
C’est peu dire que la « crise » des migrants sera au cœur de la prochaine campagne électorale. Muletafavorite de la N-VA pour détourner l’attention des autres enjeux socio-économiques et politiques, elle a déjà permis des avancées spectaculaires dans la mise en place d’une société hautement sécuritaire, pour ne pas dire autoritaire, alors que les libertés sont continuellement mises à mal au nom de la sécurité. Heureusement, des initiatives parlementaires offrent un peu d’espoir…
C’est particulièrement le cas pour une résolution soumise au vote ce vendredi 16 novembre au parlement francophone bruxellois, à l’initiative de la députée-sénatrice socialiste Simone Susskind. Cette résolution, a été approuvée en plénière par tous les partis francophones sauf une partie des élus MR (9 sur 16 l’ont néanmoins approuvée), «demande au Collège de la Commission communautaire française de la Région de Bruxelles- Capitale :
A1. d’agir auprès du Gouvernement fédéral afin qu’il soutienne la délivrance facilitée de visas humanitaires de long séjour, de manière plus transparente et plus systématique;
A2. d’empêcher la construction de centre(s) contrôlé(s) volontaire(s) fermé(s) sur le territoire bruxellois et de plaider auprès du Gouvernement fédéral pour que cette position soit étendue à toute la Belgique;
A3. de demander au Gouvernement fédéral de ne pas criminaliser la solidarité des citoyens et l’aide humanitaire apportée aux migrants ;
A4. d’agir auprès du Gouvernement fédéral pour qu’une solution alternative solidaire, durable et démocratique soit trouvée à la gestion actuelle du flux migratoire;
B. S’oppose à tout projet concentrationnaire et, dès lors, à la construction de plates-formes régionales de débarquement des personnes secourues en mer à l’extérieur des frontières européennes et à la création d’un centre d’enfermement des familles en situation illégale sur le territoire belge, la détention des personnes en situation illégale étant une solution stérile et pathogène. »
Bien entendu, il ne faudrait pas que les espoirs suscités par cette proposition soient excessifs ; il ne s’agit qued’une résolution, demandant à un parlement de faire pression sur le gouvernement fédéral. Quand on voit le mépris que ce gouvernement réserve pour toute initiative de l’opposition – mépris qui s’étend largement à l’ensemble du pouvoir législatif, qui est surtout là que pour entériner les décisions de l’exécutif –, il est plus que probable que cela restera lettre morte ; mais lettre quand même, inscrite dans la mémoire de nos institutions, qui pourra témoigner au regard de l’Histoire que tous nos élus ne se sont pas montrés inhumains et cyniques.
La criminalisation et la peur
Une des techniques appliquées avec zèle par le gouvernement de Charles Michel, sous l’instigation des ministres N-VA, consiste à utiliser la justice, les hiérarchies ou les forces de l’ordre pour effrayer. Exemple : le président Chastel intervient directement auprès de la direction de la RTBF et dans la presse, en exigeant que celle-ci sanctionne et suspende Eddy Caekelberghs pour un mail privé dans lequel le journaliste rappelait simplement l’existence d’une vidéo où Louis Michel louait les bienfaits de l’immigration. Espérait-il avoir la peau d’Eddy Caekelberghs ? Quoi qu’il en soit, les conséquences sont là et la stratégie aura quand porté ses petits fruits amers : outre que la réputation du journaliste a été mise à mal, l’exemplarité de la démarche a joué. Les jeunes journalistes, celles et ceux qui ne sont pas protégés par un statut, savent qu’il y a des lignes rouges qu’il ne faut pas franchir si on veut préserver sa carrière.
S’agissait-il, dans le chef de Caekelberghs, d’exprimer une opinion ? Non, même si l’intéressé n’a jamais caché ses options politiques et son engagement pour la laïcité. Ce mail, c’était le rappel d’un fait : Louis Michel a longtemps défendu l’idée que la migration est un processus positif. Ce n’est pas une fake news, mais un de ces faits objectifs que les défenseurs du gouvernement prétendent tant aimer. Sauf que le fait ne rentre plus dans la ligne de conduite. Alors, il devient gênant. Il faut le supprimer. Le cacher.
Rappelons ici encore l’arrestation violente et illégale, à Steenokkerzeel, de l’équipe de la RTBF en plein tournage pendant une action citoyenne d’occupation du futur centre fermé ; les autres actes de violence commis par les forces de l’ordre à l’encontre de journalistes et de photographes présents sur les lieux où ces forces s’en prennent aux demandeurs d’asile, ainsi que l’a dénoncé l’exposition « Don’t Shoot » mise sur pied par le photographe Frédéric Moreau De Bellaing, lui-même entendu et menacé pour avoir fait son boulot dans les règles ; l’agression à l’encontre de Diego Dumont alors qu’il filmait l’arrestation de migrants à la gare de Landen, sous les yeux amusés de Theo Francken, et les mensonges de Jan Jambon devant le Parlement, lorsqu’il a rendu compte de l’incident et mis tous les torts sur Dumont ; les descentes de police dans les domiciles de citoyens et citoyennes qui ont choisi d’accueillir des demandeurs d’asile, perquisitions parfois accompagnées de brutalités inacceptables et injustifiées, et toujours vécues comme un événement traumatisant et disproportionné, comme en témoigne entre autres Dounia.
Même l’Allemagne commence à appliquer des mesures pour le moins surprenantes et inquiétantes : Arte rapporte ainsi qu’en « 2014, de nombreux Allemands se sont portés garants pour permettre à des réfugiés syriens de s’installer légalement dans le pays. Un engagement en théorie sans risque puisque l'État fédéral devait subvenir aux besoins des réfugiés. Sauf qu’aujourd’hui, l'État réclame le remboursement d'une partie de ces aides aux exilés, souvent dans l'incapacité de payer. Résultat : les autorités se retournent vers les garants. »
Les procès rendent-ils confiance dans la justice ?
Par chance, il existe encore une justice indépendante dans notre pays. Le procès de la solidarité, dont le jugement sera rendu en décembre, va accoucher d’une souris ; les réquisitoires contre Myriam Berghe, Zakia ou Anouk Van Gestel sont légers (l’acquittement pour la dernière) mais pas insignifiants et le procureur a souligné qu’il fallait « marquer une ligne rouge », autrement dit, encore et toujours, faire peur à celles et ceux qui continuent à vouloir aider les migrants.
Heureusement, la plateforme citoyenne, qui organise l’accueil et l’hébergement de ces migrants, en lieu et place d’un gouvernement qui préférerait les refouler toutes et tous, ne baisse pas les bras. Ses membres restent mobilisés, mais cette situation est anormale ; ils pallient les manques de l’État, à leurs frais, en prenant sur leur temps et, surtout, en risquant chaque jour davantage des interventions abusives des forces de l’ordre.
Les décisions politiques
La Belgique pourrait par ailleurs quitter les négociations pour le Pacte Mondial sur les Migrations, suivant l’exemple des pays qui ne sont certainement pas en pointe pour ce qui touche à la démocratie : les États-Unis de Trump, la Hongrie, la Pologne, la Tchéquie. Comme le souligne La Libre, voilà encore une promesse que Charles Michel ne pourra pas tenir à cause de la N-VA, ou plus vraisemblablement à cause du seul Theo Francken, qui serait isolé sur cette question.
De son côté, le penseur de droite radicale, Drieu Godefridi, outre son aberrante proposition d’imposer un quota de 30 % de journalistes de droite (sans doute faudrait-il lui rappeler les fondements du métier de journaliste…) va plus loin encore que Theo Francken, qui voulait « contourner » certains articles de la Déclaration des droits humains européenne ; Godefridi, lui, appelle à « neutraliser » la Cour européenne des droits de l’homme. « Neutraliser »… On frissonne. Puis on essaie de sourire en se rappelant la riposte rigoureusement logique de l’humoriste Edgar Szoc : « Drieu Godefridi est opposé à toute politique de quota de nomination de femmes et de personnes issues de minorités ethniques à des postes à responsabilité, au prétexte que seule la compétence doit servir de critère.
Drieu Godefridi demande l'établissement d'un quota d'au moins 30% de journalistes de droite dans la presse subventionnée (dans toute la presse, donc).
Drieu Godefridi pense donc, contrairement à moi, que les journalistes de droite sont nécessairement incompétents. »
Les entraves à la science et à notre développement
Au-delà des migrants, la politique de fermeture des frontières a des conséquences graves sur la recherche scientifique, l’économie et la culture. Tant aux Etats-Unis qu’en Europe, la difficulté croissante que rencontrent des chercheurs et des étudiants étrangers pour obtenir un visa est une véritable menace. L’Europe et l’Amérique de Trump se referment sur elles. Quelques exemples : l’Union européenne sollicite l’expertise de professeurs étrangers, qui n’obtiennent leur visa que le matin même de leur départ. On imagine leur fureur et leur incompréhension : on les invite, mais jusqu’au dernier moment, ils risquent de ne pas pouvoir venir ! Quelle image donne-t-on de l’Europe et de nos universités ? Les universités américaines souffrent de ne pas pouvoir recruter des professeurs étrangers, dont elles ont pourtant besoin pour maintenir leur haut niveau.
Comme le rappelait Louis Michel dans une autre vie, nous avons besoin de la migration et des migrants pour assurer notre avenir et notre développement…
Au lendemain du drame de la petite Mawda, le premier ministre avait rencontré les parents de la fillette tuée par un policier. Il leur avait promis une aide rapide et efficace, une démarche qui leur permettrait de rester chez nous, près de la tombe de leur fille. Promis, juré, craché. Mais le lendemain, Bart De Wever a bombé le torse. Et Charles Michel a mangé sa parole. Depuis ce jour, les parents de Mawda attendent toujours qu’il tienne ses promesses. Ils peuvent heureusement compter sur l’aide de la plateforme et l’intervention du bourgmestre de Woluwé-saint-Lambert, Olivier Maingain, qui a scrupuleusement et honnêtement appliqué les procédures d’asile et des principes d’humanité élémentaires.
Et demain ?
Le préambule de la résolution présentée devant le parlement francophone bruxellois le rappelle : les chiffres réels de la « crise des migrants » en Europe sont faibles, la Belgique, comme les autres pays européens, est tout à fait à même d’accueillir celles et ceux qui ne représentent que 5 % des personnes déplacées à cause des conflits au Moyen Orient (pour rappel, 95 % sont hébergés dans des pays limitrophes). Ce n’est pas une « crise des migrants », mais une crise politique, une crise de la solidarité. Une crise de l’accueil, quand les chiffres de flux migratoires européens sont au plus bas.
On me dira que les chiffres grimpent à nouveau : cela n’a pas échappé à Theo Francken, qui a bondi sur la balle pour réchauffer le mythe de l’invasion et de l’appel d’air. Tant pis si son objectif est de « rendre moins attractive » la Belgique aux personnes qui nécessitent les protections de la Convention de Genève.
Il est vrai qu’une solution durable et juste ne peut s’élaborer qu’au niveau européen ; encore faudrait-il que les nations qui composent l’Union manifestent chacune leur désir sincère d’aboutir, de faire preuve de solidarité et d’intelligence. Et on en est loin, surtout lorsque l’on voit que l’argument avancé par Francken et les pays qui ont déjà refusé de signer le Pacte, s’appuie sur la volonté de régler la question de manière nationale et souveraine, alors que ce repli rend toute solution impossible.
Voir aussi
« Lettre ouverte à Richard Miller »
« MR : grandes manœuvres pré-électorales »
« Le MR est fâché »
« Quand MR fâché, MR toujours faire ça »