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#metoo & #balancetonporc : sexualité et point médian

Dernière mise à jour : 6 nov. 2023



Le débat sur les hashtags « metoo » et « balancetonporc » ne faiblit pas. Le texte de certaines femmes revendiquant la liberté d’être importunées a jeté de l’huile sur le feu, c’est le moins qu’on puisse dire. Parallèlement, la tension monte aussi sur la question de l’écriture inclusive… La raison se trouve-t-elle au milieu, comme le point médian ? Pas forcément.


La presse en général et le Soir en particulier se sont abondamment fait l’écho de ces polémiques souvent virulentes. Les signataires de la carte blanche, parmi lesquelles on cite toujours Catherine Deneuve, sont-elles les agentes d’un machisme et les complices d’une soumission, ou défendent-elles une autre forme de féminisme et la liberté de la séduction ? Les avis les plus contraires se sont affrontés et je ne vais pas refaire le débat. Disons simplement que je partage entièrement l’avis de Raphaël Glucksmann quand il dit: « Comme dans tout mouvement qui bouscule une société, il y a des risques. Mais s’inquiéter de (potentielles) dérives puritaines plus que des faits (massifs et bien réels, eux) mis en cause, voilà le signe d’un attachement pour le moins critiquable à un ordre patriarcal que je suis ravi quant à moi de voir ainsi ébranlé. Par des mots et non des armes. » Mais je rejoins aussi Jacques De Decker qui, dans une récente chronique parue dans Le Vif, rappelle que l’actrice avait signé en 1971 le Manifeste des 343 salopes pour la légalisation de l’avortement, soutenu Handicap International dans son combat contre les mines antipersonnelles et appelé publiquement à la libération de la journaliste Françoise Aubenas.

Sur la question du hashtag #balancetonporc, j’avais évoqué le risque principal qui me semblait en jeu : transformer les réseaux sociaux en tribunaux. Mais le mouvement initié par les actrices américaines, Time’s Up, est la magnifique résolution de cette éventuelle inquiétude : une dénonciation doit pouvoir déboucher par une plainte à la police, et le mouvement entend le permettre (et le financer) pour toutes les femmes victimes de harcèlement, d’attouchement ou de viol, quelle que soit sa position sociale. Le mouvement de dénonciation qui a précédé et qui continue aura, lui, eu l’effet salvateur d’un avertissement que la société ne pourra plus prétendre ignorer : certains comportements sont inacceptables et ne doivent plus être tolérés, en particulier par cette forme d’omerta qui prévaut dans trop de milieux professionnels.


Tous des porcs ?

Dans sa dernière chronique, Jean-François Kahn s’inquiète du « totalitarisme » puritain qui serait en train de se mettre en place. Peu sensible à ses propres contradictions, il n’hésite pas à déclarer d’un côté que les hommes n’osent plus prendre la parole, pour affirmer deux paragraphes plus loin que « seuls les hommes ont droit au pluralisme. » Les cent signataires de la carte blanche n’ont jamais été interdites d’expression ; le pluralisme, à l’évidence, existe autant du côté des femmes que du côté des hommes. Ce qui ne signifie pas qu’il faille accepter toutes les opinions sans discuter.

Je n’ai jamais craint, ni hier, ni aujourd’hui, ni demain, que désormais l’idée prévaudra que tous les hommes sont des porcs et des prédateurs en puissance. C’est ridicule, tout simplement. On pourrait alors rappeler que les femmes peuvent être aussi des prédatrices et que certaines n’ignorent pas ce que le charme peut procurer comme force pour profiter de la faiblesse de certains hommes. À ce propos, je trouve particulièrement remarquable le postambule de La déclaration de la femme et de la citoyenned’Olympe de Gouge, femme remarquable qui s’est battue jusqu’à l’échafaud pour l’égalité des femmes à l’heure de la Révolution française, laquelle prônait une égalité et une liberté pour les seuls citoyens : « Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n'avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? […] Quelles que soient les barrières que l'on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n'avez qu'à le vouloir. Passons maintenant à l'effroyable tableau de ce que vous avez été dans la société ; et puisqu'il est question, en ce moment, d'une éducation nationale, voyons si nos sages Législateurs penseront sainement sur l'éducation des femmes.

Les femmes ont fait plus de mal que de bien. La contrainte et la dissimulation ont été leur partage. Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a rendu ; elles ont eu recours à toutes les ressources de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. Le poison, le fer, tout leur était soumis ; elles commandaient au crime comme à la vertu. Le gouvernement français, surtout, a dépendu, pendant des siècles, de l'administration nocturne des femmes ; le cabinet n'avait point de secret pour leur indiscrétion ; ambassade, commandement, ministère, présidence, pontificat, cardinalat ; enfin tout ce qui caractérise la sottise des hommes, profane et sacré, tout a été soumis à la cupidité et à l'ambition de ce sexe autrefois méprisable et respecté, et depuis la révolution, respectable et méprisé. »

Bien entendu, la situation a évolué ; mais nous sommes toujours, peu ou prou, dans une société patriarcale où les comportements des femmes sont dictés par des habitudes imposées par les hommes et « leur sottise ». « On ne naît pas femme, on le devient » : les premiers mots du Deuxième sexede Beauvoir n’ont rien perdu de leur force.


La sexualité sauvage

Dans leur tribune, les cent femmes en colère écrivaient : « la pulsion sexuelle est par nature offensive et sauvage ». C’est mine de rien la clé de voûte de toute leur argumentation. Si la pulsion sexuelle est offensive et sauvage, au nom de la liberté sexuelle, il faut effectivement défendre le droit d’être importunée (notons qu’il faudrait alors aussi défendre celui, pour les hommes, d’être importuné, ce que personnellement je trouve insupportable). Mais outre que la sexualité ne se limite pas à la pulsion, l’assertion est plus que discutable. La sexualité humaine, justement, n’est pas, « par nature », offensive et sauvage. On pourrait même contester que la sexualité animale le soit ; dans de nombreuses espèces, elle est entourée d’un rituel extrêmement précis où la femelle joue un rôle déterminant.

La sexualité humaine est éminemment culturelle et complexe. Pour paraphraser les auteures de la tribune, disons que « la pulsion sexuelle est par culture généreuse et civilisatrice. » Elle ne se limite pas à l’offensive et n’est pas toujours « sauvage », tant s’en faut. Elle peut l’être, entre adultes consentants, dans une « sauvagerie » partagée, réciproque et acceptée – pour laquelle, non, il ne faudra jamais obtenir la signature d’un contrat préalable ; arrêtons d’opposer des fantasmes grotesques à des revendications de justice et d’égalité fondées…

Dans une relation amoureuse, chaque partenaire doit pouvoir dire « non » et être entendu.e et respecté.e dans son refus. Le cas que décrit cet article du New York Times, d’une femme qui a reproché à un homme de ne pas avoir compris ce qu’elle ne disait pas, est absurde et Margaret Atwood, l’auteure de « La servante écarlate » qui raconte l’établissement aux USA d’une dictature fasciste et puritaine, a raison de rappeler que les femmes ne sont pas des enfants qu’il faut protéger comme on le faisait au dix-neuvième siècle.

Bien sûr, comme le rappelle aussi Jacques De Decker dans sa chronique, Holywood, d’où est parti le scandale, a aussi « sa part d’ombre » : toute cette industrie du cinéma pornographique qui déferle aujourd’hui sur tous les ordinateurs et donne, aux plus jeunes, une image tronquée d’une sexualité violente et « sauvage », dégradante et humiliante, confortant et propageant les pires clichés sur les femmes. Pour l’écrivain et secrétaire perpétuel de l’Académie de langue et littérature, « Il ne faut pas chercher ailleurs la régression comportementale de l’Occidental sur le plan de l’érotisme, cette approche civilisée de la sexualité qui est au contact des corps ce que la cuisine digne de ce nom est au bourrage d’estomac, à savoir une autre forme de sophistication des instincts. »

Qui, à part des fous comme Donald Trump, estime que la disparition de la torture a déforcé le travail de la police ? Qui défendrait l’idée que la lutte contre le harcèlement au travail rend les entreprises moins performantes ? Qui, autrement dit, ne voit pas que la société dans son ensemble ne peut que bénéficier de la mise en place de règles et d’habitudes grâce auxquelles chacune et chacun se sent reconnu.e et protégé.e ? À terme, un tel climat ne pourra que rendre les jeux de la séduction plus raffinés, plus attractifs, plus désirés… et signer le retour de l’érotisme contre la pornographie.


Et l’écriture inclusive ?

Faut-il, pour autant, adopter l’écriture inclusive, comme je le fais dans ces chroniques ? Cet usage en hérisse plus d’un.e et il n’est pas rare de lire des commentaires selon lesquels leurs auteur.e.s auraient arrêté la lecture au premier point médian (notez que je n’utilise que le point traditionnel, mais je suis un paresseux). À celles et ceux qui prétendent cela (en majorité des hommes), laissez-moi simplement répondre ceci : vuos êstes praftiameent cpbalaes de lrie ccei. Le cerveau, pendant la lecture, ne fait pas du lettre à lettre ; autrement dit, le point médian n’est objectivement pas une gêne pour la lecture. S’il l’est, c’est parce qu’il éveille une autre peur, un autre malaise. Son rejet est sans doute le signe de réflexes profondément (et culturellement) inscrits en nous, qui sont autant d’obstacles à la mise en place d’une véritable égalité entre hommes et femmes.

Bien entendu, je peux parfaitement comprendre les objections qu’on lui adresse, comme celles que détaille de manière plutôt convaincante l’écrivaine Sabrina Matrullo. Je ne suis pas d’accord avec tous ses arguments (et la référence à l’Académie française, en cette matière comme en d’autres, est assez ridicule, quand on sait combien ce musée poussiéreux est la chambre de résonance des idées les plus rétrogrades), mais certains sont fondés. Soyons francs : je n’utiliserai jamais l’écriture inclusive dans un roman, et pas seulement parce que mon éditeur s’y opposerait. Pourquoi ? Parce que l’écriture inclusive est un geste symbolique qui s’applique à des textes de communication courts. Mon université a décidé de la pratiquer dans tous ses documents officiels, et lorsque je m’adresse à mes étudiant.e.s, je m’efforce de la respecter scrupuleusement. Et lorsque j’ai une infime minorité de garçons dans un groupe de filles, je leur annonce que le féminin l’emportera. Cela ne pose aucun problème.

Ne faudrait-il pas d’ailleurs tenter le pendant de l’expérience que Jane Elliott a menée dans des classes pour désamorcer le racisme ? Confronter des jeunes garçons (et des moins jeunes…) à la règle du « féminin qui l’emporte », ne serait-ce que pendant quelques heures…

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