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Les résistibles ascensions


« Laissez-les vous traiter de racistes, de xénophobes. Portez-le comme un badge honorifique », a lancé Steve Bannon, l’ancien conseiller du président américain lors du congrès du Front National français. L’homme rêve de lancer un mouvement populiste mondial. Populiste et d’extrême droite. Il y a malheureusement quelques chances que son rêve devienne le cauchemar de notre réalité.


Bannon ne représente sans doute, en lui-même, qu’un danger minime : cet histrion est tellement incompétent qu’il a même été licencié par Donald Trump. Mais son discours a l’intérêt de pointer certaines lignes de force dans la mouvance populiste d’extrême droite et d’offrir un état des lieux. Lequel est plutôt inquiétant.

Tout d’abord, il a donné la liste des têtes de pont de cette internationale fasciste : la France des Le Pen (pas encore celle du gouvernement), l’Italie de Salvini (qui n’est pas encore au gouvernement), la Hongrie de Orban et la Pologne de Kaczynski (qui hélas sévissent depuis longtemps), et la Trumperie de Donald. On le savait, ce n’est pas un scoop. Des pays qui vivent la question migratoire de manières pourtant très différentes ; mais dans chacun, cette question pèse de façon démesurée dans le débat politique et, pire, dans les résultats des scrutins.

La Hongrie et la Pologne représentent l’attitude de l’Europe centrale où une majorité de pays, jadis sous la coupe soviétique, n’ont depuis la chute du mur été que très relativement, voire très brièvement, pleinement démocratiques. Leur entrée dans l’Union européenne a été précipitée pour des raisons de politique internationale, et ils s’y sont précipités pour des raisons économiques. Dans la plupart de ces pays, y compris l’Allemagne de l’Est, il n’y a pas eu une réflexion approfondie sur le passé de la guerre : le gouvernement fasciste de certains, comme la Hongrie, l’antisémitisme généralisé et rarement reconnu. Aujourd’hui, la Pologne entend faire un crime de la mention que les Polonais ont collaboré à la mise en œuvre de la Shoah et l’on ne peut plus dire ou écrire qu’Auschwitz était un camp polonais. Déjà en 1995, Walesa avait réussi à ne pas prononcer le mot « juif » lors des commémorations de la libération des camps.

Dans ces pays plus qu’ailleurs encore, les réfugié.e.s et les migrant.e.s sont perçu.e.s exclusivement comme une menace qu’il faut combattre pour défendre l’Europe « blanche et chrétienne ». Je ne reviendrai pas ici sur l’inanité d’un tel concept, je l’ai déjà dénoncé assez souvent. Ces gouvernements capitalisent leurs voix sur la peur entretenue contre les barbares et sur leur « courage » face à l’UE qui oserait leur imposer un quota de réfugié.e.s afin de répondre aux obligations internationales auxquelles, pourtant, ces pays ont souscrit, comme les autres.

À cause de l’attitude de pays comme la Hongrie et la Pologne, mais aussi à cause de l’hypocrisie des autres, à l’exception notoire de l’Allemagne lors du précédent gouvernement Merkel, l’Italie et la Grèce (et bientôt l’Espagne) se retrouvent dans une situation difficile – mais qui, là aussi, est exagérée et dramatisée. En 2016, au plus fort de la crise, l’Italie a accueilli 181.000 réfugiés ; Emma Bonino, l’ancienne commissaire européenne, ne sous-estimait pas ce chiffre mais elle avait eu le courage de le relativiser ; à l’échelle de l’Europe, la « vague » migratoire ne représente qu’une goutte. Et les chiffres de 2017 sont en forte baisse – ce que l’on entend rarement. Par ailleurs, la démographie négative de nos pays devrait elle aussi nous pousser à accueillir et intégrer au mieux ces migrants.


Cela dit, l’Italie et la Grèce doivent faire face à des chiffres dont l’importance s’explique uniquement par le refus des autres pays européens d’assumer leur part dans cette exigence humanitaire. Et le cynisme de dirigeants comme Orban réside dans le fait que son refus nourrit évidemment la montée de l’extrême droite en Italie et en Grèce. Il y a du calcul méprisable et répugnant dans l’attitude de la Hongrie et des pays voisins qui ferment leurs frontières ; ce n’est pas pour « protéger » leur pays et l’Europe, mais bien pour mettre à mal la démocratie dans les autres pays européens et favoriser les partis frères, populistes et xénophobes.


Les élections italiennes

Les résultats calamiteux des dernières élections italiennes trouvent une part importante de leur explication dans l’incurie européenne. Précisons : cette incurie n’est pas due à la « bureaucratie européenne » que vilipendent ces eurosceptiques, mais bien dans les gouvernements nationaux qui sont, presque tous, en train de prendre un virage nationaliste, protectionniste, contraire aux valeurs de la démocratie.

L’Allemagne a également connu l’entrée d’élus d’extrême droite dans le parlement. La France est aujourd’hui confrontée au cas particulier de Mayotte et des migrants comoriens. Elle envisage de renoncer au droit du sol en faisant de l’hôpital un lieu extraterritorial, pour éviter que les bébés de ces migrant.e.s reçoivent d’office la nationalité française. On peut considérer que c’est une gestion « saine » du problème ; c’est surtout une atteinte terrible à la Constitution. Or, la Constitution devrait être inviolable…

Encore et toujours, le cocktail fatal de l’impuissance, du cynisme et de l’irrationnel conduit le monde dans une impasse. Au lieu de souffler sur les braises de la haine, de la peur, du rejet, au lieu de dépenser des fortunes dans des murs et des politiques de rapatriement qui ne servent à rien et piétinent les valeurs sur lesquelles nos démocraties sont supposées être bâties, les gouvernements devraient appliquer une politique de coopération et internationale digne de ce nom, courageuse et efficace. Mais pourquoi le feraient-ils, alors qu’objectivement, cette crise des réfugiés est du pain bénit pour les germes de destruction que tous ces gouvernements ont accueillis en leur sein ? Ces élu.e.s populistes, voire d’extrême droite affichée, qui sont autant de chevaux de Troie dans nos parlements, de l’échelon communal à l’européen. Pendant que l’opinion se focalise sur cette question, elle s’occupe moins du reste, à commencer par les collusions puantes entre le politique et le monde des affaires ou de la finance – ce qui est sans doute la seule explication au récent scandale Veviba. Et chaque fois qu’un.e élu.e populiste ou d’extrême droite tape sur le clou de l’immigration, elle ou il engrange des voix. Pourquoi se gêner ? Pourquoi faire preuve de courage ?


Qui sème le vent…

Quand l’Italie aura-t-elle un gouvernement ? Impossible de le dire. Et qu’en sera-t-il de notre pays après les élections de 2019 ? Il se pourrait quand même que les calculs opportunistes et à court terme de ces leaders de la haine les conduisent dans une impasse. Ou qu’ils nous poussent toutes et tous dans le chaos. Parce que le peuple que ces gens prétendent représenter n’est pas, contrairement à leurs credo, un bloc unanime. Le peuple, c’est aussi les dizaines de milliers de citoyen.nes qui, partout en Europe, manifestent leur entraide et leur solidarité avec la détresse, d’Europe ou d’ailleurs. Que toutes les amies et tous les fans de Bannon arborent fièrement sur leur poitrine le badge glorieux de leur racisme ; nous pourrons nous compter. Quant aux autres, celles et ceux qui se battent pour plus d’humanité sans pour autant offrir leur gorge aux assassins, ils continueront à tendre les mains et à protester. Jusqu’à ce que justice triomphe.


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