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Le Monde d'Asmodée Edern



Asmodée Edern est un de mes plus vieux personnages. Il est apparu dans un roman écrit un peu avant mes 20 ans, en même temps que cet « alter ego » de Baptiste Morgan. Le roman s’intitule Feux d’eau et, je vous rassure, il ne sera pas publié. Deux parties en miroir, une dominée par l’eau, l’autre par le feu.


Asmodée est un démon, dans la Bible. Démon de la colère, démon exterminateur… Sa présentation n’en fait pas un personnage sympathique! Moi, je l’ai choisi pour son nom, et j’en ai fait un démon d’un tout autre genre. Éternel, bien sûr, comme l’indique le nom de famille que je lui ai associé.

Et je l’ai aussi élu parce que, depuis cette époque, je suis en colère contre Dieu… Asmodée, comme vous le lirez plus bas, est devenu une de mes voix pour exprimer cette colère.

Asmodée est présent dans la partie « liquide » du roman ; dans la partie « brûlante », il est remplacé par celui qui allait devenir non pas son double, mais son pseudonyme ou son avatar : Thomas Reguer. « Reguer », celui qui dirige… mais sans jamais rien imposer.


Il est revenu ensuite dans une nouvelle, « Des traces de peur », publiée dans le recueil La vie malgré tout. Il s’y retrouve inspecteur de police à la retraite, aidant un jeune collègue décontenancé par la mort singulière de la jeune et jolie Sarah.

Et puis, il a resurgi dans Retour à Montechiarro et n’a plus quitté cet univers toscan, pour en devenir le fil rouge. Non pas le démiurge ; Asmodée apparaît dans le destin des êtres qu’il choisit non pour les aider d’un coup de baguette magique, pour leur indiquer que la vie pourrait être différente de ce qu’ils ou elles imaginent. Normalement, il n’intervient qu’une fois : c’est ce que constate avec regret la flûtiste Candice Elenord, lorsqu’elle rencontrera Baptiste Morgan à Venise, en 1980 (dans Les Absentes). Une exception à cette règle : Alba Malcessati et sa fille Lætitia, pour lesquelles il nourrit une profonde affection.


Un jour, je publierai « son » livre, dans lequel il raconte sa genèse et son combat contre Dieu. Je peux cependant vous en confier ici le prologue :


Au commencement, était le Mal, est le Mal était avec Dieu et le Mal était Dieu. Plus intime que sa pensée la plus intime, plus lié à Dieu que le souffle ou la puissance, le Mal était en Dieu et a collaboré à toute création. Il a façonné la vie, l’a pétrie de force terrible, il a fait de la vie le reflet des ténèbres où les hommes devraient se débattre pour le plus vif délassement divin. Moi, je peux le dire et le redire, et l’écrire et le hurler aux vents du monde et du néant ! Moi, Asmodée l’éternel enchaîné au désert, calomnié, j’ai dénoncé l’imposture et j’acquitte le prix de cette audace comme le feront tous ceux qui, ici ou là, hier ou demain, dévoileront l’horrible nature de Dieu, quelle que soit l’apparence qu’il a prise pour séduire les hommes. Car les hommes sont fragiles et ont soif de réponses apaisantes, sans regard pour le prix dont ils doivent s’acquitter. Dieu se moule à l’image de leurs peurs et de leurs désirs, et ainsi se les attache. Ils payent de leur liberté et de leur vie, et se font rembourser en monnaie de singe !
Je m’appelle Asmodée, Asmodée Edern, qui jamais n’abandonnera la lutte contre l’Imposteur et pour les hommes, malgré les hommes. Sous l’influence divine, ils m’ont traité de démon – démon de la colère ou de la luxure, toujours une théorie viendra me calomnier et ruiner mon crédit auprès de ceux que j’essaie de sauver. Ils ne veulent pas de la paix parce qu’ils en ont peur, ils fuient le bonheur parce qu’On leur a fait croire qu’il coûtait toujours trop cher. Et quand vient le moment du décompte, le bonheur est enfui et les hommes sont de frêle mémoire, qui ne considèrent que leur malheur présent. Mais je le sais, moi le supposé démon de la colère, qu’au plus profond d’eux sommeille un enfant qui aspire à la joie et qu’ils finissent par tuer ! Je viens en eux, je les secoue, je les bouleverse et c’est pourquoi ils me diabolisent sur les conseils du Grand Anesthésiste. Je les force à rendre gorge de cette meilleure part d’eux-mêmes. Et quand j’y parviens, quand l’être libéré réussit à maintenir ardente cette tension exigeante et magnifique, quand il ne se laisse pas rattraper par les armées insidieuses de Celui qui se veut tout-puissant et unique, alors, dans l’ombre de ce destin qui se découvre et s’assume, je savoure cette victoire et me garde bien d’encore apparaître. Car, contrairement à Lui, j’ai horreur des louanges, des prières, des actions de grâce et des actes de contrition. Je ne donne rien : je donne à être. Et si c’est être démoniaque, vivent les démons !
Le père de Sara, par exemple. Un être peu recommandable, tout entier soumis à ce Dieu exécrable. Par force, il voulut contraindre, par sept fois, sa pauvre fille à des noces auxquelles elle se refusait. Son cœur ne voulait pas s’offrir à un inconnu. Par sept fois, je l’ai délivrée. Infinie fut la rage de Dieu ! Il dépêcha pour me combattre le plus fourbe des anges, Gabriel, qui ferait croire à un âne qu’il est digne de gouverner le monde. Ils choisirent comme instrument le bon Tobie, un gentil garçon sans doute, mais faible et ignorant. Ils lui enseignèrent de vulgaires tours de magie que le simple prit pour la manifestation de la gloire et de la puissance divines. Les lâches connaissent mes faiblesses : je n’ai jamais su frapper un innocent. Tobie n’a eu aucune peine à me circonvenir, et il ignore toujours qu’il ne doit sa victoire qu’à mon refus de vaincre.
Ce que l’on a écrit à ce propos, dans ces pages grotesques tissées d’inepties et que les hommes esclaves vénèrent comme la juste parole du Seigneur, me remplit de colère et de dégoût. Jamais ce freluquet d’archange n’aurait pu me soumettre et m’enchaîner ! C’est moi qui suis parti, de mon plein gré, pour le désert, celui de haute-Égypte d’abord – mais pour un temps seulement. J’en voulais à l’homme d’être si dupe, à si bon compte. J’en voulais, c’est vrai, à la belle Sara de trouver un semblant de bonheur aux côtés de ce béni-oui-oui de Tobie. Pendant quelques siècles, j’ai ruminé ma déception plus que ma colère. Sara et Tobie n’étaient plus qu’un peu de cendres mêlées au sable. Pendant tout ce temps, le Mal s’était répandu, Dieu avait étendu son pouvoir et son royaume, prêt à toutes les métamorphoses pour s’adapter aux goûts de ses proies – multiple et bon-vivant pour les Grecs, auxquels Il reprochait toutefois de Le traiter avec légèreté, unique et terrible pour les Juifs dont il adorait la ferveur et la soumission devant ses innombrables caprices. Jamais je n’aurais dû m’absenter aussi longtemps… Je n’étais plus, dans la conscience humaine – un bien grand mot pour une aussi frêle lumière – que le suppôt du mal et de la luxure… « Le jour où le crime se pare des dépouilles de l’innocence », écrira plus tard un des rares hommes à avoir débusqué aussi impitoyablement la divine imposture, « c’est l’innocence qui est sommé de fournir ses justifications. » Que me restait-il, que pouvais-je encore espérer ?
Mais mon opiniâtreté me tient lieu d’une patience que je n’ai pas toujours, et mon impatience s’unit à ma colère pour nourrir ma force et ma volonté. Dieu triomphait, Dieu me croyait à jamais vaincu. Sans doute m’avait-Il oublié. J’allais ressurgir. J’allais, en me servant de cette illusion qu’il avait fait admettre aux hommes comme vérité dévoilée, revenir parmi le siècle et obtenir la plus éclatante des revanches, qui à jamais mettrait un terme à Sa suprématie. Je le réduirais à un article de bazar pour dépressifs impénitents et jouisseurs de l’extatique souffrance ! Je ridiculiserais un à un les lois absurdes et les articles de foi ineptes ! Et je révélerais aux hommes et aux femmes qu’ils n’ont de compte à rendre qu’à eux-mêmes, qu’ils sont seuls responsables de leur bonheur et de leurs malheurs.

J’ajouterai bientôt ici des éléments nouveaux, à commencer par la question épineuse : « À quoi peut bien ressembler Asmodée Edern ? »

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