement, était le Mal, est le Mal était avec Dieu et le Mal était Dieu. Plus intime que sa pensée la plus intime, plus lié à Dieu que le souffle ou la puissance, le Mal était en Dieu et a collaboré à toute création. Il a façonné la vie, l’a pétrie de force terrible, il a fait de la vie le reflet des ténèbres où les hommes devraient se débattre pour le plus vif délassement divin. Moi, je peux le dire et le redire, et l’écrire et le hurler aux vents du monde et du néant ! Moi, Asmodée l’éternel enchaîné au désert, calomnié, j’ai dénoncé l’imposture et j’acquitte le prix de cette audace comme le feront tous ceux qui, ici ou là, hier ou demain, dévoileront l’horrible nature de Dieu, quelle que soit l’apparence qu’il a prise pour séduire les hommes. Car les hommes sont fragiles et ont soif de réponses apaisantes, sans regard pour le prix dont ils doivent s’acquitter. Dieu se moule à l’image de leurs peurs et de leurs désirs, et ainsi se les attache. Ils payent de leur liberté et de leur vie, et se font rembourser en monnaie de singe ! Je m’appelle Asmodée, Asmodée Edern, qui jamais n’abandonnera la lutte contre l’Imposteur et pour les hommes, malgré les hommes. Sous l’influence divine, ils m’ont traité de démon – démon de la colère ou de la luxure, toujours une théorie viendra me calomnier et ruiner mon crédit auprès de ceux que j’essaie de sauver. Ils ne veulent pas de la paix parce qu’ils en ont peur, ils fuient le bonheur parce qu’On leur a fait croire qu’il coûtait toujours trop cher. Et quand vient le moment du décompte, le bonheur est enfui et les hommes sont de frêle mémoire, qui ne considèrent que leur malheur présent. Mais je le sais, moi le supposé démon de la colère, qu’au plus profond d’eux sommeille un enfant qui aspire à la joie et qu’ils finissent par tuer ! Je viens en eux, je les secoue, je les bouleverse et c’est pourquoi ils me diabolisent sur les conseils du Grand Anesthésiste. Je les force à rendre gorge de cette meilleure part d’eux-mêmes. Et quand j’y parviens, quand l’être libéré réussit à maintenir ardente cette tension exigeante et magnifique, quand il ne se laisse pas rattraper par les armées insidieuses de Celui qui se veut tout-puissant et unique, alors, dans l’ombre de ce destin qui se découvre et s’assume, je savoure cette victoire et me garde bien d’encore apparaître. Car, contrairement à Lui, j’ai horreur des louanges, des prières, des actions de grâce et des actes de contrition. Je ne donne rien : je donne à être. Et si c’est être démoniaque, vivent les démons ! Le père de Sara, par exemple. Un être peu recommandable, tout entier soumis à ce Dieu exécrable. Par force, il voulut contraindre, par sept fois, sa pauvre fille à des noces auxquelles elle se refusait. Son cœur ne voulait pas s’offrir à un inconnu. Par sept fois, je l’ai délivrée. Infinie fut la rage de Dieu ! Il dépêcha pour me combattre le plus fourbe des anges, Gabriel, qui ferait croire à un âne qu’il est digne de gouverner le monde. Ils choisirent comme instrument le bon Tobie, un gentil garçon sans doute, mais faible et ignorant. Ils lui enseignèrent de vulgaires tours de magie que le simple prit pour la manifestation de la gloire et de la puissance divines. Les lâches connaissent mes faiblesses : je n’ai jamais su frapper un innocent. Tobie n’a eu aucune peine à me circonvenir, et il ignore toujours qu’il ne doit sa victoire qu’à mon refus de vaincre. Ce que l’on a écrit à ce propos, dans ces pages grotesques tissées d’inepties et que les hommes esclaves vénèrent comme la juste parole du Seigneur, me remplit de colère et de dégoût. Jamais ce freluquet d’archange n’aurait pu me soumettre et m’enchaîner ! C’est moi qui suis parti, de mon plein gré, pour le désert, celui de haute-Égypte d’abord – mais pour un temps seulement. J’en voulais à l’homme d’être si dupe, à si bon compte. J’en voulais, c’est vrai, à la belle Sara de trouver un semblant de bonheur aux côtés de ce béni-oui-oui de Tobie. Pendant quelques siècles, j’ai ruminé ma déception plus que ma colère. Sara et Tobie n’étaient plus qu’un peu de cendres mêlées au sable. Pendant tout ce temps, le Mal s’était répandu, Dieu avait étendu son pouvoir et son royaume, prêt à toutes les métamorphoses pour s’adapter aux goûts de ses proies – multiple et bon-vivant pour les Grecs, auxquels Il reprochait toutefois de Le traiter avec légèreté, unique et terrible pour les Juifs dont il adorait la ferveur et la soumission devant ses innombrables caprices. Jamais je n’aurais dû m’absenter aussi longtemps… Je n’étais plus, dans la conscience humaine – un bien grand mot pour une aussi frêle lumière – que le suppôt du mal et de la luxure… « Le jour où le crime se pare des dépouilles de l’innocence », écrira plus tard un des rares hommes à avoir débusqué aussi impitoyablement la divine imposture, « c’est l’innocence qui est sommé de fournir ses justifications. » Que me restait-il, que pouvais-je encore espérer ? Mais mon opiniâtreté me tient lieu d’une patience que je n’ai pas toujours, et mon impatience s’unit à ma colère pour nourrir ma force et ma volonté. Dieu triomphait, Dieu me croyait à jamais vaincu. Sans doute m’avait-Il oublié. J’allais ressurgir. J’allais, en me servant de cette illusion qu’il avait fait admettre aux hommes comme vérité dévoilée, revenir parmi le siècle et obtenir la plus éclatante des revanches, qui à jamais mettrait un terme à Sa suprématie. Je le réduirais à un article de bazar pour dépressifs impénitents et jouisseurs de l’extatique souffrance ! Je ridiculiserais un à un les lois absurdes et les articles de foi ineptes ! Et je révélerais aux hommes et aux femmes qu’ils n’ont de compte à rendre qu’à eux-mêmes, qu’ils sont seuls responsables de leur bonheur et de leurs malheurs. J’ajouterai bientôt ici des éléments nouveaux, à commencer par la question épineuse : « À quoi peut bien ressembler Asmodée Edern ? »

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