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Cerveau littéraire

«Un homme qui n’aurait vécu qu’un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison. Il aurait assez de souvenirs pour ne pas s’ennuyer.» Telle est l’étonnante sagesse à laquelle accède Meursault, le personnage solaire de L’étranger de Camus. C’est une autre manière de dire que le souvenir nourrit l’imagination et que celle-ci permet de tuer le temps ou d’écrire des livres. Ou encore, de rappeler cette évidence, qu’il n’y aurait aucune œuvre sans l’extraordinaire alchimie qui se produit dans notre cerveau. Des images parfois floues, des mots parfois déformés, des sons parfois brouillés, des souvenirs plus ou moins précis… tous les ingrédients qui permettent aux écrivains de construire une réalité ô combien plus cohérente que celle dans laquelle nous sommes contraints de vivre, mieux organisée, sans temps mort ni événements inutiles ou insignifiants ! Mais ce cerveau peut connaître de dramatiques accidents. Parmi ceux-ci, il en est un qui a pris une place particulière en littérature : le Locked-In Syndrome. Cette pathologie qui n’a été sérieusement diagnostiquée que récemment consiste en une paralysie totale, longtemps confondue avec un comas privant le sujet de sa conscience. Or, il n’en est rien : les dégâts de la thrombose se situant dans le tronc cérébral, «seuls» les membres sont touchés, tandis que le sommet fonctionne parfaitement. La vue, l’ouïe, l’odorat. Et la pensée. Seuls les yeux peuvent bouger, mais cela suffit pour établir une communication – laborieuse, certes, et que de nouvelles techniques, notamment informatiques, ont permis d’améliorer. Le grand public en a pris conscience après la sortie du film «Le scaphandre et le papillon» de Bauby, inspiré du récit éponyme dans lequel l’auteur, atteint du LIS, raconte son histoire. Un livre écrit par clignements d’œil… Il y en a eu d’autres ensuite, plus ou moins réussis d’un point de vue littéraire — une expérience tragique ne suffit pas pour faire un «bon» livre. Et Bernard Werber s’est emparé de l’idée pour un de ses meilleurs romans, «L’ultime secret», dont le héros est lui aussi «enfermé». Mais cette actualité ne doit pas effacer le fait qu’une fois encore, la littérature a été largement en avance sur la science. En effet, dès 1845, Alexandre Dumas décrit, à travers Noirtier, un cas de Locked-In Syndrome, dans Le Comte de Monte-Christo. Noirtier, l’ancien révolutionnaire bonapartiste et père d’un procureur du roi aux opinions totalement opposées aux siennes, se retrouvera paralysé totalement. Mais son fils, et plus encore sa petite-fille, comprennent qu’il est resté conscient. Valentine développe avec lui un système de communication qui est exactement celui que des médecins mettront au point plus d’un siècle plus tard, et grâce auquel Noirtier, bien que réduit au plus triste état, sera l’un des personnages les plus actifs et les plus conscients de cet extraordinaire roman. Tenez, cela me permet de vous parler encore du livre audio: j’en ai écouté cet été une lecture magnifique et intégrale (il faut partir loin, car c’est long!), réalisée par Eric Herson-Macarel chez Livraphone.

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