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Immigration : le «formidable» modèle australien

Dernière mise à jour : 6 nov. 2023



Certains, ici ou là, sortent régulièrement de leur chapeau le « modèle australien » comme solution idéale à la crise des réfugiés. D’une certaine manière, l’Europe, à travers l’accord signé avec la Turquie, cherche à appliquer ce modèle. Elle rencontre les mêmes difficultés et devrait aboutir au même constat : ce modèle est exactement ce qu’il faut éviter, à tous points de vue : économique, social, politique et humanitaire. Mais la réalité n’est pas le premier critère de décision lorsqu’il s’agit de sujets que le populisme attise constamment pour s’assurer des succès électoraux.


Sur quoi est fondé le modèle australien ? Et quelles sont d’abord les spécificités de l’Australie ? Au départ, le continent australien a été un gigantesque bagne que le Royaume Uni a colonisé. Colonisation qui s’est faite au prix d’un ethnocide à l’encontre des aborigènes. Aujourd’hui, l’Australie est un pays à majorité blanche à deux pas de l’Asie, une île sans aucune frontière terrestre avec un autre pays, que l’on ne peut gagner que par les airs ou, pour les candidats migrants, par la mer, avec tous les risques que cela comporte.

Face à ces migrants qui, selon les officiels australiens, menacent un pays pourtant réputé pour son sens de l’accueil, le gouvernement de Canberra a mis au point une politique du « no way », c’est-à-dire du refoulement radical de toute personne non pourvue d’un visa en bonne et due forme. Il a conclu des accords financiers avec des pays « voisins » (à quelques milliers de kilomètres quand même), comme la Papouasie-Nouvelle-Guinée, pour qu’ils ouvrent des camps de rétention de ces migrants, contre rémunération. Plus précisément, deux camps sont financés par les Australiens : celui de Manus, sur une île de PNG, et Nauru, petit état indépendant grand comme un huitième de la région bruxelloise, peuplé de 11.500 habitants et autrefois paradis fiscal – aujourd’hui, sa principale source de revenus est la gestion de ce camp.

Ne peuvent venir en Australie que des « bons migrants », c’est-à-dire capables de s’intégrer dans l’économie et de contribuer à la croissance australienne. J’entends déjà rugir dans les forums toutes celles et tous ceux pour qui cela tombe sous le sens et que « nous ne sommes pas là pour accueillir toute la misère du monde ».

Sauf que…


Les atteintes aux conventions internationales et aux droits humains

L’Australie a adhéré, comme la Belgique et 191 autres pays, à la Déclaration de New York sur les réfugiés et les migrants adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 19 septembre 2016. Sans la moindre ambiguïté, cette déclaration rappelle que, « depuis que le monde est monde, les hommes se déplacent, soit pour rechercher de nouvelles perspectives et de nouveaux débouchés économiques, soit pour échapper à des conflits armés, à la pauvreté, à l’insécurité alimentaire, à la persécution, au terrorisme ou à des violations des droits de l’homme, soit enfin en réaction aux effets négatifs des changements climatiques, des catastrophes naturelles (dont certaines sont liées à ces changements) ou d’autres facteurs environnementaux. » Si ces flux ont augmenté, il reste que « les réfugiés et les migrants jouissent des mêmes libertés fondamentales et droits de l’homme universels».

Il faut trouver des solutions valables pour tous, conformes aux droits humains. Cette solution ne peut être que mondiale : « Aucun État ne peut à lui seul gérer ces déplacements. » Et les signataires de la Déclaration s’engagent à « sauver des vies » dans une tâche « avant tout morale et humanitaire ». Il faut aussi trouver des « solutions durables et à long terme. » Mais ils sont déterminés à combattre « avec tous les moyens à notre disposition les mauvais traitement et l’exploitation dont sont victimes d’innombrables réfugiés et migrants en situation vulnérable. »

L’Australie s’est donc engagée à respecter tout cela. Mais en même temps, l’Australie a décidé de régler seule le problème, par des solutions précaires et à court terme, qui infligent aux personnes des traitements dégradants, voire les met en danger de mort. Le tout pour un coût économique désastreux : plus de 3 milliards d’euros en 5 ans.

Les critiques à l’encontre de cette politique sont nombreuses. Le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies l’a publiquement condamnée à plusieurs reprises. La Commission des Droits de l’Homme de l’ONU dénonce quant à elle le fait que des réfugiés sont forcés de rentrer dans leur pays, même s’ils risquent d’y être massacrés, comme les Rohingias de Birmanie.

Des témoignages effrayants attestent des conditions inhumaines vécues par les réfugié.e.s emprisonné.e.s à Nauru ou à Manus en Papouasie, tels ceux du journaliste Behrouz Boochani, qui a fui l’Iran et s’est retrouvé dans ces camps ( il faut voir le film bouleversant qu’il a réalisé à partir de témoignages oraux), qui évoque le moment où l’Australie a cessé d’alimenter les camps en eau et électricité, et où les détenus se sont retrouvés confrontés à la violence des populations locales qui ne voulaient pas d’eux. En 2015, face aux critiques de plus en plus nombreuses et afin d’éviter que l’opinion publique soit davantage informée, le gouvernement australien décide que tout reportage sur les conditions de détention à Nauru ou Manus sera illégal.


Les réactions en Australie

L’institut Lowy, un « think tank » australien, pointe aussi les défauts majeurs de la politique australienne :

  1. Considérant le coût déjà énorme engagé pour les opérations actuelles, il ne serait pas possible d’assumer l’augmentation de ces dépenses si le nombre de réfugiés venait à augmenter ;

  2. Les capacités d’asile de Papaouasie-Nouvelle-Guinée ou de Nauru sont limitées ;

  3. Les agissements de la police sont déjà à la limite de l’illégalité ;

  4. L’Australie est le pays le plus riche de la région. Le moindre conflit dans l’Asie du Sud ou du Sud-Est entraînerait une augmentation importante des demandes d’asile, sans parler des changements climatiques et des désastres naturels qui peuvent frapper la région.

Pour toutes ces raisons, l’institut Lowy appelle l’Australie à reconsidérer sa politique et à jouer un rôle véritablement exemplaire pour le reste du monde : « Le fait que l’Australie n’est actuellement pas confronté au défi d’une arrivée massive de bateaux ou de demandeurs d’asile est une autre raison pour qu’elle s’engage. Comme les Australiens l’ont appris ces dernières années, il n’y a aucune volonté politique de se concentrer sur une solution à long terme lorsqu’on est au milieu d’une crise des réfugiés. Et c’est pourquoi l’Europe a besoin que l’Australie conceptualise, propose et conduise aujourd’hui les réformes nécessaires. » D’autant que l’Australie a joué un rôle essentiel dans l’application de la Convention de 1951 sur les réfugiés et l’asile, et qu’elle a eu des pages plus glorieuses en la matière.

Des mouvements citoyens se mobilisent aussi, comme « I have a room » et, à l’instar de la Plateforme citoyenne, propose à des gens d’accueillir des réfugié.e.s chez eux.


Un problème mondial

N’en déplaise à la Pologne, à la Hongrie, à la N-VA et à tous ceux qui pensent que la crise des réfugié.e.s peut se régler avec des murs et des politiques « fermes mais humaines », aucun pays ne peut régler seul une crise mondiale, que les conflits croissants et les dérèglements climatiques ne font qu’accroître. La focalisation du discours politique sur la question migratoire est un leurre, au sens premier du terme, un piège pour détourner l’attention ; l’argent public qui est consacré à cette chasse est gaspillé et ne produit aucun résultat à long terme, sans parler du fait qu’il est utilisé pour le non-respect des engagements internationaux que nous avons signés.

Vouloir comme certains réguler la migration pour n’accepter chez nous que la crème est scandaleux : c’est s’assurer que le problème ne sera jamais réglé à la source, si on prive ces pays des élites dont ils ont besoin pour assurer leur développement.

Une politique mondiale, comme le développe l’institut Lowy, repose sur quelques principes : d’abord, la relocalisation des réfugiés, afin de répartir la charge entre plusieurs pays favorisés. Mais le plus important est bien entendu de consacrer l’argent, aujourd’hui englouti à perte dans des murs et des accords avec des régimes indignes, à la reconstruction de ces pays, afin que leurs ressortissant.e.s n’aient plus besoin de les fuir, et que celles et ceux qui en sont parti.e.s puissent y retourner. L’argent doit aussi être investi dans les pays plus pauvres mais en paix, qui peuvent accueillir ces réfugié.e.s – pas dans des camps de concentration.

Et puis, il faut le rappeler encore et encore : les réfugié.e.s n’ont pas envie de venir en Europe. Ils et elles ne sont pas les soldats d’une armée d’invasion. Ce sont des hommes, des femmes et des enfants qui cherchent à sauver leur peau en prenant d’énormes risques et en perdant tout. Nous avons toutes et tous intérêt et envie qu’il n’y ait plus de réfugié.e.s : celles et ceux qui les aident, celles et ceux qui les détestent, et surtout les réfugié.e.s.


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