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L'enseignement supérieur, c'est fondamental


Depuis dix ans, le PS est à la manœuvre pour l’enseignement supérieur en Communauté française. Le PS, ou plus particulièrement Jean-Claude Marcourt, sur le bilan duquel j’ai déjà porté un premier regard, qui a fait de ce dossier – loin d’être le seul qu’il a géré – une priorité. Au lendemain des élections qui ont conforté l’homme fort de Liège et lui offriront peut-être un contrôle accru sur la Région et la Fédération WB, j’aimerais m’attarder plus particulièrement sur cette partie du bilan, car rien ne compte davantage pour l’avenir d’un pays que la qualité de son enseignement.


Les attentes étaient fortes : l’enseignement supérieur, outre les compétences propres à chaque domaine, est une des voies privilégiées pour permettre aux jeunes de trouver une place dans la société, d’y réaliser leurs potentiels mais aussi d’en faire profiter la collectivité. C’est parce qu’il y a cet échange que l’État finance l’enseignement ; et c’est parce que l’État finance l’enseignement (et l’ensemble des services publics) que les citoyens, en retour, paient l’impôt.


La promesse majeure de Marcourt portait sur la nécessaire démocratisation de l’accès aux études et sur les taux de réussite. En 2009, après une longue période de mainmise du CDH sur l’enseignement – mainmise qui s’est poursuivie sur les enseignements fondamentaux et secondaires –, le taux de démocratisation de notre enseignement supérieur, tant sur la question de l’accès que de la réussite, était un des plus catastrophiques de l’OCDE ; non seulement notre taux d’accès se situait entre celui de la Turquie et du Mexique[1], mais la diversité socio-économique des étudiants nous plaçait à la lanterne rouge des pays développés[2]. Avoir des parents peu instruits divisait par trois les chances pour un jeune d’accéder aux études supérieures. Il y avait donc du travail pour Marcourt, et un fameux défi à relever.


Jean-Claude Marcourt a quelques réalisations à son actif : la gratuité de l’inscription et des supports de cours pour les étudiants boursiers, ce qui n’est pas négligeable lorsque l’on sait que le coût moyen d’une année d’étude tourne autour des dix mille euros ; mais les allocations sont loin de couvrir la totalité de ces frais – elles représentent en moyenne 1.126 euros en 2017. Les étudiants internationaux, et en particulier ceux qui viennent de pays en développement, ont vu, eux, le plafond des frais d’inscription fortement augmenter. Par ailleurs, on note une précarité toujours plus grande, avec la généralisation du travail étudiant – job, job, job… précaire, précaire, précaire – et l’explosion du nombre d’étudiants qui émargent au CPAS.


Le financement de l’enseignement supérieur

Les six corps scientifiques des universités francophones ont établi un tableau récapitulatif pour voir comment se positionnent les partis sur l’épineuse question du refinancement de l’enseignement supérieur. Les acteurs du secteur réclament depuis longtemps ce refinancement, qu’on évalue à 150 millions d’euros. On le voit, c’est le CDH qui promet le plus, alors que le PS reste vague sur plusieurs points majeurs – mais on aurait tort, ici comme ailleurs, de prendre les promesses pour argent comptant.

D’autant que l’aspect financier n’est pas le seul critère pour relever le défi de la démocratisation. Les méfaits du Décret Paysage, sur lesquels je me suis déjà épanché, ont largement plombé le bilan du ministre. On le mesure déjà, et on le fera chaque année davantage, ce Décret est une catastrophe pure et simple en termes de qualité d’enseignement ; impacts négatifs sur les parcours étudiants, mais aussi surcharge administrative stérile pour les académiques et le personnel des universités. L’aide à la réussite n’a pas été soutenue politiquement et les moyens nouveaux accordés – réels mais insuffisants – n’ont pas été ciblés vers des besoins spécifiques – comme l’encadrement ou cette aide à la réussite.


Les alternatives pour le financement

On sait que la Fédération Wallonie-Bruxelles ne dispose pas de moyens infinis pour renforcer l’enseignement supérieur. Les universités ne doivent pas compter uniquement sur ce niveau de financement, surtout si Jean-Claude Marcourt se retrouve dans le prochain exécutif, ce qui est très probable ; sa soif démesurée de contrôle est une menace sur la liberté de recherche et d’enseignement dont doivent bénéficier les universités, même si (et surtout si) ce sont les pouvoirs publics qui en assurent le financement. Il y a d’autres pistes, à tous les échelons, du régional à l’européen, en passant par le national ; mais pour cela, il est impératif que les universités soient solidaires entre elles et sortent de cette compétition stérile dans laquelle Marcourt adore les enferrer – rien n’est plus simple pour gouverner que de diviser. De ce point de vue, la réélection de Vincent Blondel à la tête de l’UCLouvain n’est peut-être pas une bonne nouvelle, tant son bilan de ce point de vue est désastreux. Il faut espérer qu’il changera d’attitude et tendra la main à ses collègues des autres universités, publiques ou libres, afin que notre enseignement supérieur dans son ensemble puisse rencontrer les exigences à la fois scientifiques et démocratiques qui en sont les fondements.


L’accès aux études

Un autre point crucial concerne la démocratisation de l’enseignement supérieur : leur accès. Or, de ce point de vue, le PS a poursuivi le travail entamé par le CDH et la mandature de Marcourt aura largement contribué à banaliser et normaliser l’idée que l’accès à l’université puisse être limité sur des bases extrêmement peu démocratiques et selon des critères peu fiables pour déterminer la réussite et les capacités réelles des candidats. Que ce soit en médecine (humaine et vétérinaire) ou en dentisterie, la sélection à l’entrée mise en place réduit encore la diversité sociale des auditoires, déjà malmenée par les réalités socio-économiques de notre pays. De plus, les études démontrent que, chez nous, la corrélation entre les connaissances à l’entrée et la réussite se situe entre 28 et 55 %, ce qui est très faible. Et comme le rappelait un récent article du Soir, ce sont les maths qui déterminent la réussite à l’examen d’entrée en médecine…


Bien entendu, l’instauration de ces examens d’entrée n’est pas le fruit de la volonté de Jean-Claude Marcourt ou du gouvernement de la FWB ; ils sont le résultat soit des pressions d’une profession (médecine vétérinaire), soit de celles du gouvernement fédéral. Dans les deux cas, cependant, le ministre n’a pas opposé de fortes résistances et/ou n’a pas obtenu de compensations de celles et ceux qui ont réussi à imposer de telles barrières…


Au final

Des efforts ont certes été réalisés durant le règne de Marcourt, mais ils sont largement insuffisants, et leur bénéfice ne compense pas les atteintes graves portées à la liberté académique et à l’indépendance des universités par rapport au pouvoir politique, comme je le rappelais dans une récente chronique. De plus, l’enseignement supérieur vient parachever un parcours qui commence à la maternelle ; sa qualité autant que sa dimension pleinement démocratique dépendent donc aussi largement de ce qui est mis en place avantle supérieur, et de la qualité des alternatives proposées à celles et ceux qui ne se destinent pas à de telles études. Or, de ce point de vue, la réforme du Pacte d’excellence est loin de rassurer…


Si la guerre est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux mains des militaires, a contrario, l’enseignement est une affaire trop cruciale pour la laisser aux seules mains des politiques. Pourquoi ? Parce qu’un enseignement véritablement démocratique et de haute qualité développe une population au sens critique aiguisé et donc difficile à gouverner. Ce constat fut celui des autorités américaines à la fin des années soixante, face aux révoltes estudiantines ; c’est pourquoi les gouvernements des pays où la démocratie est mise à mal s’attaquent systématiquement aux universités, aussi bien par des restrictions budgétaires drastiques que par des atteintes à leur autonomie. Les exemples de la Hongrie et du Brésil – qui vient de réduire le budget des universités de 30 % – sont à cet égard éloquents.


La cohérence et l’union des acteurs de l’enseignement supérieur sont donc fondamentalesautant que leur résolution à agir et prendre comme urgences eux aussi les enjeux de la démocratisation de l’enseignement et du renforcement de la formation à l’esprit critique. Il ne s’agit pas de s’opposer systématiquement au prochain ou à la prochaine ministre qui aura ce dossier en charge, mais bien de lui faire admettre qu’il ou elle est un acteur parmi d’autres, qui se doit de respecter ses partenaires pour poser les bases saines de collaborations posant les principes d'un enseignement supérieur de qualité et démocratique.


[1] OCDE, Regards sur l’éducation 2012, graphique C3.1 ; p.362 https://www.oecd-ilibrary.org/fr/education/regards-sur-l-education-2012_eag-2012-fr

[2] Educations Policy Institute, Global Higher Education Rankings: Affordability and Accessibility in Comparative Perspective2005, https://eric.ed.gov/?id=ED499856

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