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Être loyal ; l'autre nom de la bêtise ?



Parmi les qualités qui définiraient l’individu idéal, homme ou femme, la loyauté occupe sans aucun doute une des premières places. Elle s’inscrit dans la réalité qui veut que l’humain soit un animal grégaire, qui éprouve d’énormes difficultés à vivre en solitaire. Socle de la vie sociale, elle semble la condition d’une interdépendance sereine, au moins au sein du groupe, et embrasse des notions aussi fortes et constituantes que celles de culpabilité ou de responsabilité. Ceux qui, à l’instar de Iago dans Othello, prôneraient ouvertement la déloyauté seraient aussitôt montrés du doigt et blâmés.


Pourtant, si l’on pousse l’examen plus loin, la loyauté est-elle vraiment une qualité sans tache et indispensable ? Elle n’est jamais reprise comme une vertu, ni par le judaïsme ou le christianisme, ni par la maçonnerie, ni même par le scoutisme, mais elle est présente dans l’ombre de nombreuses de ces vertus et occupe une place centrale dans l’islam. Le Robert la définit comme « caractère loyal, fidélité à tenir ses engagements, à obéir aux règles de l’honneur et de la probité. » Comme synonymes, on trouve « droiture », « honnêteté », « fidélité ». Un regard loyal est un regard qui ne cache rien, qui ne triche pas, qui ne cherche pas à berner. À telle enseigne, nous voudrions tous être qualifiés de loyal…


Le mot vient du latin « legalus », qui siginifie « légal ». Être loyal, c’est respecter les règles, les codes, les principes de la vie commune. Logiquement, la loyauté semble indissociable d’une certaine hiérarchie, voire d’une hiérarchie certaine. Elle est fondée sur un lien de dépendance et, dans la réalité des faits, on sera plus souvent loyal envers une personne ou une entité supérieure que le contraire. Bien sûr, la loyauté devrait supposer la réciprocité ; mais le contrôle de cette loyauté (la confiance n’empêche pas le contrôle…) est plus facile lorsqu’on l’exerce à l’égard d’un subalterne – et que dire de la sanction en cas de déloyauté ! Tout le système féodal et la vassalité sont construits sont le principe de loyauté, sans laquelle une telle organisation ne pourrait pas fonctionner. Il en va de même pour la mafia ; les membres d’une famille jurent d’être loyaux, fidèles, féaux… Leur allégeance s’accompagne d’une protection assurée par les autres membres du clan, et en particulier le chef de famille (dans la mafia) ou le suzerain (dans la féodalité). On le retrouve dans certaines entreprises, où il faut partager « l’esprit d’entreprise » au risque d’être licencié. Mais dans ce cas, les employés savent très bien (ou du moins le découvrent-ils cruellement lorsqu’ils en sont victimes), cette loyauté est à sens unique.


A contrario, les armées de mercenaires ne sont pas recherchées pour leur loyauté mais pour leur efficacité, et leur fidélité se mesure à l’aune de l’argent qu’on leur offre pour remplir leur mission.


Mais on ne peut pas imposer à quelqu’un d’être loyal, en quoi la loyauté se distingue de la simple obéissance. C’est là que le mot prend ses distances avec la simple « légalité ». La déloyauté conduit rarement à une condamnation pénale… La loyauté est donc une soumission volontaire, un choix individuel posé en fonction de valeurs personnelles auxquelles on est fortement attaché. Et cet élément est important : on est d’abord loyal à soi, à une certaine image que l’on a de soi et que l’on souhaite faire valoir auprès des autres.


Les nouveaux héros

Nous véhiculons tous, consciemment ou non, un modèle de société idéale où de telles valeurs prédominent. Il est amusant aussi de remarquer qu’un des domaines où le concept de loyauté est ouvertement utilisé concerne la publicité et le commerce, où l’on parle de « pratiques déloyales ». La Suisse appelle l’organisme chargé de contrôler les publicités la « Commission Suisse pour la Loyauté ». Et dans un article sur « La Réglementation de la publicité », René Plaisand précise (en 1968 déjà) les trois cas principaux dans lesquels une « publicité est contraire au principe de loyauté », à savoir la confusion, le dénigrement et la comparaison, le mensonge. Depuis, la publicité comparative a été autorisée dans une certaine mesure. Cependant, les cas où ces commissions interviennent pour suspendre ou faire modifier des campagnes publicitaires sont assez rares et concernent davantage des publicités agressives ou sexistes que strictement « déloyales », bien qu’évidemment le sexisme s’apparente à une forme particulièrement détestable de déloyauté.


Mais peut-on pour autant dire que le héros contemporain est un « Monsieur Loyal », ou ce dernier n’est-il plus bon qu’à présenter des numéros de cirque et faire prendre des vessies pour des lanternes ? Dans la dernière saison de Dexter, la psychiatre interprétée par Charlotte Rampling explique à Dexter (qui est, pour ceux qui l’ignorent, un psychopathe tueur en série, et nonobstant ce fait employé par la police criminelle en tant qu’expert en analyse des taches de sang, ayant réussi à canaliser ses pulsions contre des criminels qui échappent à la justice) que les psychopathes appartiennent à une espèce supérieure, grâce à laquelle l’humanité a connu ses plus grandes évolutions. Elle précise sa pensée : Les meilleurs chefs d’entreprise ou responsables politiques ont certaines caractéristiques de psychopathe.


Fichtre… Certains diront qu’elle n’a pas tort : Donald Trump, Erdogan, Kim Il-Sung, Poutine, Orban, Le Pen ; la liste des responsables politiques auxquels on pourrait coller certaines caractéristiques psychopathologiques semble longue. Et ce qui est certain, c’est qu’un psychopathe ne peut pas faire preuve de loyauté, sinon à lui-même et à sa folie.

Mais doit-on, peut-on être loyal en politique ? On aimerait croire que oui, et certain(e)s le sont sans aucun doute. Ce ne sont pas celles et ceux dont on parle le plus… D’autres encore affichent la loyauté comme valeur suprême, à l’image de Frédéric Lefebvre, député Les Républicains des Français à l’étranger (USA et Canada), qui a d’abord voulu concourir aux primaires de la droite avant d’apporter son soutien à Juppé pour, après la victoire de Fillon, publier un article sur le site du Huffingtonpost dans lequel il défend l’idée « qu’en politique la loyauté n’est pas une option, elle est un devoir ». Il précise même courageusement : « La loyauté ne doit pas se réduire à des déclarations d’intention. Elle doit se traduire dans les actes. Elle interdit les double discours et la duplicité des attitudes. » Ajoutons cependant, pour replacer ces déclarations dans leur contexte, que Lefebvre avait vu son investiture comme candidat LR mise en question par Sarkozy et que Fillon avait promis de la lui rendre à condition qu’il affiche un soutien sans faille à son égard….


Admettons que Frédéric Lefebvre (à ne pas confondre avec son quasi homonyme Frédéric Lefebvre-Naré, responsable du programme présidentiel de Jean Lassalle) soit loyal et désintéressé ; dans ce rôle, il aurait un peu des allures de dernier des Mohicans. Loyal, Macron qui gouverne dans l’équipe de Hollande pour la quitter au bon moment et faire campagne « contre » ce qu’il a soutenu ? Loyal, Valls qui soutient Macron alors qu’il s’est engagé à soutenir « loyalement » le candidat choisi par la primaire socialiste ? Loyal, Fillon qui se présente en Père de Vertu et qui maintient sa candidature alors qu’il avait promis de se retirer s’il était mis en examen ? Loyal, Marine Le Pen qui ment sur sa déclaration de patrimoine et détourne l’argent de l’Europe ? Loyaux, les ténors du MR, du PS et du CDH qui s’empressent de faire le contraire de ce qu’ils disent et qui ont couvert les comportements pour le moins déloyaux des mandataires des intercommunales ?

Celui qui me paraît le plus loyal dans la campagne française, Benoit Hamon, n’a sans doute aucune chance d’être qualifié pour le deuxième tour (sans parler d’un Philippe Poutou qui paraît d’une totale loyauté, sous réserve d’inventaire). Peut-être peut-on en dire autant de Jean-Luc Mélenchon, même si sa lecture de la guerre en Syrie est singulièrement déloyale vis-à-vis de ces peuples qu’il veut défendre (lire entre autres ceci). Toujours est-il que ce n’est décidément pas un argument pour briller et triompher en politique ; Donald Trump est, de ce point de vue, le parangon de la déloyauté tous azimuts.


« Celui qui me vole mon argent… »

Lorsqu’il se prépare à faire tomber Othello dans le piège du « monstre aux yeux verts » de la jalousie, Iago exalte l’honneur et la bonne réputation : « La bonne renommée pour l’homme et pour la femme, mon cher seigneur, est le joyau suprême de l’âme. Celui qui me vole ma bourse me vole une vétille : c’est quelque chose, ce n’est rien ; elle était à moi, elle est à lui, elle a été possédée par mille autres ; mais celui qui me vole ma bonne renommée me dérobe ce qui ne l’enrichit pas et me fait pauvre vraiment. » Ce disant, il ne croit pas un mot de ce qu’il professe. Sa bonne renommée, sa loyauté et son honneur sont des leurres qu’il agite devant les yeux de celui qu’il veut berner. Nous avons tous croisé de ces gens qui se prétendent avec force nos amis et s’empressent de nous tromper ; de ces êtres passionnés qui jurent leur amour absolu pour nous et s’appliquent à nous faire tant souffrir ; de ces individus qui promettent de se mettre à votre service (ou à celui de la société) et ne font rien d’autre que de servir de vous (ou de la société). Dans ces trois exemples, le petit mot important est « et ». C’est ce que Clément Rosset, dans son essai sur Le réel et son double, appelle « la perception inutile ». S’il s’agissait d’un « mais », on pourrait détecter un déchirement de conscience, une contradiction tragique. « Je suis ton ami maisj’ai dû te trahir », cela peut signifier que des circonstances impérieuses, déchirantes, m’ont obligé à cette trahison, dont je mesure combien elle va à l’encontre de l’amitié que je te porte. Mais « je t’aime et je te fais souffrir » suppose une « perception juste qui s’avère impuissante à faire embrayer sur un comportement adapté à la perception ». Être ami, aimer, servir supposent des actes qui ne peuvent contredire l’amitié, l’amour et le service.


Autre manière de dire que la loyauté sans réciprocité est une catastrophe, voire une tare. On ne peut pas être loyal seulement à soi-même. Celui qui l’est et qui exige des autres qu’ils prouvent leur loyauté envers lui sans réciprocité est un salaud, voire un criminel. C’est Iago, Valls et tant d’autres. Mais celui qui l’est et se satisfait des protestations de loyauté de ceux qui l’abusent est un imbécile.


Concrètement, pour ce qui est de la politique et du service, de trop nombreux candidat(e)s et responsables politiques nous ont prouvé qu’ils n’avaient aucune loyauté ; si nous continuons à leur accorder notre confiance et nos voix, nous serons les premiers responsables des désastres futurs. Peut-être faut-il chercher du côté de la pensée libertaire, et celle de Camus en particulier, la clé d’une loyauté réelle : être solitaire et solidaire à la fois. Ne rien attendre d’autrui mais prendre tout ce qui vient comme un cadeau inespéré. N’avoir besoin de personne mais être disponible pour tous, sous condition de réciprocité.


Quant à l’amitié et à l’amour, je laisse chacun juge de ses actes…

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